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Billet de blog 6 février 2014

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De la dynamique sociale (Marcuse et Neumann) sans Heidegger

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De la dynamique sociale (Marcuse et Neumann°.

Les idées qui suivent ont été écrites par Herbert Marcuse et Franz Neumann dans les années 1930s, il ne s’agissait pas de les publier, mais de mettre au clair pour eux-mêmes certains moments de l’histoire des théories de dynamique sociale, Dynamique : les sociétés sont nécessairement en mouvement du simple fait d’être historiques.

Peter Marcuse, le fils de Marcuse, et Douglas Kellner ont rassemblé les inédits de Marcuse en 6 volumes (5sur 6) chez Routledge en anglais. Je me réfère à un article du volume n°1.

La méthodologie est celle de la Théorie Sociale Critique, Horkheimer la définit en 1982 après l’avoir mise en pratique longtemps avant : « La Théorie Sociale Critique …a pour ambition de libérer les être humains des circonstances qui les rendent esclaves…elle doit être explicative, pratique morale plutôt que pratique instrumentale…normative et politique ». C’est la méthodologie de l’Ecole de Francfort continuée aujourd’hui autour de Habermas, Jonas, Honneth.

Ce travail avec Neumann fait apparaître des conceptions loin de celles communément acceptées : d’où sans doute leur intérêt. Mais aussi des noms qui n’ont pas de voix. J’en donne ici un résumé.

Les Sophistes développent cette thèse : les institutions sociales sont établies pour répondre aux besoins et désirs des individus : la connotation péjorative de « sophisme » est souvent injuste. Pour les Sophistes, les Sophistes de Marcuse, s’il y a des obligations, elles trouvent leur origine dans un contrat tacite entre les individus, tous protestent contre les décadences de la Cité se trouvant en disharmonie avec ses propres potentialités matérielles et intellectuelles. Les Sophistes opposent déjà la loi naturelle aux institutions politiques de la Cité. Certes, cette loi naturelle postule une inégalité naturelle entre les individus, mais exige que chacun des individus inégaux ait le droit et les moyens de réaliser intégralement sa puissance propre. Marcuse donne sa liste de qui a le mérite d’être « sophiste » : Protagoras, Gorgias, Thrasymachus, Callicles, les Cyrénaïques, Antisthenes, Aristippe, cette liste est à relier avec sa critique de l’hédonisme datant de 1933.

Marcuse rejette l’idée de traiter la théorie de Platon dans les termes habituels selon lesquels Platon serait un utopiste totalitaire. Platon n’est ni une utopie, ni la perpétuation violente de l’état existant , plutôt élabore-t-il une sorte d’ordre social qui peut le mieux garantir le développement des potentialités humaines telles qu’il les conçoit. Platon relie la dynamique sociale à des cassures psychologiques entre gouvernants et gouvernés, une structure psychologique est mise en correspondance avec une structure économique des plus rudimentaires – le philosophe a une âme en or, le soldat une âme en fer, l’artisan une âme en bronze, quant à l’esclave dont il n’est jamais question, il n’a pas d’âme. Le philosophe ne possède absolument rien, le philosophe ne travaille pas : la propriété privée et le travail détruisent la psyché au point que l’individu s’il s’y soumet, devient s’il n’est pas aidé ou contraint, incapable de décider des questions politiques et sociales qui ne peuvent être prises que par le philosophe. Chez Platon, la structure économique et sociale détermine en fin de compte la structure psychologique. Tout changement radical nécessiterait l’inverse. Marcuse propose donc une lecture marxisante de Platon, ce qui est inhabituel.

Chez Aristote, l’être est mouvement par lequel l’être réalise ses potentialités. Aristote fait la part entre le mouvement historique dans les affaires humaines et le mouvement dans la nature qui n’a pas [encore ?] d’histoire et suit un cycle qui se répète à l’identique.  Le mouvement historique est un développement conscient d’innovation sociale et humaine. Le mouvement social se produit pour réaliser des objectifs depuis la famille jusque dans l’Etat, mais seul l’Etat est en capacité de réaliser les potentialités que l’homme porte en tant qu’individu rationnel et réfléchi. Le politique chez Aristote est le prolongement direct de son Ethique à Nicomaque, guide pratique sur l’amitié, la prudence, la justice, un guide pour le bonheur individuel et pour le bien commun collectif et citoyen. Il dénonce parallèlement les causes concrètes de corruption, de dégénérescence de l’Etat. Cependant, Aristote critique Platon pour qui la dégénérescence de toute forme de vie politique est inévitable, celle-ci peut être évitée seulement si le principe de justice est activé dans la société civile et l’Etat : les actions humaines doivent être récompensées ou sanctionnées en fonction de leurs démérites ou de leurs mérites au regard du droit collectif et de la morale prescriptive des bons comportements individuels.

