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Billet de blog 5 décembre 2025

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La boucle est bouclée

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelques révolutions se sont accomplies et on se retrouve au point de départ, aux origines de trois situations, celle de la France, celle de l’idéologie néolibérale et celle de la dérive de l’Occident.

1

Le problème politique de la France, c’est son régime politique qui l’a amené à une situation de blocage. Le véritable bloqueur de pays, c’est Emmanuel Macron[1]. Il n’en est pas le seul responsable. Ses prédécesseurs l’ont aidé dans ce sens. Sous les deux septennats de Mitterrand et sous celui de Chirac, la constitution a permis ce qu’on appelé une « cohabitation », ou une « coexistence ». La France vivait alors sous l’ère d’une partition politique simple : la droite et la gauche. Le 24 septembre 2000, lors d’un référendum goupillé par Chirac et Jospin, on décida de remplacer le septennat par un quinquennat et de faire suivre l’élection présidentielle d’une élection législative. Ceci afin d’assurer une majorité au nouvel élu, de garantir la stabilité, etc. Mais, à cette époque déjà, la bipartition n’était plus une réalité, mais une fiction pour produire un « narratif ». Les deux « partis de gouvernement », qui ne juraient plus que par l’Europe, étaient depuis plusieurs années déjà convaincus par les vertus du « néolibéralisme ». Cinq ans plus tard, c’était un autre référendum qui démontrait que ces deux partis n’en faisaient plus qu’un. Ce « parti » se présentera lui-même comme le « cercle de la raison », le parti pris de l’Europe et de la liberté marchande. Sa défaite dans les urnes, il l’expliqua sans rire comme la conjonction « des extrêmes ». Ce sera l’occasion pour le Front National de populariser sa formule : « l’UMPS ». En 2017, un économiste, Bruno Amable, définira ce parti central comme le « bloc bourgeois »[2] ; et en 2019, un historien, Pierre Serna le fit connaître sous ce nom : « l’extrême centre »[3]. Macron revendiquera ce titre en 2022[4] et la France s’engagea résolument dans le tripartisme. Désormais, on le voit sur les chaînes et les stations d’intox, ce « bloc central », déjà réduit à un « socle commun », est en train de se décomposer. Ce qui reste du PS réclame Matignon en se roulant dans la merde. La « droite » naguère « décomplexée », celle de Sakozy, n’en finit pas de changer de nom (UMP, LR, DR, UDR), de se diviser en appelant au « rassemblement national » (parfois en le rejoignant) et prétend même à la victoire en 2027. Quant à Macron lui-même, il fait comme s’il était toujours  le maître des horloges et tente d’écarter le souvenir d’un général de Gaulle qui avait démissionné après avoir perdu un référendum. Ce général à qui on attribue une formule qui fait beaucoup de Pen au petit Macron : « Le pouvoir n’était pas à prendre, il était à ramasser. ».

2

Selon le professeur libertarien Pascal Salin, « le néolibéralisme, ça n’existe pas ! ».[5] . Mais l’auteur ne s’arrête pas là et donne des arguments : « la doctrine néolibérale n’existe que dans l’esprit de ses ennemis ».

Plus pragmatique, le site Wikiberal écrit d’emblée : « Le néolibéralisme désigne le plus souvent de manière péjorative les idées libérales et a aussi désigné dans le passé quelques écoles philosophiques qui s'en sont réclamées, autour du colloque Walter Lippman ».[6] Ceci lui permet de consacrer un sixième de son texte à « l’historique du néo-libéralisme », le reste se résumant à la dénonciation de « l’usage péjoratif du terme » par des intellectuels de gauche comme Bourdieu et Chomsky et des « anti-libéraux », définis comme « des personnes plus désireuses de colporter des clichés en jouant leur rôle si confortable de gardiens héroïques d’un monde en péril ».

Bon ! On voit qu’on a affaire à des intellectuels. On ne traite pas ses adversaires vulgairement de « rouges » ou de « wokistes ». Le « néolibéralisme » a d’abord été deux rassemblements d’universitaires libéraux, le Colloque Walter Lippmann, ouvert à Paris le 26 août 1938[7], puis la première réunion la Société du Mont pèlerin[8] en 1947.

