En venant réaffirmer la souveraineté française sur les îles Éparses, le ministre des Outre-Mer n’a pas franchement fait dans la mesure d’austérité à une période où l’administration des Taaf est, elle aussi, soumise aux restrictions budgétaires.
La ballade de la mer salée, c’était la première aventure de Corto Maltese dessinée par Hugo Pratt en 1967. Pour « Toto » Lurel et son épopée éparse de 2013, on serait plutôt tenté d’évoquer une balade à la note salée, tant le ministre des Outre-Mer et son cabinet ont tenu à faire les choses en grand. Quitte à bousculer quelque peu les petites habitudes de la micro-préfecture des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), certes plus accoutumée à accueillir scientifiques barbus ou jeunes hivernants en veste polaire que de si distingués serviteurs de l’État.
Alors bien sûr, en plein débat sur la cogestion de Tromelin avec Maurice (merci au député Folliot d’avoir mis le sujet sur le tapis), la première visite depuis belle lurette d’un ministre français sur ce caillou si précieux pouvait avoir quelque sens. Mais en ces temps de serrage de ceinture généralisé, fallait-il pour autant « détourner » le Marion-Dufresne de ses missions habituelles pour cette escapade d’1h30 en terre inconnue ? On peut rappeler que, pour convoyer Sa Souveraineté Lurel, le navire ravitailleur des Taaf a dû reporter une mission en Amérique du Sud et poireauter cinq jours à quai au Port, perdant ainsi autant de journées de location par l’institut Paul-Émile Victor (Ipev), son habituel affréteur, et une petite rente de 150000 euros. Pour un bateau déjà immobilisé de longues semaines à la suite d’une avarie dont la facture dépannage/réparation s’est élevée à 2,5 millions d’euros, la rentrée d’argent n’aurait pas été malvenue.
UNE TRAVERSÉE À 80 000 EUROS
D’autant que l’aller-retour Réunion-Tromelin, soit une quarantaine d’heures de navigation, n’est pas non plus donné. Pour 1h30 sur place, on parle d’une dépose-minute à 80 000 euros les deux jours. En équivalent « chariot Lurel », c’est tout juste la somme des économies de 50 euros réalisées sur 1600 caddies du Leclerc Rivière-des-Pluies, destination un poil moins exotique du début du voyage ministériel.
Sauf que les chariots en question ne contenaient sans doute pas les langoustes à 68 €/kg, les légines à 48 €/kg ou les filets de renne de Kerguelen (au prix inconnu puisque commercialisés nulle part sur la planète) dont ont pu se délecter à bord le ministre et son aréopage, même s’il a quand même fallu se priver et se partager neuf filets de renne à quinze convives. Pendant que les membres d’équipage étaient réduits aux pâtes à l’eau et interdits de forum, cette salle en principe commune et symbole de la légendaire convivialité qui règne habituellement sur le Marion-Dufresne. Un tour de force puisque, jamais avant M. le mi-nistre des Outre-Mer, les règles de vie et de partage pour les travailleurs du bord n’avaient été re-mises en question, aussi illustre que fût la « personnalité » embarquée. À l’écart du bar, les marins auront, eux au moins, fait des économies sur la boisson ! En guise de consolation, ces derniers avaient l’obligation de porter un joli tee-shirt siglé Taaf, y compris les salariés de l’armateur CMA-CGM. Et gare à celui qui le tâche ! Le cambouis des machines n’est pas un excuse...
Autant dire que le Marion-Dufresne a vu s’envoler mardi avec soulagement la délégation ministérielle à bord d’un Transall C160 des Faszoi, destination Glorieuses. Sans doute soucieux de répartir les charges et éviter quelques jours de mal de mer supplémentaires à son patron, le ministère des Outre-Mer a cette fois mis à contribution l’armée pour la suite du périple. Trente tickets pour l’express Tromelin-Diego Suarez-Glorieuses-Réunion à 400 € pièce s’il vous plaît ! On passera vite fait sur la petite virée en tracteur sur Grande Glorieuse pendant que des dames marchaient par 35° degré à l’ombre, pour se dire que le ministre aura au final brillé par son sens de l’économie, de la simplicité et de la convivialité. Et dire qu’il lui reste encore à visiter Europa, Juan de Nova, Bassas da India, Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam et la Terre-Adélie pour conforter la présence française auprès des manchots, pétrels, albatros et otaries des Terres australes et antarctiques... D’ici là, le préfet des Taaf a intérêt à vendre moult poissons et carnets de timbres, voire des filets de renne, s’il ne veut pas plomber le plan gouvernemental de réduction du déficit budgétaire...
Sébastien Gignoux in le journal de l'ile de la Réunion - JIR*