Peu après Aristote, les Stoïcs (grecs : Zeno, Christippe, Cleanthes ; romains : Ciceron, Sénèque)  adopteront cette vision d’une société d’égaux [pas de commentaire].

Une réaction individuelle à la désagrégation des formes de vie se trouve chez les Epicuriens : puisque la société ne garantit plus la réalisation du bonheur de l’individu, ils renoncent, Epicure entête, à élaborer toute théorie politique et sociale. Il suffit de se satisfaire de l’Etat quel qu’il soit, et laisser l’individu libre de poursuivre son bonheur à sa guise personnelle (grec : Epicure ; romain : Lucrèce).

La philosophie sociale thomiste est une tentative de réconcilier la doctrine de la loi naturelle des Stoïcs avec le féodalisme, le problème est que les idées stoïciennes ont des implications révolutionnaires. Thomas d’Acquin a produit outre sa Somme Théologique, des séries de pamphlets pour montrer que la société existante était adossée à une loi morale. Aristote est mobilisé pour soutenir cette stratégie thomiste à laquelle s’opposera, aux 13ème et 14ème  siècles, l’Averroïsme latin en proposant une psychologie et une éthique matérialiste critique se libérant de la domination cléricale.

Ceci annonçait le divorce de la société séculière et de l’Eglise, divorce dont Machiavel est le grand initiateur. Alors le problème de la dynamique sociale est ouvertement et sans aucune mise en scène philosophique ou théologique celui de la stabilité et de l’intégrité de l’Etat national naissant. La  dynamique sociale se résume au problème pratique technique de dominer les masses dans l’intérêt du pouvoir absolu souverain. Cependant, Machiavel se situe à l’intérieur d’une théorie psychologique et sociologique beaucoup plus large. Le caractère remarquable de Machiavel est de vouloir subordonner la psychologie aux exigences du gouvernement moderne : il ressort que rien n’est stable et qu’il faut stabiliser sans cesse. Machiavel non seulement sécularise l’Etat et la société civile, mais il rejette l’idée que le développement de l’humanité suit un schéma d’harmonie pré-établie garante d’évolutions progressistes de quelle que sorte que ce soit. Un type de rationalisme fâcheux s’installe avec Machiavel.

Nature et société, la terre et le paradis sont gouvernés par les mêmes lois objectives qui peuvent être mises en lumière par l’humaine réflexion et utilisées en vue d’une domination du monde, selon les différents schémas rationalistes, mécaniste avec Hobbes, mathématique avec Spinoza ou dynamique avec Leibniz. Ce courant a une composante positiviste dans la mesure où la structure sociale existante est concrètement le cadre de la dynamique sociale ; cette composante positiviste devient centrale dans les théories empiristes : l’existence de lois objectives immuables et les idées innées, la nature et le développement humain sont issus de l’exercice des sens (Condillac, Locke, Hume, John Stuart Mill).

Dés le début du monde contemporain, apparaît un courant non-conformiste et matérialiste s’opposant à la fois aux théories rationalistes précédentes et aux théories empiristes. Ce courant fonde sa critique sur la nécessité d’identifier et satisfaire les besoins humains. La dynamique sociale est la transformation complète de la société, particulièrement par la mise à plat du système de la propriété privée, cette critique matérialiste fait partie de la philosophie française des Lumières (Holbach, Helvetius, Morelly, Mably, Meslier, Linguet)  et reste présente dans la critique de la société traditionnelle chez Rousseau, dont il faut reparler.

En périodes de désintégration sociale, la critique prend ouvertement un caractère révolutionnaire exigeant la construction d’un nouvel ordre de liberté et de raison (Thomas Münzer, le mouvement Anabaptiste, Taborites et Hérétiques apparentés, le courant Chiliastique, les Diggers squatters du 17ème siècle et hippies modernes, The Fifth Monarchy Men, Roger Willianms à Rhodes).

