Quelques généralités
Le terme démocratie (de dèmos, « peuple » et kratos, « pouvoir », « souveraineté ») désigne un corpus de principes philosophiques et politiques suivant lesquels un groupe social donné organise son fonctionnement par des règles élaborées, décidées, mises en application et surveillées par l'ensemble des membres de ce groupe. Le système de la démocratie s'oppose historiquement aux systèmes monarchiques ou oligarchiques où le pouvoir est détenu et transmis au sein d'un petit groupe.
On résume souvent ce corpus de principes de la démocratie par la formule d'Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », énoncé qui a été introduit dans la constitution de 1958 de la Cinquième République française. Toutefois, les régimes politiques sont, le plus souvent, distingués grâce à la séparation des pouvoirs. Elaborée par Locke et par Montesquieu, la théorie de la séparation des pouvoirs vise à séparer les différentes fonctions de l’Etat, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines.
Tout ceci au niveau des principes. Dans la réalité de la mise en œuvre de ces missions souveraines, un sentiment s’est accentué en moi au fil du temps, tout au long de ma vie. Sentiment d’une emprise grandissante du pouvoir exécutif et d’une espèce d’avancée lente mais continue, vers un pouvoir de type oligarchique. Ceci, jusqu’à éveiller en moi malaise et découragement. Même si un détenteur du pouvoir change, il est, le plus souvent, remplacé par un alter ego, ou en tout cas quelqu’un qui lui ressemble comme un frère. Ce qui rend compte du fait que, lors de la constitution de son gouvernement, le Président de la République actuel ait pu recruter plusieurs de ses ministres et secrétaires d’état dans le camp des opposants… Si leurs options politiques avaient été foncièrement différentes, un tel recrutement eût relevé de l’absurde…
Quelque chose comme une hypothèse
Ces généralités pour signaler que j’ai particulièrement apprécié un « dossier » paru dans le « Marianne » N° 572 du 5 Avril 2008, ayant pour titre « La tyrannie des minorités », avec un article de synthèse d’Éric Conan, une dizaine d’analyses de cas et de remarquables illustrations de Tignous. Certes, le dossier ne n’effacera pas complètement le malaise que j’évoquais par rapport au fonctionnement de la démocratie en France, mais au moins apporte-t-il un éclairage sur l’une des failles de notre système politique, dans lequel les minorités actives prolifèrent. Il semblerait que ce ne soit pas le pouvoir exécutif qui se renforce mais plutôt (nous pourrions dire « au contraire ») que celui-ci soit fortement influencé par des minorités actives qui le manipulent. « Tocqueville s’inquiétait de voir le processus de démocratisation, qu’il approuvait, livrer les sociétés à une possible ”Tyrannie de la majorité ”. Une prédiction inverse semble aujourd’hui plus pertinente : celle que Roberto Michels, un élève de Max Weber, énonçait au travers de sa ”loi sur l’oligarchie” selon laquelle un petit groupe bien organisé parvient à imposer ses intérêts, sa volonté, ses idées à un plus grand groupe rendu vulnérable par les divisions ou le manque d’organisation. » (E. C. p. 69).
Nous l’avons tous constaté : dans tous les domaines de la vie sociale (économique, culturel, politique…) des individus, des groupements, des associations… acquièrent une influence sans commune mesure ni avec l’effectif des individus concernés, ni avec l’importance sociale de la cause ou de l’activité dont ils sont les acteurs. Ils obtiennent du pouvoir politique des décisions, des financements… qu’ils n’auraient pas obtenus avec un fonctionnement « normal » d’une démocratie représentative car une majorité s’y serait opposée. Ce qui ne manque pas de poser des problèmes par la suite, puisque les avantages obtenus par des voies détournées, ne peuvent que s’opposer aux intérêts ou aux projets de la majorité.
