Abel contre Caïn ? Pompée versus Brutus ? L'UMP, c'est le souk, en ce moment. Je n'y comprends que pouic. Je me suis dit que, pour piger ce qui se passe dans le parti d'opposition, il fallait que je me mette dans la peau d'un "militant" de l'UMP, paraît qu'il y a des militants à l'UMP. J'ai donc essayé un truc. Comme dans le bouquin de Stevenson, je me suis préparé une potion à base de Champagne, cidre, whisky et Kir. Il paraît que ce sont les boissons préférées des électeurs de l'UMP. Je l'ai bue d'un trait. C'était parfaitement dégueulasse. Puis je me suis mis dans l'ambiance.
Je me suis branché sur RTL pour m'imprégner du catéchisme libéral de François Langlet, le journaliste économiste chauve qui n'a jamais fait d'études d'économie, mais que les ménagères de plus de 50 ans aiment bien, parce-qu'il balance des énormités avec un bel aplomb.
Puis j'ai surfé sur les sites internet de l'UMP et des jeunes de l'UMP, car il y a des jeunes à l'UMP. Les jeunes de l'UMP, ils aiment bien Nathalie Kosciusko-Morizet, qui justement causait dans le poste pour expliquer que, si elle habitait le Doubs, elle voterait PS au deuxième tour de la législative partielle de dimanche prochain. Moi aussi je l'aime bien NKM. Elle est toujours tirée à quatre épingles, elle minaude comme nulle autre pareil en débitant des lieux communs comme des sentences définitives.
Après, sur youtube, j'ai écouté Doc Gynéco, Michel Sardou, Chimène Badi, Mireille Mathieu, Didier Barbelivien, Faudel et Johnny Hallyday pour m'imprégner de l'idéologie de l'UMP. Et c'est en tendant l'oreille vers les chuchotements inintelligibles de Carla Bruni, la chanteuse atteinte d'aphonie, que c'est arrivé. La potion faisait enfin son effet !
Vers 13 heures, j'ai été pris de convulsions, comme dans le film, « Dr Jekyll et Mister Hyde », la version de 1941 de Victor Fleming, avec Spencer Tracy, la meilleure.
Quand je repris conscience, je me sentis tout drôle. Je me suis mis à hurler "Sarko président !" Heureusement que ma femme n'était pas là, elle qui s'inquiète pour un rien dès qu'il s'agit de ma santé. Haletant, hébété, je me relevais, tout flagada. D'un pas hésitant, je me suis dirigé vers le miroir de la chambre. Il me renvoya une nouvelle image : les cheveux coupés courts, la barbe rasée de près, un loden, gilet, veste de bon faiseur, nœud papillon et une paire de richelieu cirée miroir aux pieds. De plus, j'avais un regard carnassier que je ne me connaissais pas. Ça y est, j'étais de droite, décomplexé.
Une fois essuyé le reste de bave aux coin de mes lèvres, je suis sorti tester ma nouvelle personnalité. Chez le marchand de journaux, j'ai acheté le Figaro, en doublant le troupeau de péquenauds qui faisait la queue, certainement des bolcheviques chômeurs et profiteurs. Je l'ai dévoré avant d'aller à la messe à Saint Nicolas du Chardonnet, en taxi. Pas question de respirer les miasmes des pue-la-sueur dans le métro. En sortant de l'église, j'ai discuté avec plaisir avec les vieilles à bas de contention et les vieux qui sentaient tout à la fois l'encaustique et l'eau de cologne.
À midi, affamé, je me suis jeté sur la tête de veau au Procope, arrosée d'un bon Côtes du Jura. Un peu éméché, je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai sauté dans un taxi pour rejoindre la banlieue z'en difficulté la plus proche pour y exhiber, de façon ostentatoire un pain au chocolat acheté chez Lenôtre (j'avais lu, dans le Figaro que c'est là qu'on y trouve les meilleurs). Mais une fois arrivé sur place, il n'y avait personne. Je suis donc rentré chez moi.
À 20H, j'ai mis TF1, la société de communication de l'UMP, depuis que Bygmalion a fait faillite, car Sarkozy devait y passer comme quasiment chaque semaine, vu qu'il y est chez lui. Dès qu'il est apparu à l'écran, en forme comme jamais, les épaules agitées, le verbe haut et vulgaire comme lui seul en a le secret, les convulsions sont revenues. J'ai bien essayé de me lever, mais je me suis évanoui. C'est ma femme qui, rentrant de chez sa sœur qui m'a réveillé, « ça serait bien que tu arrêtes de boire... » Même quand elle me fait des reproches, elle me parle toujours avec affection, ce qui est pire que si elle m'aboyait dessus... Mais je digresse.
Aussi sec, je me suis rendu devant le miroir. J'avais repris apparence humaine. Ma bedaine, mon jean éculé et mon vieux pull mité, les cheveux hirsutes et la barbe de trois jours. J'ai balancé le pain au chocolat et le Figaro à la poubelle et me suis définitivement interdit de recommencer l'expérience.
Et je n'ai toujours rien compris à ce qui se passe à l'UMP.