Les participants des deux sauteries ou sommets ont beaucoup en commun, mais il faut les distinguer cependant :  « universitaires libéraux hostiles au fascisme, au communisme et à toutes les formes dinterventionnisme économique de lÉtat »[9], dans le premier ; « favorables au libéralisme, à l'économie de marché et aux valeurs politiques d'une société ouverte »[10], dans le second.

Bref, pour employer le langage de l’époque, ils se présentent comme antifascistes et anticommunistes. Aujourd’hui, ils se définiraient d’abord comme opposés « aux extrêmes ». La principale différence entre les deux réunions, c’est que l’une s’est tenue juste avant la guerre, l’autre un peu après.

Les idéologues ont une autre approche : « On présente parfois le Colloque Lippmann comme précurseur de la création de la Société du Mont-Pèlerin à partir de 1947, car des 26 participants au Colloque, 16 furent adhérents de la Société du Mont-Pèlerin. En fait, seule la moitié des membres du colloque seront invités par Hayek à Vevey en Suisse, car Hayek entendait défendre un libéralisme beaucoup plus classique que celui qu’avaient en tête la plupart des participants au Colloque. »

En résumé, c’est bien Friedrich Hayek qui a organisé la seconde réunion et il s’y est débarrassé, en somme, de ses mencheviks qui ne le suivaient pas sur sa théorie de l’équivalence entre liberté et propriété. Il est bien le Lénine de ce parti néolibéral d’avant-garde, écrivant sans répit des Que faire ?[11] ; et soutenant sans rougir les coups d’Etat qu’il jugeait nécessaires : « Je n’ai trouvé personne, dans ce Chili tant vilipendé, qui ne fut pas d’accord pour dire que la liberté personnelle est beaucoup plus grande sous Pinochet qu’elle ne l’était sous Allende » [12]

3

La dérive de l’Occident a commencé avec la première guerre mondiale qui a accouché de la révolution russe et des fascismes, italien puis allemand notamment. Le centre de cet Occident s’est déplacé à l’ouest, de l’Europe à l’Amérique, lentement d’abord à l’issue de cette première guerre, puis brutalement à l’issue nucléaire de la seconde.

Cependant, dans cette Amérique de 1919, il s’est trouvé des citoyens qui ont soutenu Les Dix jours qui ébranlèrent le monde.[13] Mais s’ils étaient visibles, ils étaient aussi minoritaires et à cette occasion le premier amendement de la constitution a été piétiné sans vergogne[14]. Le gouvernement des Etats-Unis ne s’est pas contenté de restreindre la liberté de la parole ou de la presse quand elles étaient communistes ; il les a désignées comme « anti-américaines », « antipatriotes » et les a réprimées par la force.

Il faut rappeler ici que, si la révolution russe a bien eu lieu, elle n’a pas accouché, elle, du communisme, ainsi que le prétendent les héritiers de Lénine, d’une part, et les défenseurs du Capital, d’autre part. C’est d’ailleurs leur principal point d’accord aujourd’hui encore : affirmer que l’URSS a incarné le communisme.

Il faut aussi rappeler que, après la défaite de l’Allemagne en 1917, les vainqueurs ont poursuivi la guerre à l’est et sont intervenus en Russie, notamment, pour écraser à sa source une révolution qui avait déjà commencé de se répandre sur le continent européen, en (Allemagne et en Hongrie). Mais la défaite est aussi le commencement du « monde nazi »[15]. Le fascisme est, en Occident, une pathologie du sentiment national. Il est d’ailleurs né dans deux nations qui avaient achevé tardivement leur unité. Il est « l’archaïsme techniquement équipé ». Mais il n’a pas disparu avec la fin de la deuxième guerre, ainsi que le prétendent les néo-fascistes.

