Épisode 9
Mardi 22 avril 2014
Décidément, la situation ne s'arrange pas rue du Faubourg Saint-Honoré. Comme le disait jadis Jacques la Chirouette, l'un des prédécesseurs de l'Abbé : « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille. » Il y a quelques jours, les libellistes d'une obscure publication cybernétique, La Grazouille, la Gazette qui gratouille, a révélé les turpitudes d'Aquilino le Cupide, plume et premier convers de l'Abbé. L'individu, par ailleurs carabin se révélerait aussi habile à se faire cirer les pompes par les gueux qu'à cirer celles des puissants. Ceci ne serait point si grave si La Grazouille ne faisait également état que Le Cupide aurait naguère indûment empoché quelques émoluements illégaux de firmes apothicaires en usant de ses hautes relations au Ministère de la santé. Le Prieur a décidé de réagir immédiatement. Il a mandé Frère Laurent le Discret, le Ministre des affaires étrangères, afin de prendre son conseil...
Le Discret entre dans le bureau du Prieur, se remémorant avec nostalgie l'époque où il officiait en ces lieux, au temps béni de Saint François de Latche.
- Bonjour, Prieur.
- Bonjour Frère Laurent. Nous sommes une fois de plus plongés dans la bouse. La Grazouille, notre ennemi juré, vient de révéler les pratiques douteuses du premier convers de l'Abbé.
Frère Laurent est impassible. Son visage ne laisse rien passer de ses pensées. Il ne perd jamais son sourire à la Mona Lisa. Il ne se laisse jamais aller à la colère depuis ce fameux débat raté avec Jacques la Chirouette il y a maintenant quelques lustres, où sa vraie nature, impérieuse et orgueilleuse avait éclaté aux yeux de la populace collée devant les étranges lucarnes.
- C'est toujours la même chose, Prieur. Nous connaissons les faiblesses de nos correligionnaires du Sanctuaire . Nous savons que bien d'entre-eux sont sujets à complaisance lorsque prébendes et autres indulgences nécessaires à des trains de vie parfois trop dispendieux leur sont offertes. Nous attendons toujours que les libéllistes s'emparent de quelque affaire pour réagir.
- Je sais, Frère Laurent. Personne n'ignorait l'appétit d'Aquilino pour le faste et le lucre. Que devons-nous faire ?
Le Ministre des affaires étrangères réfléchit quelques instants avant de répondre.
- La populace a de la bénignité quand de telles crapuleries émanent de notre opposition. Après tout, l'argent, l'escroquerie, la corruption sont inhérents aux valeurs qu'elle défend. D'ailleurs, nombreuses sont les crapules issues de ses rangs qui ont été élues ou réélues lors des élections paroissiales. À nous, qui nous prévalons de la droiture et de l'honnêteté, les gueux ne nous pardonnent jamais nos brebis galeuses.
Le Prieur est légèrement agacé. Les arguties philosophiques ne l'ont jamais intéressé.
- Au fait, Frère Laurent, au fait.
- Nous ne devons pas faire les mêmes erreurs commises lors du cas de Frère Jérôme. Nous avons trop tergiversé. Demandez à Aquilino le Cupide de remettre immédiatement sa démission. Il n'est que du menu fretin. L'affaire se dégouflera peut-être... En tout cas, on ne pourra nous reprocher d'être restés inertes.
- Merci Frère Laurent, c'est ce que j'envisageais de faire. L'Abbé n'a d'autre choix et s'inclinera. Je suis désolé, je dois écourter notre entrevue. Je dois recevoir une délégation de nos frères du temple bas. Il souhaitent que j'oigne d'un peu de vaseline le plan d'austérité de 50 milliards alors que l'Abbé n'a mis à ma disposition que l'écarteur anal dont nous usons depuis près de deux ans.
Silencieusement, comme à son habitude, Le Discret sort du bureau du Prieur.
(À suivre)