Est-ce le bon moment ? En ais-je vraiment envie ? Et puis, ais-je vraiment le temps nécessaire à lui consacrer dignement ?
Je me dois de penser au travail du torcedor qui l’a soigneusement préparée à mon intention, alors que nous ne nous connaissons ni l’un ni l’autre. Il est beau, ce cigare, avec sa cape soyeuse. Je le tâte encore, le contemple.
Je le hume une fois de plus, retardant le moment d’y porter le feu comme si j’avais peur de l’abîmer, de gâcher sa splendeur, alors que je sais que je vais le réduire en cendres.
Vitole, cigare, module, puro, féminin et masculin se disputent entre mes doigts fébriles et hésitants. Diantre, c’est une responsabilité ! Il faut respecter le travail des planteurs de tabac, de celles et ceux qui ont fait sécher et fermenter les meilleures feuilles avant de les confier aux manufactures où chaque module a été totalmente hecho a mano, en Cuba, Honduras, Nicaragua et Dominicana.
C’est inéluctable. Il faut que je coupe la tête.
De quel instrument vais-je user ? Guillotine ? En V ? Un poinçon ? Qu’importe, il faut que je procède, l’important étant que je ne rate pas le geste, la suite de l’aventure en dépend. L’outil demande à être bien aiguisé et le geste assuré.
Ouf ! Le coup a réussi. J’aspire à cru le module choisi. Aujourd’hui, c’est un Tempo de Flor de Selva, produit par Maya Selva, une franco-hondurienne. Un puro conséquent, un pajero, plus long qu’un robusto mais plus court qu’un churchill. Le robusto est mon format préféré, mais quand j’ai le temps, un tempo me convient.
Il est temps d’y mettre le feu. La mode actuelle nous convie au briquet torche. Il paraît que ça va plus vite et, surtout, que l’on peut allumer son puro même par grand vent. Mais je trouve que c’est brutal. Je n’allume jamais un cigare par grand vent. Je préfère la flamme douce d’un Dupont vintage (ligne 1 BR) au fond d’un fauteuil moelleux.
Je caresse d’abord au feu le pied de mon module tourné doucement entre mes doigts, puis je le porte à ma bouche. Je continue ensuite l’allumage, toujours en tournant le puro. J’en tire petit à petit de premières bouffées. Surtout ne pas inhaler la fumée Ce n’est pas une vulgaire clope! C’est la saveur et rien d’autre que la saveur et les effluves. Et puis, très vite, je passe le pied sous mes narines.
J’en savoure chaque étape, le foin, le divin puis son purin. Je le fume jusqu’au bout. Je le laisse enfin s’éteindre tout seul, comme un souvenir cher.
C’était un cigare. Quelques jours vont se passer avant que je savoure le suivant. Laissons du temps au temps.
* Clin d'oeil à Jean-Paul Kauffmann