À Yann ARTHUS-BERTRAND
Objet : est-il encore possible de sauver la planète-homme
J’ai lu votre interview dans Ouest France du 27 décembre 2018. Depuis le ciel vous avez photographié et filmé la Terre. Vous avez été impressionné par les magnificences du miracle de la Vie et vous vous êtes efforcé de nous les faire connaître. Vous avez ressenti l’intelligence, la sagesse et la puissance créatrice du Vivant à l’œuvre sur cette Terre que nous disons « notre ». À sa façon Il vous a parlé. Il a interpellé votre conscience. Vous rappelant votre vraie filiation, Il a ravivé ce lien particulier, aimant, qui vous unit à Lui et donne sens à votre existence comme à celle de tout un chacun qui se place à son écoute, à son service. Vous permettant de ressentir combien votre destin était étroitement lié à celui de la planète et de l’humanité, Il vous a responsabilisé et missionné. Car une ombre ne cesse de s’étendre, telle une marée noire mortelle, sur ce qui reste de vie ici-bas : il vous a été donné de voir à quelles fins et comment nous utilisons notre puissance créatrice. Vos yeux ont été ouverts sur les conséquences du choix de l’homme de se développer en parasite intégral du miracle de la Vie, comme une tumeur létale, alors qu’il en est la quintessence. Mais cela nous ne voulons pas le voir, ni l’envisager.
Avec votre art, vous vous êtes engagé au service de la Vie, au service de l’Homme. Avec « Human » vous avez voulu toucher l’humanité en lui donnant la parole par de multiples voix, en lui permettant d’en voir de nombreux visages qui lui ont ouvert leur cœur. Escomptant que l’humanité se lève, vous avez essayé de raviver en elle, la conscience de son potentiel créateur et de ses responsabilités. Vous l’avez interpellée avec intelligence et délicatesse, en lui montrant qu’au-delà des différences de condition et de culture, les problèmes, les rêves et l’espérance étaient les mêmes partout, pour toutes et tous.
Avec Planète Océan vous avez voulu changer notre regard sur l’océan en nous racontant le grand mystère de notre planète. Vous avez voulu là encore nous responsabiliser, nous aider à croire qu’en nous levant nous pouvions rendre le monde meilleur et durable. Mais nous n’avons pas saisi la perche. Car en vérité, le grand mystère sur cette planète, plus que l’océan, c’est l’homme ! C’est l'homme qui, à force de mensonges, a rendu mystérieux tout ce qui lui a été livré : la conscience du miracle de la Vie et de soi, l’existence comme chemin d’accomplissement pour enchanter ce miracle et en révéler l’essence, le sens ! Toutes ses conceptions de l’homme au nom desquelles il s’entre-déchire et détruit la planète, ne sont pas sa réalité lumineuse. Ce sont nos conceptions de l’homme et de la Vie, religieuses, profanes et autres, qui nous font tourner le dos à leur réalité, à notre réalité lumineuse !
Avec « Woman » vous souhaitez sans doute rendre les femmes plus visibles. En effet, dans ce monde, leur statut est défini, décrété et légitimé par la moitié mâle de l’humanité, par la raison du plus fort. Le statut des femmes, au mieux de seconde classe, confine l’humanité dans un niveau d’infra-conscience et d’infra-existence dont elle n’a pu s’affranchir à ce jour. En suivant nos conceptions de l’homme et de la Vie, nous avons renoncé à notre statut réel de citoyen.e de la Terre et de l’Univers, à notre raison d’être cosmique. Le mensonge sur notre réalité, à l’origine de notre déchéance spirituelle, est le fondement de toutes les cultures en vigueur dans le village planétaire. Et le sous-statut des femmes qui en résulte, scelle notre déchéance autant qu’il en témoigne. Votre prochain film fera-t-il mieux que les lois des mâles en matière de « parité » ? Quel rôle jouera-t-il dans le réveil du féminin de l’Homme ? Contribuera-t-il à le mettre en marche ? Rappellera-t-il l’humain à ses responsabilités vis-à-vis de l’Homme, vis-à-vis du Vivant ? Je le souhaite mais j’en doute.
À travers ce triptyque, vous voulez nous faire réfléchir à trois facettes de la « question de l’homme ». Question qui se pose à tous et à toutes parce que sur Terre la conscience-existence, ce fruit si particulier du miracle de la Vie à qui il a été donné de prendre forme humaine, a choisi d’auto-expérimenter la face obscure de la problématique existentielle de l’Être ! L’état actuel de l’humanité et son évolution, le saccage et la pollution de l’environnement planétaire, la dérégulation climatique, notre aveuglement destructeur et notre inertie devant l’urgence, notre refus d’opérer le changement salvateur, posent en effet question ! Et je suis dans la même préoccupation que vous : les réponses apportées par ce monde aux questions existentielles de l’homme ne me satisfont pas. Elles nous conduisent, humanité et miracle de la Vie, droit dans le mur. Celui des ténèbres et de l’obscurantisme que nous créons, là où nous entraînent notre ignorance, notre dé-mission spirituelle, individuelle et collective, et les dirigeants de ce monde !
