J'y étais conseiller de l'ANPE, mon métier de soutier de la misère pendant 32 ans, et adjoint au maire de 1983 à 1992. Dans cette ville multi-culturelle et multi-ethnique de 26 000 habitants, mes amis et amies s'appelaient André, Samira, José, Manuella, Marcel, Clémence, Jacinta, Jatzec, Pierre ou Romero.
Portugais, Lorrains, Maghrébins, Espagnols, Polonais, Français « de souche », l'une des expressions favorites de la famille Le Pen, escrocs de père en petite fille, qui vit de ses rentes à nos frais et dont aucun membre ne sait ce qu'est le travail, nous étions avant tout Grands-Synthois.
Quand nos équipes de foot ou de basket flanquaient une branlée à l'équipe adverse, on se foutait royalement de la couleur de peau ou de l'origine de celui ou celle qui avait marqué le but ou le panier décisif en ces beaux dimanches.
Le lundi, on retournait au taf pour gagner notre pain quotidien au bureau ou à l'usine. Tout le monde travaillait dur et gagnait peu.
Dans cette région frontalière, j'ai aussi appris à apprécier mes voisins belges-flamands, et j'ai noué, avec eux, des amitiés solides.
Lors des élections européennes de 1984, je tenais le bureau de vote de mon quartier (1100 électeurs) lorsque le Front national a réalisé un score de 30 %. En rentrant chez moi, dans mon appartement HLM, j'ai dégueulé. Je vous le jure.
Trente ans après, en ce matin du 7 décembre 2015, je découvre que 54 de mes concitoyens ocquevillais (31,40 % des suffrages exprimés) ont voté pour le FN et j'ai vomi tripes et boyaux aussi sec après le petit déjeuner. Sans compter les 184 abstentionnistes – je ne sais plus qui a écrit ça, mais il faut plus avoir peur du silence des pantoufles que celui des bottes – courageusement restés chez eux.
Je vis heureux à Ocqueville. Je m'entends bien avec mes proches voisins. Ici, c'est le calme, bien loin des tracas de la grande ville. On y bénéficie du grand air et je n'ai guère entendu de plaintes ni sur la sécurité ni sur la délinquance. Notre village respire la tranquillité. Normand d'adoption, j'aime ce pays de Caux. Je m'y sens bien.
Mais, mais, mais… Je sais que, désormais, je dois cohabiter avec 54 concitoyens qui ont choisi la haine et le rejet de l'autre. Comme je ne sais qui ils sont, ne vous étonnez pas de ma réserve si jamais je vous croise sur les chemins de notre village.
Dans l'hypothèse où mes concitoyens - qui font le choix du retour des femmes aux fourneaux, de l'abolition de la contraception, de la mise à disposition complaisante des réfugiés à leurs bourreaux, du travail forcé des chômeurs et, plus généralement, choisissent de renoncer à tous les progrès sociaux difficilement arrachés avec les dents depuis 1789 - voudraient me convaincre du bien fondé de leurs convictions, je les prie de ne pas me déranger, d'éviter de sonner à ma porte. Je suis susceptible de m'énerver.
Quelque-soit la responsabilité des irresponsables qui gouvernent ce pays depuis 40 ans, le mouton n'a aucune raison de voter pour le loup.
Ami(e) ocquevillais(ses) si tu as déposé ton étron dans l'urne communale ce dimanche 6 décembre, s'il-te-plaît, retiens ta diarrhée le 13...