Épisode 4
Mardi 1er avril
Relevant sa robe, le nouveau Prieur franchit les quelques marches du monastère d'un pas vif, manquant de bousculer le garde helvète. Frère Manuel fonce vers le bureau de l'abbé. Il ouvre la porte sans frapper à l'huis comme à son habitude. S'épargnant la génuflexion, il s'assoit directement devant l'abbé.
- J'espère que nous allons enfin nous mettre d'accord, mon Père...
L'abbé pose sa tasse de tisane et fixe longuement son interlocuteur. Puis il pose les deux coudes sur la table en joignant ses phalanges.
- Frère Manuel, si vous avez droit à toute votre place, il vous faudra patienter pour la mienne. Nommer le conseil monastique est mon privilège.
Le prieur se rend compte qu'il a été un peu abrupt, ce qui peut nuire à son dessein.
- Il n'est nullement dans mes intentions de contester vos prérogatives. Je voulais simplement savoir si vous aviez réfléchi à mes propositions.
- À la bonne heure ! Pour en discuter, j'ai convié le gardien du sanctuaire, frère Désiré de la Courneuve, comme il est de tradition. Il nous aidera dans la recherche de l'équilibre entre les différentes sensibilités qui animent nos frères et sœurs dans leurs ambitions. En l'attendant, voulez-vous me dire comment vous envisagez votre ministère ?
- Il ne faut plus de brouhaha, ni de tohu-bohu. Toute adresse envers la populace devra recevoir l'aval de la rue de Varennes. Aucun de nos frères et sœurs ne pourra passer aux étranges lucarnes, à la TSF ou bien encore, accorder une audience à des libellistes sans que le contenu et l'opportunité aient été pesés et approuvés par moi-même et mes convers.
L'abbé avale une gorgée de son infusion.
- Et moi, dans tout-ça ?
La réplique est instantanée.
- Mon père, le contrôle des adresses publiques des membres du conseil monastique est l'une des charges qui m'échoient. Mais il va de soi que je me tournerai vers vous quand les circonstances...
On frappe à la porte. Désiré de la Courneuve franchit l'entrée du bureau et procède à une impeccable génuflexion. Il s'assoit aux côtés du prieur, à l'aimable invite de l'abbé et s'adresse aussitôt à ce dernier.
- J'espère, mon Père, que vous allez bien ?
- Aussi bien que les circonstances le permettent, Frère Désiré. Je vous remercie de votre sollicitude. Tout le monde n'a pas la même empathie à mon égard, depuis quelques jours...
Le prieur regarde le plafond... L'abbé reprend la parole.
- Frère Manuel m'a convaincu qu'il ne fallait pas traîner. Prieur, il se confirme que les Verts solidaires ont refusé vos propositions et ne seront donc point à nos côtés ?
Frère Manuel baisse le nez.
- Oui mon père. Hier, leur cheftaine, Cécile de Woodpecker l'a annoncé officiellement dans une adresse publique.
- Ainsi, devons nous puiser dans nos seules troupes, déjà bien usées, pour constituer le conseil monastique.
Les trois hommes se mettent au travail. Il faudra de longs moments avant de boucler la liste des seize membres du conseil, ponctués de nombreux coups de téléphone. À celles et ceux qui sortent, dont celui qui cumulait les fonctions de cellier et de dépositaire, frère Pierre le morne. Et à celles et ceux qui restent, comme sœur Christine, la circatrice. Frère Désiré de la Courneuve, qui n'a pas pipé mot pendant les tractations déclare « approuver les équilibres » histoire de ne pas être venu pour rien. Personne ne relève. L'abbé donne son verdict.
- Nous annoncerons publiquement demain la composition du nouveau conseil. Il se réunira jeudi à neuf heures. Une dernière chose, prieur, vous m'avez dit, tout à l'heure, vouloir maîtriser toutes les adresses publiques des membres du conseil ?
Le prieur, méfiant, approuve
- Je vous souhaite pleine réussite dans cette entreprise, frère Manuel. Juste avant cette réunion, j'ai appris que sœur Ségolène de l'égo bouffi avait annoncé à la TSF qu'elle remettait en cause la dîme de pollution par les transports que nous avons, naguère, provisoirement mis en veilleuse. Mais j'imagine que vous avez donné votre onction...
(À suivre)