Épisode 2
Lundi 31 mars 2014
Après une nuit tourmentée, durant laquelle il a pu toutefois jouir de la compassion de sa nouvelle favorite pendant quelques brefs mais précieux instants, l'abbé François est de retour en son bureau, devenu lieu de pénitence. Il attend la visite du sacristain de la place Beauvau. Ce dernier, qui ne prend même pas la peine de frapper à l'huis s'engouffre dans les lieux et, après une rapide génuflexion, s'assoit devant l'abbé qui sirote une infusion de fenouil, anis, romarin, queue de cerise et autres plantes, réputée discipliner les bedaines récalcitrantes. Il se carre dans son fauteuil en attendant l'offensive qui ne tarde pas.
- J'ai ma liste, mon Père !
L'abbé prend le temps d'avaler une gorgée de la tisane bienfaisante avant de répondre.
- Bonjour frère Manuel. J'espère que l'esprit de Saint Jean de Carmaux vous accompagne en ces temps difficiles.
- Je ne voudrais pas vous bousculer, mon Père, mais il y a urgence...
L'abbé porte un regard sur les deux icônes accrochées sur le mur de droite, le connétable Charles de Colombey et Saint François de Latche. Il pousse un soupir, pose sa tasse de porcelaine de Limoges, se disant in petto qu'il faudra changer de fournisseur de vaisselle. Puis il se tourne vers Frère Manuel, dit le Catalan, bouillant d'impatience.
- Je vous écoute.
- Seize moines et nonnes. Pas plus. Et à ma botte !
Frère Manuel se tait et tend la liste à l'abbé. Celui-ci ignore le geste et garde le silence quelques secondes qui paraissent interminables au locataire de la place Beauvau.
- Frère, que je sache, vous n'êtes point encore promu prieur. Je n'ai pour l'instant pas encore décidé de désavouer frère Jean-Marc. Celui-ci a prouvé sa loyauté, son dévouement. Son humilité fait l'admiration de toutes et tous. Je ne puis le congédier comme n'importe quel convers pris la main dans la cassette...
Le sacristain se lève d'un bond, pressant et impérieux.
- Mon père, la situation est catastrophique. Les pertes de parts de marché sont énormes ! Nos fidèles se sont évaporés, partis à la pêche ou à l'apéro. La diablesse de Montretout pateline à qui mieux mieux dans les étranges lucarnes, comme si elle avait remporté cette maudite votation. Le baron de Meaux, naguère menacé de la paille humide du cachot ricane et se pavane devant les libellistes oublieux de ses turpitudes et des échecs de sa coterie. Nos troupes débandent et menacent de sédition. Nos curés battus vous accusent de leur déroute. Les temps ne sont plus aux atermoiements et autres chicaneries. Nommez-moi prieur, il n'est d'autre voie pour éviter le naufrage !
L'abbé caresse pensivement la tête de son fidèle Mendès et se lève. Il fait quelques pas de gauche à droite. Puis il tend la main. Le sacristain lui remet la liste. L'abbé en prend connaissance. Il soupire une nouvelle fois.
- Je recevrai moi-même frère Jean-Marc pour lui annoncer la nouvelle. Tenez-vous à ma main, je vous ferai venir avant mon départ pour le sommet entre l'Europe et nos anciennes colonies qui se tient à Bruxelles. Je compte y voir le Fidalgo Barroso, sicaire de la Fraternité Saint Milton de Chicago sur le vieux continent, afin de lui demander d'ôter le couteau qu'il tient avec gourmandise sous notre gorge.
- Mon père, je vous souhaite la réussite dans cette cruelle entreprise. Ma journée sera donc consacrée à constituer un Ministère de croisade...
Il s'interrompt soudainement et porte fébrilement la main à sa soutane. Il en tire son smartphone, le porte à son oreille. Sans plus de façons, il tourne le dos à l'abbé, se précipite à grandes enjambées vers la porte.
- Oui, Soeur Ségolène, un instant s'il vous plaît...
L'abbé se rasseoit et soupire pour la troisième fois. Il appuie sur un bouton. Son premier convers apparaît.
- Vous avez entendu la conversation, Aquilino ?
- Oui mon père.
- Et vous l'avez enregistrée ?
- …
- Mandez Frère Jean-Marc par devers moi, je vous prie. Pour dix heures. Ça me laisse le temps de prier avant ce tragique moment.
(À suivre)