Épisode 12
Lundi 27 mai 2014
En ce sombre lundi matin, l'Abbé a réuni le Conseil monastique au grand complet. Il ne s'agit plus d'une défaite, mais d'une débâcle. La diablesse de Montretout a raflé la mise en expédiant 24 de ses affidés au Temple du Saint-empire Bruxello-Germanique. Le Sanctuaire n'est plus qu'une coquille vide. Le Prieur prend la parole.
- Mon Père, j'espère que vous n'allez pas céder aux sirènes des traîtres qui ont refusé d'approuver les coups de hache dans nos dépenses. La sainte cassette est vide. La Margrave du Brandebourg et la Fraternité Saint Milton sont à nos trousses, prêts à mordre si nous ne remédions à cette situation.
Soeur Ségolène de l'égotitude lui répond sans en demander la permission à l'Abbé.
- Je remarque que cette deuxième raclée est bien plus sévère que celle du mois de mars, malgré votre engagement remarquable, Prieur. À Barcelone, votre pratique aisée du Catalan et du Castillan n'a pas plus été utile au Sanctuaire qu'à nos frères Ibères qui ont perdu quinze points dans les urnes.
Le Prieur lui rétorque sèchement:
- Sans votre discrétion inhabituelle pendant la campagne, le résultat eût été pire... Je vous en suis reconnaissant, soeur Ségolène.
Soeur Najat la Bienheureuse, en bonne élève, demande l'autorisation de s'exprimer. L'Abbé la lui accorde. Elle regarde chacune et chacun, avec son éternel sourire et sa dentition éclatante de blancheur.
- L'opposition est dans une situation dramatique. Le Baron de Meaux a été pris la main dans le sac par ses compagnons. Pour cet aigrefin, le cachot n'est pas exclu. Le Pilonneur, notre ancien frère Jean-Luc a bu le bouillon. Il n'y a donc pas que de mauvaises nouvelles...
- Que nos adversaires soient également à terre ne doit pas camoufler que nous y sommes également, souligne Frère Jean-Yves, le chef des gardes suisses...
- La polémique que vous avez déclenchée sur une hypothétique réduction de la cassette de nos forces armées n'a pas peu contribué à la déconfiture...
C'est Frère Michel le cellier qui vient de s'exprimer. L'intégriste de l'orthodoxie financière, tout de rigidité, a l'oreille de l'Abbé. Ses petits yeux porcins se tournent vers ce dernier pour obtenir son approbation. L'Abbé daigne enfin dire quelques mots.
- Allons, allons! Frères et soeurs, ne cherchons point en notre sein les raisons de la défaite. Il nous faut rester unis. Nous gardons tous les leviers du pouvoir pour encore trois ans. Nous boirons la coupe jusqu'à la lie puisque des volontés, contre lesquelles nous ne pouvons rien, exigent que nos ouailles avalent potion amère sur potion amère. Nous pouvons encore les convaincre que c'est pour leur bien et que le soleil brillera demain.
Ce soir, j'annoncerai sur toutes les étranges lucarnes que nous ne changerons pas d'un iota la route que nous traçons depuis deux ans. Après le capitalisme, le socialisme et le communisme, nous imposerons un nouveau dogme: l'austérisme. Une vie empreinte de frugalité et de modestie ne peut qu'élever la spiritualité d'une populace trop tournée vers les vains plaisirs de la consommation et une sécurité matérielle dont elle devra enfin se défaire. Saint Jean de Carmaux a lui-même toujours affirmé que l'égalité entre les gueux et les nantis prendrait un peu de temps. En attendant, si la Providence, dans sa grande sagesse, n'a accordé la fortune qu'à une poignée de privilégiés, elle a, heureusement, donné à toutes et tous l'esprit de sacrifice, condition nécessaire pour parvenir à la béatitude. La vraie noblesse ne réside point dans la possession, mais dans le dépouillement. Haut les coeurs! Le changement, c'est vraiment maintenant!
Sur ces fortes paroles, le Conseil monastique se disperse, défilant en silence devant les libéllistes qui resteront, pour une fois, sur leur faim.
(À suivre)