Nous allons reprendre quelques exemples présentés dans le dossier de « Marianne », en y introduisant des interprétations et commentaires personnels… Ceux qui rechercheraient d’autres exemples pour étayer nos approches peuvent consulter — nous pensons avec profit — le dossier sur « La tyrannie des minorités » auquel nous nous référons.
Éducation nationale ; « La main mise d’un quarteron de pédagogistes » (Natacha Polony)
Le constat des résultats obtenus par l’Éducation Nationale est, comme toujours pessimiste : niveau général en baisse constante, augmentation de l’illettrisme à la fin du premier cycle, désintérêt pour les disciplines scolaires etc. Ces constats ne s’appuient nullement sur des études comparatives, mais sur des impressions générales, des rumeurs… dont on sait qu’elles trouveront un écho auprès du public — chacun peut observer chez soi ou chez un voisin un enfant qui éprouve à l’école des difficultés — La faute à qui ? Aux enseignants bien sûr ; tantôt taxés de conservatisme — les enseignants ne savent pas s’adapter aux technologies modernes — tantôt de laxisme — les méthodes « actives » conduisent à l’inorganisation voire à l’indiscipline …—
Devant ces pseudo-constats, le pouvoir politique se doit de réagir, en s’appuyant sur les travaux de « commissions » dont les travaux sur les programmes de l’enseignement primaire viennent d ‘être soumis à la Commission des Affaires culturelles du Sénat (Voir le Blog de Claude Lelièvre ; « Des Sénateurs Pédagogues »).
- " la grille horaire des enseignements, bien que non encore publique, risque de consacrer bien peu de temps aux autres matières que le français et les mathématiques ".
- " Les nouveaux programmes opèrent une nette rupture de méthodes […]. Ils rappellent cette évidence de bon sens : la maîtrise de la langue passe par des automatismes et ceux-ci se constituent d’abord par l’entraînement et la répétition ".
Autant on peut admettre que les élus d’une démocratie représentative aient à juger de ce qui doit être acquis par tous les élèves pour ce qui concerne la scolarité obligatoire, autant il est aberrant que ces élus entrent dans des considérations pédagogiques en préconisant l’entraînement et le répétition afin d’acquérir des automatismes… Ce contre quoi s’insurgeait Jules Ferry, il y a plus d’un siècle :
-« … il se peut que l’éducation que nous voulons donner dès la petite classe nuise un peu à ce que j’appelais tout à l’heure la discipline mécanique de l’esprit. Oui, il est possible qu’au bout d’un an ou deux, nos petits enfants soient un peu moins familiers avec certaines difficultés de lecture ; seulement, entre eux et les autres, il y a cette différence : c’est que ceux qui sont plus forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, tandis que les nôtres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes " ( Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs du 19 avril 1881).
Et même Nicolas Sarkozy… mais avant son investiture :
-" Nous refusons d’entrer dans la question de savoir si c’est par des méthodes répétitives, participatives, ludiques ou autres que les enfants apprennent le mieux (…). C’est pourquoi nous garantirons la liberté pédagogique des enseignants ».
Comment peut-il se faire que le pouvoir législatif en vienne à préconiser des approches relevant de « l’évidence et du bon sens », fondées sur « les automatismes, l’entraînement et la répétition », affectant d’ignorer les travaux des pédagogues et des psycho- pédagogues du siècle dernier et d’ailleurs les nombreux travaux de recherche des enseignants et chercheurs contemporains ?
Manifestement le pouvoir va à l’encontre des positions des principaux intéressés : J’ai enseigné pendant dix ans dans un Institut de Formation des Maîtres et je puis garantir qu’une telle conception, de l’enseignement est fortement minoritaire, voire inexistante, tant dans la population des enseignants – formateurs, que des élèves futurs enseignants. Alors sur quoi ou sur qui s’appuient les concepteurs d’une telle réforme qui a de fortes chances d’être promulguée ?
