La Réunion est toute de terre cuite, la poudreuse imprègne l’air, la végétation est brûlée, en plusieurs endroits, les espaces verts sont de véritables paillassons. Les sols sont durs, quasiment stériles. À Saint-Denis, le "Cœur Vert" n’a plus rien de palpitant aux yeux des promeneurs ; à Sainte-Suzanne la cascade Niagara, n’offre plus qu’un anémique filet. À Saint-Benoît, sur la route des Plaines, le Grand Étang n’est plus digne des cartes postales. Quant aux populations du Tampon et de Sainte-Marie, elles doivent composer avec de fréquentes coupures d’eau.
"Chez moi, la pelouse du jardin n’est plus qu’un tapis-brosse. L’arrosage ne suffit plus. D’ailleurs avec le vent de ces derniers jours, l’eau n’arrive même pas au sol, elle part tout de suite à l’horizontale," se désole Ernest, habitant de Bois de Nèfles sur les hauteurs du chef-lieu.
Campagne sucrière écourtée
L’ouest de l’île est rarement balayé par les alizés, mais, à en croire les agriculteurs, les sols seraient tellement secs que l’eau est très vite absorbée. "C’est à peine si 100 mètres cubes à l’hectare suffisent" note Bernard. Pour lui comme pour bon nombre de ses frères de la terre, la présente campagne "est à oublier bien vite". Selon ses estimations les pertes d’ici la fin de l’année pourraient être de l’ordre de 35 à 40 % en moyenne. "Depuis le mois de mars, nous n’avons eu aucune pluie et les deux cyclones du début de l’année, n’en ont pas apporté beaucoup non plus. L’engrais que l’on a répandu dans les champs en début d’année n’a pas été dilué, tellement tout était sec."
Il y a bien l’irrigation issue du basculement des eaux d’est en ouest, mais, d’après notre interlocuteur, les sols seraient tellement épuisés que cela ne suffit pas. "La sécheresse à laquelle nous sommes confrontés actuellement, fait suite à deux saisons déjà éprouvantes. Aujourd’hui, cela fait beaucoup."
D’habitude, pour Bernard la campagne court jusqu’à décembre. Cette année la donne est différente. "Dans deux à trois semaines, je pourrai ranger le matériel. Je compterai 200 tonnes de moins que les années précédentes. Je serai, tout juste, à un total de 400 tonnes. Cela fait 13 ans que je suis sur l’antenne 4 et c’est la première fois que je vis ça."
Sur Bellemène, aux dires de notre interlocuteur, c’est encore plus grave. "Là-haut, chez certains agriculteurs, la canne ne fait pas plus de 40 centimètres de haut, si bien qu’ils ne peuvent rien couper cette année." Dans le sud, sur certaines parcelles, les cannes coupées l’an passé atteignent péniblement les 150 centimètres. Face au phénomène, Jean-Bernard Gonthier (président de la Chambre d’Agriculture) a déjà mobilisé les services de l’État. "Pour une quarantaine de planteurs de la zone ouest, confrontés à des problèmes de trésorerie, nous demandons un revenu minimum étalé sur une durée d’un an. Il le faut bien." A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.
En début de semaine, l’arrivée d’un front froid a fait se lever un vent d’espoir, mais les quelques nuages qui se sont liquéfiés ici et là n’ont pas donné beaucoup plus qu’un frisson d’eau. Maintenant que le nouvel été commence à prendre ses quartiers, peut-on s’attendre à quelques ondées dans les semaines, voire les mois à venir ? C’est du domaine du possible, mais il faut garder à l’esprit que la saison sèche court jusqu’à fin novembre. Plus que jamais l’eau du ciel est attendue avec impatience.