Épisode 15
Jeudi 31 juillet
L'Abbé est arrivé à 9 heures, à la Taverne du Croissant, là-même où fut revolvérisé Saint Jean de Carmaux, il y a tout juste un siècle. Il s'est attablé, en compagnie de Sigmar le Terne, l'un des deux détenteurs de la cassette jalousement couvée par la Margrave du Brandebourg, la pythie du Saint Empire Bruxello-germanique.
C'est le sourire aux lèvres que les deux hommes rendent un hommage au fleuve français de la pensée socialiste. Pendant ce temps, chez Soeur Ségolène de l'Égotitude...
La confesseure du Ministère frappe à la porte de Soeur Ségolène qui l'invite à entrer.
- Vous m'avez demandée, ma Soeur ?
- Oui ! C'est pour vous dire que vous avez fort mal mené cette affaire de l'autoroute A381. Le Prieur n'attendait qu'une occasion pour me faire un croche-pied. Vous êtes tombée dans le panneau.
La confesseure est certes habituée aux éclats de l'impétueuse ministre mais sa mauvaise foi la désarçonne à chaque fois. Cependant, aujourd'hui, elle a décidé de ne pas se laisser faire.
- Ma Soeur, puis-je vous faire remarquer respectueusement que c'est vous qui avez pris l'initiative de rendre public votre veto?
- Il fallait me conseiller de ne pas le faire ! Hurle Soeur Ségolène, avec le culot qui la caractérise.
La confesseure se tait. Elle sait qu'il est inutile d'en rajouter. Ça ne ferait qu'empuantir l'atmosphère. Elle passe à autre chose.
- Le Confesseur général de l'Abbaye, est arrivé pour votre rendez-vous. Il attend dans l'antichambre.
- Faites-le entrer.
Le Parfuge pénètre dans le bureau, avec sa componction habituelle.
- Bonjour, Frère Jean-Pierre, asseyez-vous donc. Comment se porte l'Abbé, en ce moment ?
- Toujours sur son nuage, Soeur Ségolène. En ce moment même, il est à la Taverne du Croissant où fut assassiné, il y a cent ans, notre bien-aimé Saint Jean de Carmaux.
- Ça lui ressemble bien. Hier, il submerge de bienfaits les forces du mal en puisant sans vergogne dans les tréfonds de la cassette et il couvre d'éloges celui qui fut leur ennemi acharné. Au passage, leur chef, Pierrot la Sangsue lui crache publiquement au visage. Décidément, il n'a aucune dignité.
- Hélas, Soeur Ségolène, il n'a pas fallu huit jours après son élection pour qu'il se coule dans le costume de son prédécesseur, Nicolas du Racel de Neuilly, que j'ai fidèlement servi. Dire tout et faire son contraire, en cela, il ne se différencie en rien de ceux qui ont occupé le fauteuil suprême avant lui.
- Il est infiniment regrettable que les gueux ne m'aient point désignée pour prendre les rênes de l'Abbaye. Je ne serais point tombée dans le piège.
- Il n'est pas trop tard, Soeur Ségolène. La situation est certes d'une extrême gravité, au point que le Sanctuaire risque de disparaître du paysage politique, mais, paradoxalement, elle peut favoriser vos desseins. Votre retour aux affaires n'est qu'un premier pas. Un boulevard s'ouvre devant vous. L'Abbé et le Prieur porteront seuls la responsabilité de l'échec. Le moment venu, vous apparaîtrez comme le recours.
Le visage de Soeur Ségolène s'empourpre sous la flatterie.
- Je rêve d'en découdre avec la Diablesse de Saint-Cloud. Moi seule peut lui faire mordre la poussière et nous maintenir au pouvoir en faisant passer nos tromperies pour du courage.
Le Parfuge joint les mains. Il fixe le bleu regard de Soeur Ségolène.
- Il n'est pas impossible que je puisse vous y aider si, le moment venu, vous me sollicitez. Mais il nous faudra user de ruses et autres roueries. Ne sous-estimons point l'adversaire le plus dangereux.
- Vous avez raison, Parfuge. Le Prieur est déterminé. Il nous faudra trouver les moyens de le neutraliser...
(À suivre)