J’en suis arrivé à comprendre que la « question de l’homme » s’est posée à la conscience-existence humaine dès lors qu’elle a choisi de nier sa propre réalité et sa raison d’être, sur Terre et dans l’Univers ; dès lors que, se mentant à elle-même, elle a préféré expérimenter ses propres conceptions d’elle-même plutôt que sa réalité ! Ceci nous renvoie à la période charnière qui, à la fin de la préhistoire, a vu l’espèce « homo », déjà distinguée du règne animal, parvenir au stade ultime de son évolution, celui de l’imago dont la dimension est cosmique. La créature a alors été intronisée dans la dimension spirituelle du Vivant. Là où créée libre de ses choix, consciente des tenants et aboutissants de son existence, l’individualité s’est vue conférer par le Vivant, l’entière responsabilité de son devenir, individuel et collectif, l’entière responsabilité de son évolution dans l’Être (de l’Homme). La Genèse fait référence à cet évènement qui fonda alors, réellement, « la création de l’homme », la naissance de l’humanité ! L’homme, à « l’image et ressemblance du Vivant créateur » a le pouvoir, s’il en a la volonté, de « séparer sa Lumière de ses ténèbres » ! Hélas, il a entrepris, question d’intérêts personnels, de faire venir ses ténèbres sur sa Lumière ! La création de l’homme est un événement cosmique. Pour qui réfléchit, il ne s’est pas produit par « hasard » comme des scientifiques nous le font croire. Même le « hasard » est polarisé car les particules élémentaires sont indissociables des forces qui sous-tendent l’expansion de l’Univers. L’infiniment petit et l’infiniment grand procèdent d’un même impératif. Partout dans l’Univers, le dessein du Vivant est le même : faire émerger la conscience de « Ce qui est » de Soi comme partie intégrante de la Globalité vivante. Ainsi, la conscience-existence a émergé des entrailles de cette planète sous cette forme particulière qui s’est appelée « humain ». Mais usant de sa liberté, l’humanité s’est détournée de ce dessein dont elle s’est vue remettre le flambeau des « mains » du Créateur. Pour le prix de son âme, elle a abandonné à la fonction intellectuelle, fonction du cerveau individualiste par essence, puissant outil d’adaptation et d’auto-programmation individuelle et collective, la responsabilité de son propre devenir ! Succombant à l’attraction de ses propres conceptions de l’Homme et de la Vie, à ses illusions et à ses ambitions nouvelles, elle a tout misé sur l’avoir et la jouissance de l’avoir. Elle a alors cessé de répondre à l’appel de l’Homme, à celui de l’Être. Elle a substitué le rapport de pouvoir sur l’autre à l’amour de l’autre, à l’amour du Tout-vivant. Elle a renoncé à la fraternité universelle des humains pour jouir de sa passion pour la matière et pour la sexualité qui prenait une dimension nouvelle autour du plaisir. La logique individualiste a conduit l’humanité à se soumettre à la raison du plus fort, puis à se déchirer entre conceptions de l’homme et donc systèmes de pouvoir concurrents ! Si nous ne comprenons pas la cause première de ce monde, les constantes à l’origine du fonctionnement de notre monde, nous ne pouvons pas (le) changer en Bien !
La femme fut la première victime de la négation, par l’humain, de sa réalité et de sa raison d’être. Elle fut la première victime de notre renoncement à assumer les responsabilités qui nous incombent toujours, de par notre statut cosmique, et dont vous-mêmes avez été réinvesti. L’ego dominateur a siégé depuis lors et tout au long de l’histoire en lieu et place de la réalité de l’homme. Il est incarné par la mâlité, cette engeance de mâles dominateurs et suprématistes qui dirige ce monde en confinant l’humanité dans l’ani-mâlité. L’histoire des civilisations en témoigne ! Devenue adepte du pouvoir sur l’autre, de gré et de force, l’humanité aveugle et ignorante est allée jusqu’au fond de l’impasse existentielle où son credo ne pouvait que la conduire. Dans la situation actuelle où elle se débat et se piétine en mettant le feu à la planète. Les Trump, Poutine, Xi, Erdogan, Bolsonaro, MB Salmane, Kim Jong-un, Orban, Netanyahou, Al Assad, Al Baghdadi et tous les autres sont des incarnations de ce que nous cultivons dans nos cœurs. Ils nous entretiennent dans le mythe de la grandeur et de la puissance que nous idolâtrons et dont nous sommes victimes. Lancés à la conquête du pouvoir ils préparent l’humanité conditionnée, à en découdre et à jouer l’acte final contre elle-même, contre le miracle de la Vie. Nous arrivons au terme de la logique mensongère qui nous aveugle. Ayant exploré tous les possibles de son paradigme existentiel mensonger, l’humanité a rendez-vous avec elle-même, avec l’Homme, avec le Vivant, c’est la même réalité. S’éveillera-t-elle à temps pour sortir du cauchemar de l’ignorance et du mensonge qu'elle a créé et qu'elle entretient ? Reprendra-t-elle son odyssée cosmique et spirituelle vers la Lumière, vers la connaissance existentielle de la Réalité, de sa réalité ? Ou bien, dans ce coin de l’Univers, ses yeux se fermeront-ils définitivement sur le miracle de la Vie ? La réponse est entre nos mains. Les miennes, les vôtres !
