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Billet de blog 11 avril 2018

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Cheminots : pourquoi tant de haine à leur encontre ?

Il faut que l’enjeu soit de taille pour susciter le déferlement de haine auquel on assiste depuis plusieurs semaines contre la SNCF et les cheminots.

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Il faut que l’enjeu soit de taille pour susciter le déferlement de haine auquel on assiste depuis plusieurs semaines contre la SNCF et les cheminots. Un pouvoir qui manie le mensonge et la duplicité, pour obscurcir la réalité de son projet et de ses conséquences. Des chaînes d’information en transes où des chroniqueurs incompétents en matière de transports viennent déverser contre-vérités et mépris de classe. Surcroit d’indécence quand des bénéficiaires de la suppression de l’ISF font la leçon à des hommes et femmes qui travaillent de nuit, en 3x8, en horaires décalés, le week-end, et qui touchent entre 1500 et 3000 euros par mois, primes comprises. Illustration du « nouveau monde » macronien ?

Comment croire que le changement de statut de l’entreprise n’augure pas une future privatisation alors que, dans le passé, c’est le même processus qui a conduit à la privatisation de France Télécom / Orange, et qu’une simple augmentation de capital permettra de l’amorcer ? Et l’ouverture à la concurrence à des opérateurs privés constituera bien une privatisation partielle du ferroviaire ! A court terme, ce nouveau statut entrainera une hausse des taux d’emprunts pour la SNCF et un alourdissement du remboursement de la dette. Et si la dette n’était pas reprise ce serait le coup de grâce !

Comment croire que l’ouverture à la concurrence dans des conditions obscures (inconnue sur les conditions de concurrence et sur une convention collective de branche protectrice) ne fragilisera pas la SNCF, n’entrainera pas un dumping social impactant le statut, et n’accélèrera pas la priorité aux activités rentables et l’abandon des autres ?

Comment croire que les petites lignes seront préservées quand on demande à la SNCF des efforts de rentabilité tels qu’ils ne permettront plus de maintenir des activités non rentables et que l’on réduit les dotations des régions chargées de subventionner l’exploitation ?

Comment croire ceux qui veulent supprimer le statut aux nouveaux cheminots alors qu’ils sont incapables d’expliquer en quoi cela résout quelque problème que ce soit, accréditant ainsi l’idée qu’il s’agit bien d’une mesure idéologique et symbolique prise à d’autres fins.

Aucune de ces mesure ne répond aux questions essentielles pour l’avenir du transport ferroviaire : les investissements nécessaires à la remise en ordre d’un réseau fragilisé par la priorité au TGV imposée par les gouvernements successifs, l’apurement de la dette constituée depuis des décennies par des choix politiques de construction d’un vaste réseau de lignes nouvelles à grande vitesse sans que l’Etat en assure le financement laissé à la charge de l’entreprise. Et sur ces questions décisives, on n’a que des palinodies de la ministre des transports et du premier ministre s’abritant derrière le respect des normes budgétaires européennes. Ainsi conçue, cette réforme n’apportera aucune réponse aux attentes des usagers, elle déstabilisera gravement le service public ferroviaire.

 Une autre réforme est possible, des propositions ont été faites, mais le gouvernement les méprise. Une réforme qui s’inscrirait dans les objectifs du Grenelle de l’environnement (passer de 14 à 25 % des marchandises transportées par voies ferrées et voies fluviales par exemple) et de la conférence de Paris sur le climat (pour une politique des transports favorable à l’environnement) dont prétend se réclamer le pouvoir. Une réforme qui répondrait au défi de l’aménagement équilibré des territoires et assurerait l’égal accès des citoyens. Une réforme qui actualiserait les missions de services publics pour mieux répondre aux défis d’aujourd’hui. Mais, pour cela, il aurait fallu poser les enjeux dans leur globalité et non d’un simple point de vue de comptabilité à court terme et de dogmatisme idéologique libéral.

 Comment ne pas voir dans la politique d’Emmanuel Macron une réponse différée à l’injonction formulée en 2007 à un autre président de la République — Nicolas Sarkozy — par le numéro deux du Medef de l’époque ? Dans la revue Challenges du 4 octobre, Denis Kessler s’exprimait ainsi : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie (…) statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme (…) La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».

 Sarkozy a mené des contre-réformes libérales, Hollande en a prolongé certaines. Des régressions sociales ont eu lieu, mais l’essentiel de l’architecture et de la philosophie du système avait perduré. Avec Macron, l’ambition est de détruire l’architecture et la philosophie du modèle social issu de la Libération. L’enjeu est de taille. Au lendemain de la Libération, dans un contexte d’union nationale contre la collaboration, dans un rapport de force favorable au monde du travail face à un patronat majoritairement compromis, tirant aussi les leçons de la crise de 1929 qui avait conduit le monde à l’abîme, un ensemble de dispositions avaient été prises pour faire prévaloir l’intérêt général, l’égalité de traitement des citoyens, la maîtrise de l’économie, la protection des salariés, l’indépendance de la presse : nationalisations, services publics, protection sociale, Etat régulateur… Des mesures équivalentes se sont mises en place dans toute l’Europe de l’Ouest. En France, ce « modèle social » venait consolider le pacte républicain issu de la Révolution française autour de l’ambition d’égalité.

 Le patronat et la finance n’ont jamais accepté de voir leurs appétits de profits entravés par ces dispositions. Ils n’ont eu de cesse d’essayer d’y revenir sans y parvenir pleinement. Le vent a commencé à tourner avec la mondialisation capitaliste et les politiques libérales qui ont placé les travailleurs sur la défensive. Avec l’avènement d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, ils pensent le moment venu de porter le coup de grâce à ce pilier essentiel du pacte républicain. C’est que, jamais dans l’histoire de la V° République, un Président et ceux qui le servent n’auront été, à ce point, l’émanation et l’instrument du patronat et de la finance. Il est loin le temps où le Général De Gaulle pouvait affirmer que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ».

Le chantier de la déconstruction avançait au pas de charge (loi travail, assurance chômage, formation professionnelle, université, justice, privatisations…) sans que les résistances parviennent à l’entraver… jusqu’à l’obstacle représenté par la riposte des cheminots. Dès lors tous les moyens sont bon pour tenter de le briser car c’est la condition pour pouvoir poursuivre jusqu’au bout cette politique avec les prochains chantiers sur la sécurité sociale (maladie et retraite), les services publics et la fonction publique. En résistant au démantèlement programmé du service public ferroviaire, les cheminots portent la défense de l’intérêt général bien au-delà de leurs seules revendications. Que leur digue vienne à céder et la contre-réforme libérale pourra déferler jusqu’au bout.

 Ce qui se joue est un enjeu de société. Pierre Bourdieu l’avait évoqué en 1995 : le triomphe du néo-libéralisme signerait « un recul de civilisation ». C’est-à-dire un retour à un capitalisme sauvage d’avant les régulations imposées par les luttes, un recul de l’ambition républicaine d’égalité et de solidarité. C’est pourquoi la lutte des cheminots est essentielle et la mobilisation de tous indispensable.

Claude DEBONS

Ancien secrétaire national puis secrétaire général de la Fédération Générale des Transports et de l’Equipement CFDT (1989 - 2004). Ancien membre du Conseil National des Transports. Adhérent CGT depuis 2004.

10 avril 2018

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