Épisode 10
Jeudi 24 avril 2014
Le Prieur a imposé à l'Abbé de se séparer de son Premier convers, Aquilino le Cupide, contre toutes les traditions. Le Père François a cependant tenu a recevoir lui-même celui qu'il chérit tant et depuis tant d'années afin de lui annoncer la mauvaise nouvelle. Il invite Aquilino à prendre place et s'assied à son côté, afin de le réconforter.
- Ne vous fatiguez pas, Mon Père, un courriel de Matignon m'a appris que j'étais écarté de vous. Tout ça pour quelques vétilles qui ont un peu gonflé ma cassette, mais sans commune mesure avec le fruit des manipulations de Frère Jérôme. Et puis, vous savez bien qu'il y a bien d'autres fripons avides autour de vous...
- Je sais, Aquilino. Mais vous avez peut-être un peu exagéré en ne vous cachant pas de la possession de trente paires de souliers provenant des meilleurs faiseurs. Vous savez que les feuilles des libéllistes sont friandes de ce genre de potins.
- Ces tatanes me portent autant malheur que les Berluti de Frère Roland en leur temps. Mais dans le fond, je n'en ai rien à cirer.
L'Abbé pose une main compatissante sur l'épaule de son convers.
- Vous connaissez la règle : ne jamais se faire prendre la main dans le pot à confiture. En ceci réside votre seule faute. Vous n'êtes ni le premier ni le dernier à être la victime des vautours jaloux aigris de leur incapacité à nous rejoindre au firmament. Nous allons procéder de la manière habituelle. Nous attendrons que la tempête se calme et, le moment venu, nous saurons vous offrir l'un de ces fromages au subtil parfum avec lesquels l'Abbaye sait remercier ses plus fidèles dévots. Tout le monde vous aura oublié. Vous retrouverez toutes vos aises et confort, croyez-moi.
Le Premier convers se jette aux pieds de l'Abbé et les baise avec ferveur.
- Ah, Mon Père ! Je vous enverrai mon cireur personnel afin de prendre soin de vos sandales et autres brodequins...
Le lendemain, l'Abbé est confronté à une situation délicate. Il doit se rendre à Carmaux, la ville sainte. Il s'agit de célébrer le centenaire de la revolvérisation de Saint Jean de Carmaux, dit aussi, Saint Jean de l'Humanité, selon les ordres rivaux, à la veille de la Grande guerre. À peine arrivé dans une ville bouclée par les gardes suisses, l'Abbé est hué par la populace en colère. Une pue-la-sueur l'invective.
- Vous êtes venu à Carmaux il y a deux ans et vous ne tenez pas vos promesses !
- Si, on les tient...
- Non, vous ne les tenez pas, mon Père. Pensez à nous. Saint Jean de Carmaux ne parlait pas comme vous et vous venez le saluer aujourd'hui ?
Alors que l'Abbé tentait de serrer quelques mains, derrière les barrières de sécurité, les gueux le huent à nouveau. Il semble ne pas comprendre la rage de la plèbe à qui il avait tant promis avant de se résoudre à servir puissants et nantis.
Comme si cela ne suffisait pas, il a décidé d'envoyer son Prieur à la capitale des calotins pour la canonisation, sorte de légion d'honneur locale, de deux papes décédés. Il s'agit de se faire pardonner par les grenouilles de bénitier qui ont protesté pendant des mois contre le droit de mariage accordé aux gueux de même sexe. Opération ratée. Le Prieur sera également conspué par la foule des dévots français venus se prosterner devant leurs idoles.
En ce dimanche soir, avant d'aller trouver le réconfort de sa favorite, le Père François médite sur l'ingratitude et la haine. Rejeté sur sa gauche, haï sur sa droite. La semaine prochaine promet d'être aussi rude que les précédentes. Outre-Atlantique, une importante manufacture a jeté son dévolu sur l'un des fleurons de notre industrie, menaçant de le dépecer, d'en extraire les seuls morceaux juteux et de bazarder les autres aux oubliettes avec des milliers de pue-la-sueur jetés à la rue qui se retourneront inévitablement vers l'Abbé, accusé une fois de plus de trahir ses promesses. Cette-fois-ci, Frère Arnaud le dépositaire, la marionnette brandie pour masquer l'impuissance des gouvernants, risque de ne plus faire illusion.
L'Abbé appuie sur un bouton afin de prévenir Kevin son scootériste, qu'il est temps, pour lui, de rejoindre la couche de l'aimée du moment...
(À suivre)