Dans la période où les « classes moyennes »  gagnent une reconnaissance sociale et politique, les Physiocrates et Economistes classiques du 18ème siècle tentent de construire un compromis entre l’optimisme du laisser faire libéral et le pessimisme du despotisme éclairé d’une monarchie absolue, compromis en vue de construire une société conduite par une harmonie. Certes, des troubles et émeutes pourraient surgir mais ces points négatifs seraient dépassés par le libre jeu des forces économiques, gage de progrès durable. Ainsi, la dynamique sociale  est un simple ajustement aux troubles dont la principale caractéristique est d’être évitable, une mobilisation contre les effets secondaires indésirables induits par le libre jeu et le progrès.

Marcuse ne consacre pas plus d’une demi page à l’idéalisme allemand (Kant, Fichte) et Hegel comme si Marcuse aurait jugé inutile d’affirmer son hégélianisme militant. Marcuse se rattrapera pour ainsi dire, il écrira Raison et Révolution en 300 pages en 1941 pour, entre autre, contrecarrer l’interprétation dominante des américains qui suspectent de Hegel de fascisme. Ici, Marcuse se contente de dire que Hegel propose une « méthode dialectique » et une transformation conceptuelle qui correspondent exactement au stade historique de la virulence des antagonismes dans la société moderne. Face à cette virulence, le problème n’est plus d’ajuster des structures sociales afin de contenir, mais de clarifier pourquoi une société « dépassée » se perpétue et persiste.

Cette situation appelle une critique en profondeur de la société existante ; celle-ci est initialisée en France par Sismondi et Saint-Simon, par Lorenz von Stein en Allemagne. Mais, soit ils limitent leur critique à certains phénomènes importants restreints, soit ils versent dans le mode utopiste qui restera très souvent irréalisé parce qu’absolument irréalisable.

A l’inverse de ces doctrines, Marx  retient de Hegel que la théorie de la société doit viser la société traditionnelle comme totalité. La méthode dialectique conduit à comprendre que le travail comme processus détermine toute la vie humaine. Le travail (relations économiques, juridiques, politiques, sociales, institutionnelles) est organisé tel que les forces productives (les travailleurs, le prolétariat) ne peuvent que s’opposer frontalement à cette organisation puisqu’elles sont enchaînées et réduites à la maintenance de cette organisation dite « organisation des relations productives ». Le problème de la dynamique sociale  ne se situe pas à l’intérieur de la société existante, mais dans sa substitution par une forme socialiste. Cette théorie de Marx, fournit également une méthode par laquelle peuvent être expliqués les changements à l’intérieur de la société existante. Dans la dernière partie du 19ème siècle, la théorie de Marx suscite de profondes réflexions et oppositions. Cependant, ce n’est que par rapport à Marx que les objectifs de  l’anarcho syndicalisme  de Proudhon, Sorel et l’anarchisme de Bakounine peuvent être compris et évalués.

La sociologie moderne a coupé la connexion entre la théorie sociale et la philosophie, connexion qui reste dans le marxisme. Elle a traité la question de la dynamique sociale  comme une question sociologique spécifique. Cette coupure a pour effet de mobiliser des sciences afin d’analyser la dynamique sociale : l’anthropologie, la biologie, la physique, la psychologie sont supposées pouvoir fournir des bases conceptuelles pour expliquer la dynamique sociale. Le courant positiviste procure de nouveaux ajustements qui favorisent l’ordre établi. Le caractère dynamique des doctrines positivistes de la dynamique sociale  est une coquille vide, cachant à grande peine une conception statique : la sociologie de Pareto est exemplaire en ce sens. Pour Pareto, la dynamique sociale  est produite essentiellement par l’effort de groupes sociaux particuliers qui tentent d’organiser la société selon leurs propres intérêts. Ces groupes sont conçus en termes d’une psychologie individualiste travaillant avec des concepts abstraits de pulsions et d’instincts. En dernière analyse, les idées de Pareto sur les élites soutiennent une acceptation a priori de ces groupes qui ont réellement le pouvoir. Sa conception ne donne pas de critères permettant d’évaluer les élites elles-mêmes.

Marcuse indique, je le cite « notre conclusion présentera la nouvelle approche de la question de la dynamique sociale  dans la phase de préparation de la philosophie fasciste  et national-socialiste en Allemagne (Moeller van der Brock, O. Spann, E. Jünger) ; en Italie (G.Gentile, Corradini, Rocco). Cette conclusion est absente du document.

Pas un mot sur Heidegger [à voir, nous ne sommes qu’au tout début des années 1930s].

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