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Billet de blog 10 novembre 2009

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L'identité nationale : quézaco?

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par

Zohra GUERRAOUI
MCF de Psychologie interculturelle
Université Toulouse 2


Claude Lévi-Strauss vient de mourir au moment où Eric Besson lance son débat sur « l’identité nationale ». Quel lien, allez-vous me dire ? En 1983, cet anthropologue de renom avait dirigé un séminaire sur « l’identité » (PUF), non pas à des fins personnelles ou politiques, mais pour mieux comprendre, d’un point de vue scientifique, ce concept, et pour cela avait-il écrit « il s’agira de déconstruire la notion d’identité en récusant le mythe de l’insularité » et donc du repli sur soi. Depuis, cette notion est devenue objet de recherche de beaucoup de chercheurs de formations différentes (sociologues, anthropologues, psychologues, politologues, etc.).
Aujourd’hui, il nous est demandé de définir ce qu’est « être français ». Quelle gageure ! Peut-on définir une réalité aussi mouvante, aussi fluctuante que l’identité qu’elle soit nationale, culturelle ou personnelle ? En le faisant ne risquons-nous pas de la figer, voire de la rigidifier ? Si l’on revient à la demande d’Eric Besson, il s’agirait de nous prononcer sur l’identité nationale que nous pourrions définir comme l’ensemble de valeurs partagées par les individus appartenant à un même pays, une même nation.
Dans le cas français, il est souvent fait référence aux valeurs républicaines dont l’emblématique laïcité. Cette identité nationale, héritière d’une histoire mouvementée entre la monarchie et la république, entre le pouvoir politique et l’Eglise, prenant appui sur la philosophie des Lumières, se cristallise autour d’une représentation idéale du citoyen : celle d’un individu libéré de l’obscurantisme, avide de progrès, d’égalité, de liberté et de fraternité, défenseur des droits de l’Homme à travers le monde. Ainsi, l’identité nationale française se définirait comme une identité qui s’enracine dans des valeurs universelles, respectueuses de la dignité de l’homme, et qui de ce fait ne peuvent que susciter l’adhésion de tous. Mais qu’en est-il dans la réalité ?
Aussi nobles soient ces valeurs, il ne faut pas oublier qu’elles se sont souvent imposées par la violence à différentes périodes de l’histoire de France : celles de la Révolution de 1789, celles de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, celles de la 3ème République avec la volonté d’éradication des cultures régionales… Leur intériorisation est jugée nécessaire pour construire l’unité nationale. Tout autre valeur ne convergeant pas vers cet idéal républicain se doit alors d’être pourchassée et éradiquée sur tout le territoire français (métropolitain et outre-mer).
La politique d’assimilation est alors mise en œuvre. Tous ces hommes et ces femmes appartenant à différentes régions françaises ou venant des quatre coins du monde doivent se reconnaître comme appartenant à un même pays, comme concitoyens. Ils doivent se fondre dans un même moule culturel. Car ne nous y trompons pas, derrière l’identité nationale, nous parlons aussi d’identité culturelle et donc d’une conception de l’homme, de l’organisation sociale, familiale, des rapports de genre, des croyances, des comportements sociaux. Or aujourd’hui, ce qui est implicitement sous-tendu par le débat lancé par Eric Besson — qui ne l’oublions pas est ministre de l’immigration et de l’identité nationale — est que la diversité culturelle, réalité de la France — mais aussi celle de tous les pays du monde et pas seulement occidentaux — est un danger pour l’identité française et donc pour l’unité nationale française.
Cette diversité est d’autant plus perçue comme menaçante qu’elle ne se limite plus aux populations européennes chrétiennes. En effet, le discours récurrent est que les valeurs portées par les populations migrantes extra-européennes — et plus particulièrement musulmanes — sont incompatibles avec les valeurs républicaines. Ces valeurs « importées » sont jugées barbares, mettant à mal la dignité humaine et plus particulièrement celle des femmes, soumettant les individus au diktat de la famille et du groupe, leur refusant toute liberté de choix.
Partant de là, elles sont jugées inassimilables. Ces représentations réductrices, stéréotypées, occultant la complexité de tout groupe et la singularité de l’individu qui construit sa propre voie à travers les exigences groupales, familiales et sociales, font la part belle à l’idéologie de choc des civilisations telle qu’elle a été développée par S.P. Huntington (1996). Cette idéologie pose la rencontre entre cultures comme une confrontation, comme un rapport de forces, chacune cherchant à anéantir l’autre afin de s’imposer. Elle est pensée comme source de désordre social, de désagrégation de la communauté nationale.