- D’abord sur une tradition héritée de l’enseignement religieux qui, malgré l’intermède de la révolution de 89, a fortement sévi en France jusqu’à Jules Ferry et même bien plus tard puisque les effets s’en ressentent encore. La ritualisation des offices, la sacralisation des textes… sont transférées dans les classes — confessionnelles ou non — tandis que s’installent des stéréotypes culturels sacralisant les « formes » au détriment du sens… d’où les répétitions, le « par cœur », les automatismes… ce qui conduit à la chose la mieux partagée : « l’évidence de bon sens » du législateur.
- Ensuite sur une non prise en compte de l’enfant ou de l’adolescent comme acteur de son propre développement. L’enfant n’est pas un ordinateur qui enregistre des savoirs, mais un sujet actif et créatif qui doit (re)construire, pour lui-même, les connaissances… avec l’aide et les encouragements du maître… bien entendu. D’où le projet, tant de fois ressassé, de placer l’enfant au « centre du système éducatif »… projet resté jusqu’ici (sauf rares exceptions) lettre morte…
- Enfin une centration, depuis une vingtaine d’années, sur la « didactique » des disciplines, démarche qui consiste en une analyse des disciplines dans la perspective de les transmettre. Le recrutement des enseignants, y compris ceux de l’enseignement élémentaire, s’effectue à partir d’une licence «de discipline d’enseignement » (langues, mathématiques, géographie, lettres, philosophie…) ou de sciences humaines (psychologie, sociologie, …). Au cours de leur formation les futurs enseignants continuent de se polariser sur les disciplines à transmettre, y compris ceux issus des Sciences Humaines (qui ont un vide à combler), en oubliant l’importance des relations et la spécificité des destinataires…
En fin de compte, la commission des « Sénateurs Pédagogues » n’est représentative que d’une minorité des éducateurs. Elle vise à emporter une adhésion d’une majorité citoyenne en proposant, sous le sceau du bon sens, un renforcement des stéréotypes pédagogiques rassurants… Rassurants pour quiconque n’a jamais pris conscience de la complexité des situations pédagogiques et de l’éducation en général.
Corse : La faction des indépendantistes contre le peuple. (Éric Conan)
Pendant plusieurs décennies, les indépendantistes ont occupé le devant de la scène politique en Corse et, à certaines périodes, à Paris même. À titre d’exemple, évoquons l’assassinat du préfet de Corse, Claude Érignac , le 6 février 1998 à Ajaccio, abattu par trois balles tirées dans la nuque à bout portant. Les indépendantistes ont pris une importance telle, dans un imaginaire collectif, que des ministres du gouvernement de la France — Deferre, Joxe, Pasqua, Jospin, Sarkozy — en ont fait leurs interlocuteurs privilégiés pour rechercher des solutions aux problèmes de l’île.
Comme le résume très bien Éric Conan : « Choyés, courtisés, subventionnés, les indépendantistes offrent l’un des exemples les plus aboutis de succès minoritaire. Et l’un des plus archaïques, car fondé sur l’argument le plus primaire de l’entreprise minoritaire : l’intimidation par la violence » (É. C. , p. 74). Fondé aussi sur le mépris de l’autre différent, comme en témoigne le discours d’un élu Corse, Paul Quastana : «Il n'est pas possible qu'en France, ils nous comprennent. Ils n'ont pas la même cervelle que nous! Les Français doivent comprendre qu'il faut qu'ils s'en aillent! L'indépendance, nous allons la gagner ici, nous n'avons plus rien à attendre de Paris, de l'Etat et de son gouvernement ».
Les arguments « décisifs » que constituent les attentats, les assassinats, les menaces les propos racistes… ont permis aux indépendantistes d’obtenir, au niveau politique, une influence sans commune mesure avec leurs effectifs réels. Chaque année, le mouvement indépendantiste n’a jamais réussi à réunir à Corte plus de 2 000 militants, ce qui, pour 200 000 Corses, représente à peine 1% de la population. Au niveau électoral, les partis indépendantistes restent confinés à des scores très inférieurs à ceux du Front national.
