La rédaction d’ouvrages n’est pas, chez ce musicien, une nouveauté et nous l’avions déjà lu et commenté auparavant ; mais avec « La musique est un tout » *il fait le point dans les diverses directions d’un art qu’il considère « plus complet que l’ensemble des autres arts ». En détournant volontiers l’une de ses belles formules « Le temps est la conscience du musicien » on tâchera de cerner la matière, souvent composite, de cette publication.
Déplorant un fossé entre « pensée artistique et pensée pratique » qu’il s’agit de combler, nous abordons le premier de ces thèmes « Ethique et Esthétique ». Sachant que pour D.Barenboim la notion d’ Ethique est trop rarement appliquée à la musique ; en voici quelques pistes. Qu’un des éléments de la musique soit déconnecté et l’idée de la totalité disparaît. En outre pour une œuvre il y a plus de solutions que d’interprètes. Interprète et public vivent l’œuvre ensemble et, de fait il n’y a jamais de trop grande connaissance de l’œuvre ; écouter c’est entendre et penser conjointement. D.Barenboim s’interroge même sur l’ écoute des « monstres : Hitler, Staline » dont nous savons qu’ils « appréciaient » la musique. Cependant la musique a le pouvoir d’exprimer le potentiel d’une humanité qui sait dépasser ses propres limites.
LE CAS ISRAËLO :ARABE ;
L’un des rares binationaux, puisque notre musicien dispose à la fois de la nationalité israëlienne et palestinienne. le voici en « authentique politique », à une nouvelle occasion, abordant le conflit que l’on sait et il dit « Plus on comprend l’ennemi et plus on en est compris » ; il rend un vibrant hommage au geste du Chancelier Willy Brandt s’agenouillant à Varsovie devant le monument du ghetto . En somme il souhaiterait de pareils gestes de la part des deux adversaires. Utopiste, naïf ? En tout cas qu’ils cessent de jouer à qui est le plus souvent victime ! Ayant découvert jeune la Shoah, en même temps que la beauté de la musique,, il souhaite la fin de la colonisation et de l’occupation israëliennes, rappelant que le monde arabe n’est pas l’Europe terre de nazisme et du totalitarisme soviétique.
A la conscience de W.Brandt, D.Barenboïm associe les fondements de la création du Festival de Salzbourg en 1918 ; C’est à l’occasion d’un discours, partie du livre, pour les 90 ans de la ville de Mozart . En 1918 donc aux lendemains de la première ‘boucherie européenne » , des humanistes (si le terme est encore acceptable), ont fondé le Festival ; l’illustre metteur en scène Max Reinhardt, l’écrivain Hugo von Hofmannsthal, notamment librettiste de Richard Strauss , lui-même troisième larron. Cet anniversaire d’une institution de paix et d’art qui a également traversé la seconde « boucherie mondiale » s’est accompagnée de prestations du « West-Eastern-Divan Orchestra » que le maître à constitué avec des instrumentistes arabes palestiniens et israëliens.
- LA LECON HUMAINE DE GAZA ;
D.Barenboïm a qualifié cet orchestre de « petit modèle de société avec d’autres valeurs » ; avec son concours ils ont franchi la frontière interdite de l’enclave de Gaza (malencontreux hasard, le jour de la mort d’Oussama Ben Laden). Cependant les autorités de Gaza ont accepté la présence d’artistes en dépit des règles religieuses interdisant des activités ludiques en cas de deuil. Ce fut un public de jeunes gazaouites, pour la plupart, qui assistèrent à ce Concert entièrement consacré à Mozart. Mozart, sans conteste l’icône du musicien par delà Richard Wagner, Jean-Sébastien Bach et d’innombrables autres compositeurs. Occasion de découvrir une jeunesse forcée à l’enfermement et cependant, avide d’ouvertures et d’occasions d’accéder aux beautés du monde. Geste de courage mais aussi de participation à la libération des hommes. A lire ces pages sur Gaza on a le sentiment d’une découverte inouïe et en même temps très simple, stigmatisant la bêtise de tout un monde, le nôtre.
Inversement c’est D.Barenboim qui a fait entendre, en Israel, le premier la langue allemande chantée dans la « 9°Symphonie » de Beethoven et « Prélude et Mort d’Isolde » de R.Wagner. Les organisateurs ayant prié les adversaires de Wagner de bien vouloir quitter les lieux ;
Wagner est-il responsable d’Hitler ? « Horst Wessel Lied » voilà l’hymne nazi ! Et ne serait-il pas temps de décrocher des liens avec le passé ?
- CONVERSATIONS A LA SCALA.
Devenue directeur de la musique à la Scala, D.Barenboim avait pris l’habitude de dialoguer avec le public, en particulier jeune, avant d’importantes représentations.
Indiquant le rôle des partitions, il ne manquait cependant pas de signaler qu’il « jouait d’oreille » ayant pas ailleurs appris de mémoire le bloc des « Sonates pour piano » de Beethoven tandis que sa mémoire s’était bloquée à compter de son 25°anniversaire !
- Sur CARMEN ;
D.Barenboim qui rend par ailleurs hommage au célèbre baryton Dietrich Fischer Dieskau ;
responsable en quelque sorte de sa décision tardive de diriger des opéras (une trentaine à ce jour) après plus de vingt trois années de piano et de direction d’orchestre.
Ayant longtemps travaillé en France (directeur de l’Orchestre de Paris) il n’est pas étonnant que « Carmen » ait fait partie de ses choix. Soulignant l’impact de la couleur sonore française (depuis Rameau) il cite à nouveau D.Fischer Dieskau pour qui, on doit sentir en permanence, avec l’œuvre de Georges Bizet « le couteau sur la gorge ! »
- Sur la WALKYRIE ;
Le plus populaire titre de la « Tétralogie ». Il dit : chez Wagner « il y a une mise en rapport permanente de toutes choses ». Possessif, R.Wagner est un grand « manipulateur ». .Sonorités inédites, chaque syllabe possède sa note, au total sa musique est très complexe. A propos de la Walkyrie il l’assimile à une vision « du conflit de générations au niveau de l’Europe du 19°Siècle ».
A méditer !
Sur DON GIOVANNI ;
C’était en 1973 son premier « Don Juan », à Edimbourg avec « L’English Chamber Orchestra » Il cite A.Camus pour qui le personnage de Don Juan.est une « incarnation de l ‘homme absurde ». Il souligne fortement la délicate relation entre les airs et les récitatifs dans le cadre d’un « drama giocoso », le bouffe et le tragique qui implique des chanteurs sachant parler, dialoguer et de conclure « la musique seule donne la clé des mille nuances du livret ».
.EPILOGUE « VERDIEN ».
Directeur musical de la Scala il a surtout travaillé en Europe Centrale dont les pays germaniques, la France on l’a dit, les Etats-Unis et soudain en Italie c’est un nouvel univers où la mélodie occupe une place primordiale combinée avec ce qu’il qualifie « d’exhaltation ». Un monde qu’il avait relativement méconnu et qui désormais constitue une nouvel horizon.
Celui d’une nouvelle période et peut-être de nouvelles réflexions, un jour codifiées dans un cadre également simple et modeste. Pour un artiste d’une activité incroyable.
Claude Glayman
Daniel Barenboim : « La musique est un tout » - Fayard, 173 p. 2014, 15E.