Les traités de paix qui ont été signés après les deux guerres mondiales ont été porteurs de nouvelles occasions de guerre. Les occidentaux ont prétendu remodeler le monde à leur convenance, mais ont rencontré quelques résistances. Après la première guerre, les Occidentaux ont fait beaucoup de promesses : aux Arabes, aux Juifs, aux Kurdes… Mais ils se sont divisés : les Occidentaux d’Europe, France et Royaume Uni, entendront conserver leurs empires coloniaux ; les Occidentaux d’Amérique ne cacheront pas leur volonté de les dépecer à leur profit. A l’issue de la seconde, seule la promesse faite aux Juifs sera réalisée : une nouvelle colonie sera créée, avec l’approbation de l’URSS, alors même que commencera la décolonisation.

A partir de ce moment, les Occidentaux retrouveront un semblant d’unité face à la nouvelle puissance, issue de l’échec de la révolution russe. Cette nouvelle puissance, qui se déclarait « communiste » et, rappelons-le, était présentée comme telle par les Occidentaux, était en réalité une bureaucratie. La bourgeoisie russe n’ayant pas su ou pas pu gagner la révolution a été remplacée par « une classe dominante de substitution ». Et ce système sera un modèle pour la Chine et pour un tas de pays en voie de décolonisation.

Les Occidentaux réunis (Europe et Amérique) qualifieront de « totalitaires » leurs ennemis passés ou présents (dictatures fascistes et bureaucraties). Et se présenteront eux même comme « le monde libre » ou la « civilisation ».

4

« Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »[16]

Aimé Césaire portera ce jugement sévère, mais juste, en 1950. Il choisira ainsi « de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. »

Aimé Césaire sera peu entendu par les classes dominantes. La France se distinguera en 2005 avec « une loi sur les rapatriés » mentionnant le « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».

https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/12/07/a-l-origine-de-la-polemique-le-role-positif-de-la-colonisation_718356_3224.html

Conclusion provisoire

L’Occident est désorienté. Son ennemi déclaré, c’est un « Est européen fantasmé », incarné par le souvenir de l’URSS, d’un côté ; et d’un autre côté, par un « Orient simplifié », résumé à « une démocratie israélienne » qui serait assiégée par des barbares de religion musulmane. Cet Occident-là, en pleine dérive morale, semble avoir pris très au sérieux un des  arguments de Theodor Herzl pour justifier son projet de colonisation : « Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un avant-poste contre l’Asie, nous serions l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie ».[17]

Ce sentiment d’être assiégé est partagée par une partie de la population européenne qui trouve en Israël une justification de leur racisme anti-arabe.

Et il sert de boussole géopolitique aux dirigeants occidentaux, surtout européens, qui veulent « se faire » une Russie qui leur a tant fait peur du temps de l’URSS.

La boucle est bouclée. On se retrouve au point de départ du siècle dernier : le recours à la guerre et au fascisme pour mettre fin à la crise de l’Occident.

Il est plus que jamais nécessaire de rappeler les réflexions de deux contemporains de la première guerre mondiale.

Anatole Thibault, un écrivain français célèbre qui avait choisi de se faire connaître sous le pseudonyme d’Anatole, France en viendra à déclarer après la guerre : » On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. »[18]

Quatre ans plus tôt, un anarchiste états-unien, Randolph Bourne, avait résumé la situation : « la guerre est essentielle à la santé de l’État[19].

[1] https://www.franc-tireur.fr/lfi-bloqueur-de-pays

[2] La résistible ascension du néolibéralisme, (2017, 2021) : « la ligne politique de Hollande était néolibérale et à la recherche du bloc bourgeois au moins depuis le milieu des années 1980 »

[3] pierre Serna, L’extrême centre ou le poison français (2019)

[4] https://www.lunion.fr/id362586/article/2022-04-18/emmanuel-macron-sur-france-culture-pour-defendre-son-projet-dextreme-centre
Dans un entretien accordé au sinistre Guillaume Erner lors de sa campagne de second tour. Devant cet  animateur sévère, il opposa aux projets d’extrême droite et d’extrême gauche « un projet d’extrême centre si on veut qualifier le mien dans le champ central ». Si l’on veut. Il semble ignorer que Pierre Serna lui consacre les premières lignes son livre : « Dans quel régime vivons-nous depuis le printemps 2017 ? La question est légitime tant l’interprétation que fait le nouveau président des institutions de la Ve République vise à renforcer le pouvoir exécutif et le système de l’état d’urgence quasi permanent.