En dépit de sa non représentativité cette minorité active négocie, sous le gouvernement Jospin entre 1998 et 2001 dans ce qu’on a appelé « le processus de Matignon », un texte de loi devant aboutir à un règlement politique de la question corse. « Ces deux années de rencontres, de consultations, de débats, de ruptures et de réconciliations ont rythmé la vie politique corse et nationale dans un contexte où la violence, les crimes et la répression ne cessèrent jamais vraiment dans l’île. Ouverte et publique la méthode avait de quoi surprendre, drainant avec elle l’espoir d’ouvrir enfin un chemin vers la paix. »
Plus tard, cette minorité concoctera avec Nicolas Sarkozy une ènième réforme. Les négociations aboutiront à un référendum sur la modification de l'organisation institutionnelle de la Corse, le dimanche 6 juillet 2003. Le projet de modification fut rejeté (51 % de non, 49 % de oui, pour 60 % de votants).
Ainsi a pris fin, au moins provisoirement, une complaisance parisienne pour une minorité violente et mafieuse qui prétendait parler au nom du peuple corse. Il s’en est donc fallu de peu pour qu’une minorité agissante, utilisant la violence, la haine, l’intimidation… l’emporte sur une majorité silencieuse ou indifférente. Aussi avons-nous du mal à comprendre un commentaire de Libération au lendemain d’une manifestation contre la loi Debré de maîtrise de l’immigration, approuvée par la majorité des Français : « Il y a là une minorité morale suffisamment forte pour valoir toutes les majorités silencieuses » !!! N’importe- quelle minorité devient « morale » lorsqu’elle incarne des valeurs qui sont les nôtres… La minorité « morale » des indépendantistes vaudrait-elle mieux que la majorité silencieuse qui a osé dire non à l’intimidation et à la violence abjecte?
Fiscalité : Une loi pour le clan des superriches. (Hervé Nathan)
Les super riches sont, en France, un petit millier. Le patrimoine de chacun d’eux atteint, en moyenne 15 300 000 € soit, pour ceux qui ont encore pour référence notre ancienne monnaie, plus de cent millions de Francs… (à multiplier par cent pour ceux qui en seraient restés aux « anciens francs »). De telles sommes échappent aux cadres de référence du commun des mortels dont je fais partie …
Ces « superriches » vont se partager 263 millions d’euros qui leur sont rétrocédés grâce au « bouclier fiscal » mis en place par Villepin puis renforcé par Sarkozy. Bouclier fiscal dont l’article 1 stipule que « Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus ». Ainsi, nos « superriches » vont-ils recevoir du percepteur, un chèque correspondant au trop perçu de leurs impôts (impôt foncier, impôt sur le revenu, CSG, taxe d’habitation) pour l’année 2007. En attendant un nouveau chèque, probablement plus élevé encore, pour le trop perçu d’impôts de l’année 2008…
Or, la situation budgétaire de la France est plutôt alarmante : le déficit de l’État approche les 37 milliards d’euros, la dette publique dépasse les 100 milliards… En regard de ces « gouffres », ces vingt dernières années, la tranche supérieure de l‘impôt est passée de 65,5% à 40%, l’impôt sur les successions ne concerne plus qu’un décès sur huit grâce au relèvement du seuil d’exonération bien au-delà du niveau « moyen », et, bien sûr, le bouclier fiscal vient garantir aux « superriches » l’accroissement de leur patrimoine. On ne peut que réitérer la question qui nous absorbe : comment, dans une démocratie dite représentative, une minorité — un millier de personnes — peut-elle imposer ses lois qui nuisent à une majorité de plus de soixante millions de citoyens ?