Je me suis étalé. Je m’en excuse. Mais je veux vous apporter cet éclairage nouveau avant la sortie du film « Woman ». La pensée humaine rechigne en effet à s’écarter de la conception de l’homme fondée qui en est la matrice. Corsetée par les dogmes religieux et idéologiques, par la théorie scientifique et notre croyance en la nécessité du pouvoir sur l’autre, notre pensée ressasse toujours les mêmes arguments : ceux de la mâlité, ceux de la raison du plus fort, ceux de l’ego, ceux du mythe de la croissance éternelle qui alimente la course au « toujours plus ». Drainant toutes les frustrations qu’elle a engendrées, la pensée humaine se rabougrit et accouche des germes de la peste, qu’elle soit brune, rouge ou jaune, et des extrémismes. L’humanité qui cultive la haine de l’autre, la haine de l’homme, sombre dans l’obscurantisme et le chaos ! Entité cosmique extraordinaire, la conscience-existence refusera-t-elle encore longtemps de s’ouvrir à la Lumière ?
Vous ne croyez pas en Dieu dites-vous. Vous ne croyez pas en ce que les religions, les idéologies et la science, nos cultures, donnent à penser de Dieu. Vous ne croyez pas en ces conceptions rivales de Dieu et de l’homme, vectrices de la raison du plus fort. Autant de sujets de discordes qui, à force d’interprétations, de contrefaçons et de négations de la Parole révélée, ont dressé l’homme contre l’Homme, l’homme contre sa potentialité divine, l’homme contre le dessein dont le Vivant lui a conféré la maîtrise et l’entière responsabilité. Vous ne croyez pas en une conception de Dieu mais vous croyez en ce meilleur, en cette Beauté et en cette Intelligence qui peuvent se manifester à travers des hommes des femmes et des enfants. Vous croyez en cette réalité vivante et créatrice, aimante, qui s’exprime dès lors que nous laissons parler notre cœur. Vous croyez donc en la réalité de Dieu, cette Totalité vivante en autocréation permanente dont nous faisons partie et à laquelle nous sommes appelés à participer; sur laquelle repose notre espérance profonde, intime, d’un monde de Justice et de Paix, de Beauté, d’Amour et de Vie.
Vous vous sentez perdu et déboussolé par l’immensité du défi. On le serait à moins. Aussi et vous l’aurez compris, je ne viens pas vers vous par hasard. Le changement à impulser ne viendra pas des systèmes de pouvoir : ils sont à l’origine de la situation actuelle dans le sens où ils incarnent notre renoncement à assumer les responsabilités qui nous incombent individuellement et collectivement. Les intérêts qu’ils défendent sont ceux de la mâlité, ceux de l’ego, ceux des puissants, ceux de la raison du plus fort. À l’antipode de l’intérêt supérieur de l’homme. D’où l’inertie calculée de l’ONU lorsqu’il s’agit de le prendre en compte ; d’où le naufrage de l’institution onusienne et les échecs répétés des COP successifs.
Le changement attendu viendra de l’affirmation de l’individualité humaine, de l’engagement de citoyens et de citoyennes du monde à venir. Or, à mon sens, sans une réflexion sur notre raison d’être dans l’Univers, notre credo existentiel ne bougera pas ou trop peu. Seule l’élévation de notre réflexion et son recentrage sur les tenants et aboutissants de nos conceptions de l’homme, sur les conséquences de nos actes et de nos pensées, permettront de percer les lignes de défense de l’ego, celles que nous continuons d’ériger contre l’autre et contre nous-mêmes. Toutes « choses » qui font que vos films ne nous sortent pas de nos conditionnements, de notre soumission à l’ego. Alors la bataille contre l’ignorance, le mensonge et la crédulité pour sauver la planète-homme basculera du bon côté....