En se plaçant au-dessus des partis, Emmanuel Macron abuse d’une formule éprouvée (…)En adoptant la modération, celle du juste milieu, qui est censée réparer les excès des députés, un centre politique, semblable et différent selon les générations, s’invente lors de chaque crise. La saison des tourne-veste répète les mêmes recettes depuis deux cent trente ans, de 1789 à 2019. »

[5] Pascal Salin, « Le néolibéralisme, ça n'existe pas », Le Figaro, 6 février 2002.

[6] https://www.wikiberal.org/wiki/N%C3%A9olib%C3%A9ralisme

[7] « Quatre mois après l’Anschluss, un mois avant la signature des accords de Munich, ce huis-clos d’intellectuels épris de libéralisme (Raymond Aron, Friedrich Hayek, Jacques Rueff et bien d’autres) a quelque chose de singulier. La mort du libéralisme et l’effondrement de la civilisation du XIXe siècle avaient maintes fois été annoncés. C’est désormais aux libéraux de convenir que c’en est fini du laissez-faire. « Nous nous heurtons à un fait brutal, déclare le journaliste américain Walter Lippmann dans son allocution inaugurale, le siècle du progrès vers la démocratie, vers l’individualisme, vers la liberté économique, vers le positivisme scientifique s’est terminé par une ère de guerre, de révolution et de réaction » »François Denord, Le néo-libéralisme à la française (2016).

[8] Pascal Salin a été président de la Société du Mont Pèlerin  fondée par Friedrich Hayek.

[9] https://www.wikiberal.org/wiki/Colloque_Walter_Lippmann

[10] https://www.wikiberal.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_du_Mont-P%C3%A8lerin

[11] La route de la servitude (1944), La constitution de la liberté (1960) et les trois tomes de Droit, législation et liberté (1973, 1976 et 1979).

[12] Friedrich Hayek, “Freedom of choice”, Times, 3 août 1978, p. 15.

[13] John Reed (1919)

[14] Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse.

[15] « La défaite est un moment fondateur pour nombre de membres de l’élite nazie » (…)  « les Freikorps, ces milices paramilitaires composées d’anciens soldats et de jeunes hommes « idéalistes » qui se battent parfois contre les communistes allemands, ou contre les Polonais aux frontières de l’Est ; parfois pour le régime républicain pour maintenir l’ordre. » … « le traumatisme de la défaite se mêle à la détestation de la révolution en soi et des « marxistes », qui étaient, avant 1914, déjà considérés comme des « ennemis intérieurs » par nombre de membres de l’élite nationaliste. Ainsi, les « criminels de novembre », comme ne cessent de les appeler les nazis, sont pour eux responsables de la défaite mais aussi de l’écroulement politique de l’Allemagne. » Le monde nazi 1919-1945 (Chapoutot, Ingrao et Patin, 2024)

[16] Discours sur le colonialisme (1950). Et il continue : « Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation «occidentale », telle que l'ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donne naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déférée à la barre de la « raison » comme a la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper. »

[17] L’Etat de Juifs (1896). Sans rire, le prophète osait : « La Palestine demeure notre patrie historique inoubliable. Son nom seul constituerait un cri de ralliement d’une irrésistible puissance d’attraction pour notre peuple. Si Sa Majesté le Sultan nous accordait la Palestine, nous nous ferions forts de mettre de l’ordre dans les finances turques. Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un avant-poste contre l’Asie, nous serions l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie. En tant qu’Etat neutre, nous entretiendrions des rapports constants avec toute l’Europe garante de notre existence nationale. Quant aux Lieux Saints de la chrétienté, on pourrait convenir d’une forme d’exterritorialité en accord avec le droit international. Nous formerions la garde d’honneur autour des Lieux Saints, garantissant de notre existence même l’accomplissement de ce devoir. Cette garde d’honneur symbolisera pour nous la solution de la question juive après dix-huit siècles de cruelles souffrances. »

[18] On croit mourir pour la patrie (L’Humanité, 18 juillet 1922)

[19] La santé de l’Etat, c’est la guerre (1918)

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