Bien sûr ces lois sur la fiscalité ne sont pas issues d’une démocratie représentative mais résultent du formidable « lobbying » — selon Farnel, « le lobbying est une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement les processus d'élaboration, d'application ou d'interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics. »— lobbying donc, auquel se sont consacrés ces « pauvres riches persécutés par la fiscalité française ». Ces « superriches » ont à leur disposition la casi totalité des média puisqu’ils les possèdent ou les financent, ce qui les autorise à justifier auprès du « peuple » le bien fondé de leurs projets et agissements.
D’abord viennent — pour la forme — des justifications théoriques, dans une logique influencée par l'économie de l'offre, de Robert Mundell et d'Arthur Laffer ; en particulier la Courbe de Laffer se base sur l'idée que « trop d'impôt tue l'impôt ».
On invoque aussi l’unité de l’Europe, dans laquelle plusieurs pays ont aussi mis en place un mécanisme spécifique de « bouclier fiscal » : Danemark, Espagne, Finlande, Suède, Allemagne.
Bien évidemment ces arguments ne sont pas en mesure d ‘emporter l’adhésion des citoyens. En revanche, l’attention valorisante et admirative portée par les média aux quelques milliers d’expatriés fiscaux en Belgique ou en Suisse élève certains d’entre eux au rang de vedettes : Denis Payre, ex patron de Business Object ; Lotfi Belhassine, ex PDG d’air Liberté ; une cousine de François Mitterand ; Alain Delon ; Johnny Hallyday… etc. etc. Situation renforcée et valorisée par la campagne électorale de Nicolas Sarkozy qui a été, selon l’expression d’Hervé Nathan, « un point d’orgue de bourrage de crâne antifiscal ». « Quand tant de nos artistes, de nos créateurs, de nos chercheurs se disent qu’il faut partir, c’est que notre pays a un problème », affirmait à la télévision le candidat de l’UMP. Celui-ci affirme par ailleurs qu’il « comprend » l’exil fiscal de son ami Johnny…
En bref, cette offensive médiatique a conduit à des réformes, qui tendent à exonérer les plus aisés et les plus minoritaires des Français de l’effort commun, conduit à des questions que nous adressons à Monsieur Sarkosy devenu depuis Président de la République : «N’y aurait-il aucun autre moyen pour atténuer la dette publique et diminuer le déficit de l’État, que celui qui consiste à diminuer les impôts des superriches afin que ceux-ci puissent investir à l’étranger leurs capitaux ?? Serait-il amoral, voire sacrilège, de promouvoir une loi qui oblige à déclarer aux services de l’État français les bénéfices ou les revenus réalisés sur le sol de France ou ailleurs ?? ».
Bien sûr, les responsables de la majorité ont compris que les mesures fiscales mises en œuvre par Sarkozy au lendemain de son élection, ont contribué à la chute de popularité du nouveau président dans l'opinion, (Voir l’article de Laurent Mauduit dans Médiapart du 6 mai 2008) l'idée de réformer les «niches fiscales » est donc apparue et a fait son chemin. « Mais pas dans le souci d'engager une réforme fiscale d'envergure et encore moins de reprendre d'une main, au printemps 2008, ce qui a été donné de l'autre, presque un an auparavant. Plutôt dans celui de prendre quelques mesures de portée symbolique. Uniquement symbolique... » (L. M .) Ce à quoi les conseillers du gouvernement sont parvenus puisque la réforme peut se résumer par la formule : « il ne faut pas limiter les gains des « niches » (fiscales) mais les répartir plus largement ». En fin de compte « Une très grande campagne de communication pour accréditer l'idée que quelques avantages indus vont être rognés ; et, en fin de compte, une réforme a minima ; une mini-réformette. Puisque même la gauche a applaudi, n'est-ce pas la preuve que l'opération a été habilement menée ? » (L. M.)
