Épisode 5
Lundi 7 avril 2014
Frère Arnaud, le dépositaire et frère Michel, le cellier sont en route pour la capitale de l'empire germanique. Ils vont implorer, auprès de leurs homologues, la pitié de la Margrave du Brandebourg, la chancelière de fer. Ce qui n'est pas gagné d'avance... Angela l'inflexible reproche à l'abbé sa pusillanimité et sa mollesse face à une populace qui ne songe qu'à se vautrer dans la géronte oisiveté, les frais de santé, les cinq semaines sans trimer, les trente-cinq heures et les emplois à vie. Elle en blâmait déjà Nicolas le brouillon, prédécesseur de l'abbé François.
Dans le même temps, Soeur Ségolène de l'égo bouffi prend possession de son ministère, boulevard Saint Germain. Ignorante du petit personnel, elle s'est enfermée dans son bureau avec ses convers. La veille au soir, elle a dénoncé sur la TSF, sans consulter quiconque, la dîme sur les transports routiers. Une semaine aura suffi pour convaincre les libellistes de tout poil qu'elle n'agira que selon son bon vouloir.
Lors de la première réunion du conseil monastique, jeudi dernier, sœur Ségolène twitte frénétiquement pendant la séance, doigts et yeux rivés sur son smartphone, bravant la consigne impérieuse du prieur. Pendant les interventions de l'abbé, elle passe des coups de fil à voix basse, façon « parle à ma bure, ma capuche est malade. »
Les débuts du nouveau conseil monastique sont contestés par les troupes. Cent édiles du temple bas ont co-signé une missive où ils osent réclamer un changement de politique. Ces fous demandent même la fin de l'austérisme européen, qui, selon eux, met à genoux les gueux en les privant d'ouvrage et engoinfre des nantis gorgés jusqu'à nausée par les prébendes et faveurs de toutes sortes. Le prieur reçoit une délégation de ces irresponsables rue de Varennes en début de soirée.
- Je vous écoute, mes frères.
Les frondeurs se regardent les uns les autres jusqu'à ce que frère Henri le sourcilleux, se décide à prendre la parole.
- Nous avons perdu les paroissiales parce que les promesses de l'abbé n'ont pas été tenues, prieur.
- Et alors ? La promesse est l'un des principes incontournables pour prendre le pouvoir. Une fois chose faite, rien ne nous oblige à la tenir. D'ailleurs, nos adversaires en font tout autant. Il faut chercher ailleurs les raisons de votre défaite. Vous avez mal expliqué à nos fidèles la justesse indiscutable de l' action . Vous avez surestimé la capacité de la populace à comprendre que nous n'agissons que dans un seul but : son bien malgré elle. Au lieu de perdre votre temps à fronder, retournez en vos paroisses porter la bonne parole !
Un autre frondeur, inconnu notoire, lève le doigt.
- Il faudrait au moins sauvegarder les apparences. Distribuer quelques gages à nos fidèles...
- Vous avez raison, frère. Nous jetterons quelques regatons aux plus nécessiteux. Et afin d'alimenter durablement leur ressentiment, nous ne manquons point de boucs émissaires à désigner à leur vindicte, dont les Maures, le plombier polonais et les nomades de l'est. La diablesse de Montretout sait les distraire, c'est un mal nécessaire.
Frère Henri le sourcilleux se cabre.
- Le cynisme ne peut servir de politique ! L'ignominie de vos propos me heurte !
Frère Claude le Chafouin, le chef des édiles du temple bas, tente de temporiser.
- Tout le mal de ce monde vient de ce que l'on est pas assez bon ou pas assez pervers. En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal.* Sachons trouver la voie entre les conditions de notre sauvegarde et celles du respect des apparences de l'héritage de Saint Jean de Carmaux...
Le prieur hoche la tête.
- La sagesse est votre apanage, frère Claude. Mes chers frères, le renouvellement de vos charges est proche, pensez-y. Trois ans passent si vite. Songez à votre avenir et laissez-moi agir à ma guise pour le sauver. Ne comptez-point sur l'abbé pour garantir vos fesses ! Il vous faudra en passer par mes fourches caudines. Merci mes frères. Je dois vous quitter. L'abbé m'attend...
(À suivre)
*Nicholas de Machiavel - « Le Prince »