Épisode 3
Mardi 1er avril 2014
Frère Jean-Marc médite dans le wagon de chemin de fer qui le ramène en son prieuré originel de Saint-Herblain où il a entamé son noviciat en 1972. Tâcheron obstiné, il sera élu curé de la paroisse en 1977 avant de devenir celui de Nantes la prestigieuse. À des années-lumière de la chute brutale de ce jour maudit. Il y a quelques heures, l'abbé a demandé à ce besogneux de se démettre dans l'intérêt de la foi. Il ressasse, avec amertume, les termes de leur entretien.
- Mais pourquoi ? Ce ne sont que des paroissiales, mon Père. Nous gardons les deux temples ! Et de solides bastions ! Et tous les leviers pour agir ! Pourquoi tremblez-vous devant si peu ?
L'abbé repose son téléphone duquel il a envoyé un texto coquin à sa favorite du moment, pendant que le prieur défendait sa cause. Il croise les mains sur son embonpoint regimbant. Il sait que chaque mot pése.
- Frère Jean-Marc, il n'est point en mon intention de vous congédier, mais celle de vous remercier. C'est l'affection qui nous lie qui m'oblige à vous remplacer. Vous êtes un homme de courage. Point plus je ne puis exiger de votre fidélité.
Frère Jean-Marc est au bord des larmes. Sous le coup de l'émotion, son brushing impeccable tend à s'ébouriffer quelque peu. Il se lève et ajuste sa robe.
- Ce bellâtre de sacristain vous a convaincu de me faire porter la mître ? Cet excité de la prévôté, qui depuis deux ans s'agite contre les Maures et les peuples nomades tel un sinistre pitre ? Vous voulez me remplacer par celui qui dénigre, depuis des lustres, l'héritage de Saint Jean de Carmaux et encense l'évangile selon Saint Milton de Chicago ?
L'abbé ne peut soutenir le regard de celui qui lui est fidèle, envers et contre tout, depuis deux années et assume son impéritie en ses lieu et place. Il cherche un subterfuge, une pirouette afin de mettre un terme à ce stérile face à face.
- Nous laisserons le nouveau prieur gaspiller sa fougue devant les moulins inébranlables de Bruxelles, Wall-street, Berlin et Pekin contre lesquels, tout comme nous, il se cassera les dents. J'en ai encore fait la douloureuse expérience hier, avec l'inflexible fidalgo de Lisboa qui me traite comme un laquais. Puis vous reviendrez à mes côtés. Gageons que nous pourrons à nouveau concocter de conserve notre fricot pour ramener les ouailles à la raison. Je vous offre la place essentielle de recours, frère Jean-Marc, mon fidèle ami.
Pendant ce temps, le sacristain consulte en sa forteresse de la prévôté. Au moment où l'abbé congédie le brave frère Jean-Marc, frère Manuel reçoit sœur Najat la bienheureuse.
Confite en componction, cette dernière se prosterne devant le futur prieur, après la longue attente dans l'antichambre. Quel sera son sort ?
- Frère Manuel, j'ai ouï dire que vous succéderiez au prieur ? J'ai servi ce dernier avec une soumission fort humble et suis prête à faire de même pour vous, en tout ce que vous entreprendrez, sans poser de question.
Tout en tripotant son mobile, il s'adresse ainsi à la jeune ambitieuse aux yeux de velours :
- Je ne puis me priver de vos services, sœur Najat. Nul n'atteint votre talent dans les étranges lucarnes. Votre capacité à débiter les pires horreurs avec ce sourire angélique n'a pas d'égale. Avec vous, l'annonce d'une fermeture d'usine et ses 3000 licenciements devient la bonne nouvelle ! Loin de moi l'idée de me passer de vous ! Bien au contraire ! Je vous prie de me rejoindre. De plus, votre concours me sera nécessaire pour contrer l'égo hypertrophié de Soeur Ségolène. Son appétit insatiable trouvera le vôtre sur sa route, me permettant ainsi de manoeuvrer à ma convenance. Il faut que je vous laisse. L'abbé m'attend...
(À suivre)