Or que nous disent les études portant sur les rencontres interculturelles ? Que toute rencontre se traduit par du paradoxe alliant ouverture et fermeture. Celui-ci se manifeste par la transformation des personnes du fait de leurs interactions, mais aussi par leur préservation, du fait du désir de chacun de maintenir son identité. Dans cette situation paradoxale, trois processus contraires mais complémentaires s’articulent :
- l’assimilation, par les individus, de certaines valeurs de l’autre ;
- la différenciation, à travers la revendication, par chacun de certaines de ses spécificités ;
- mais aussi la synthèse originale par création de nouvelles réalités culturelles englobant les apports réinterprétés des uns et des autres. Cette réalité que C. Clanet (1990) nomme interculturation renverrait alors à l’intégration psychique d’une pluralité de références culturelles subjectivées par intégration mentale, réinterprétation… elles vont se combiner, interagir les unes sur les autres, et de ce fait ne sauraient être réductibles à aucun des pôles culturels en présence.
En quoi cette approche peut-elle nous aider à penser la question de l’identité nationale ? En ce qu’elle souligne que les identités se construisent dans des cultures continuellement modifiées, remodelées, réévaluées, dans ce jeu incessant de constructions actives, et surtout interactives de la part des individus qui les partagent. Des cultures-processus qui seraient le résultat de co-constructions intersubjectives.
Ainsi donc, les personnes d’origines étrangères ne s’assimilent pas à la culture de l’autochtone, mais à une culture qu’elles ont elles-mêmes contribué à façonner, à partir de leur propre dynamique subjective, de leurs expériences existentielles, de leur créativité. Mais ce que laisse entendre aussi cette approche est que les identités, qui, aujourd’hui, se (re)structurent dans la diversité culturelle, ne peuvent être appréhendées comme unes et indivisibles (Morin, 1987). Ce sont des identités plurielles (Clanet), des identités composites (Glissant, 1996 ; Laplantine, 1999), qui s’inscrivent non dans l’enracinement mais dans la relation (Glissant, 1999).
« Nous vivons dans l’illusion que l’identité est une et indivisible, alors que c’est toujours une unitas multiplex. Nous sommes tous des êtres poly-identitaires » écrivait Morin en 1987. Affirmation beaucoup mieux vérifiable aujourd’hui dans notre monde culturellement hétérogène. L’homme moderne, être composite, appartient en effet à plusieurs groupes, dont aucun ne suffit à le définir. Il est cet « être tissé de fils de toutes les couleurs » que nous décrit si bien Maalouf (1998) dans ces « identités meurtrières ». La France d’aujourd’hui est métissée, elle se nourrit des apports des uns et des autres, et les jeunes l’ont bien compris en réinventant leur langage et leur musique. L’identité nationale ne peut être substantialisée, elle procède d’un ajustement continuel et se reconstruit inlassablement dans le changement et la continuité.
La capacité d’un pays à intégrer la différence est gage de stabilité mais encore faut-il que celui-ci accepte l’altérité. Encore faut-il que cet autre ne soit pas stigmatisé car déviant de la norme du majoritaire. Encore faut-il que cet autre ne soit pas désigné comme la cause de tous les maux que traversent le pays et surtout comme venant mettre à mal la pureté du groupe qui, dans un réflexe défensif, fonctionne sur le fantasme d’une origine à reproduire à l’infini.
Filiation et affiliation ne doivent jamais être pensées comme s’excluant mais au contraire comme complémentaires. Se sentir d’ici et d’ailleurs est le lot d’une grande partie de l’humanité. Considérons-le comme une richesse et non comme un handicap. Ne laissons pas croire à ces millions de français venus d’ailleurs qu’ils ne sont pas d’ici. Ne brisons pas leur désir d’affiliation au groupe national en les renvoyant à leur filiation.
Je terminerai en citant E. Glissant : « Un pays est ouvert s’il n’érige pas ses propres valeurs en valeurs universelles mais essaye de faire la synthèse entre ses valeurs et les valeurs de l’autre » (Le Figaro du 27 et 28 juillet 2002)


CLANET C. (1990). L’interculturel. Introduction aux approches interculturelles en éducation et en sciences humaines. Toulouse, PUM.
GLISSAND E. (1999). Métissage et créolisation. In S. Kandé (éd.), Discours sur le métissage, identités métisses, Paris, l’Harmattan, 47-53.
GLISSANT E. (1996). Introduction à une politique du divers, Paris, Gallimard.
HUNTINGTON S.P. (1997). Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob.
LEVI-STRAUSS (1983). L’identité, Paris, PUF.
LAPLANTINE F. (1999). Je, nous et les autres, Paris, Le Pommier-Fayard.
MAALOUF A. (1998). Les identités meurtrières. Paris, Grasset.
MORIN E. (1987). Penser l’Europe, Paris, Gallimard.

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