Donc, grâce au « lobbying » et à condition d’être très riche, on peut ne pas payer ses impôts en France, être au dessus de la loi commune. Bien sûr, si nous savions cela, si nous en étions intimement convaincus, nous éviterions, lors des prochaines élections de voter pour des représentants qui n’annulent pas de tels privilèges… Mais nous ne le ferons pas puisque nous nous sommes laissés prendre à une logique de l’évidence et du bon sens (éducation), de l’intimidation (nationalistes corses), du lobbying (superriches)… Serions-nous en bute à une crise du politique, lorsque celui-ci se targue d’être l ‘émanation d’une majorité ?
En guise de conclusion : Une crise du politique ?
Nous aurions pu multiplier les exemples dans lesquels des minorités actives sont à l’origine de décisions politiques importantes, concernant une majorité de citoyens en désaccord avec les lois ou réformes prescrites… Lois ou réformes qui d’ailleurs n’aboutissent pas dans tous les cas. Ainsi les Corses ont-ils désavoué, par voix référendaire, Nicolas Sarkozy qui avait cédé à une minorité indépendantiste. De même, le gouvernement avait fini par accepter, en 2003, des élus de la Guadeloupe et de la Martinique, une réforme constitutionnelle accordant un pouvoir législatif aux Antilles. Cette proposition fut nettement rejetée par référendum dans les deux îles. Dans les cas que nous venons de citer, la totalité des citoyens concernés ayant pu s’exprimer, les décisions prises sont conformes aux principes de la démocratie.
Mais il y a eu aussi, le 29 mai 2005, le référendum sur le traité constitutionnel européen ? Ce traité a été rejeté en France par 54, 67% de non. En 2007 le traité constitutionnel européen est remplacé par le traité de Lisbonne dont Giscard-d’Estaing dit qu’il ne s’agit que d’une « pâle copie » du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, dans laquelle seule le forme a été changée mais pas le contenu. Le nouveau traité va être appliqué sans être soumis à l’approbation des citoyens. Il est vrai que les précédents revers — Corse, Antilles, premier Traité européen — ont fortement accentué l’allergie des élites françaises à tout ce qui ressemble à un référendum. Ce mode de consultation constitue pourtant « le meilleur antidote aux pouvoirs usurpés des minorités, et que de nombreux pays européens utilisent régulièrement » (E. C. p. 75).
Il y a donc une crise du politique dans la mesure même où le gouvernement parvient à imposer un traité démocratiquement refusé par référendum. Ainsi, Raymond Boudon estime que cette crise du politique est liée au déclin de la démocratie représentative : « Renouveler la démocratie, c’est renouveler la démocratie représentative. Si la France se singularise par rapport à des pays voisins par un pouvoir plus grand de la rue et des minorités actives, c’est qu ‘elle s’est écartée du modèle de la démocratie représentative. » (Cité par Éric Conan). Sur cette question, le sociologue renvoie dos à dos Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy :« Il faut renforcer l’ossature de la démocratie représentative, sans céder aux mirages de la démocratie participative ou aux facilités de la prétendue fatalité de la démocratie de communication. Tocqueville avait déjà diagnostiqué que le poids excessif de l’exécutif était la cause de la faiblesse du pouvoir politique en France. » (R. B. cité par Éric Conan).
Nous ne saurions dire mieux. À ceci près que la démocratie de communication par laquelle certain président prétendait renouveler le politique montre, chaque jour, ses limites… Il est vrai que ledit président confond communication et spectacle ; une communication vraie est nécessairement bilatérale, interactive… elle implique une participation… non sous forme de mirage, mais une participation réelle des citoyens dont les formes et les modalités restent, en grande partie, à inventer. « La démocratie participative n’est pas une option ; elle est inévitable parce que les gens n’acceptent plus une politique qui leur est imposée. » (Ségolène Royal).
Dommage que notre institutrice de grande section de maternelle ne nous ait pas initié à la démocratie participative… Cela aurait peut-être changé le cours des choses !