Jean-Paul Kaufmann a payé très cher son désir de solitude, mais une solitude voulue et non endurée. Il y a une vingtaine d’années il est enlevé à Beyrouth durant la guerre civile du Liban et devient captif/otage du Hezbollah. Au cours de ces trois années, d’imagez et même davantage il a été, si l’on peut dire une victime médiatique : ensuite dans la rue, partout, on le dévisageait, on le reconnaissait , parfois avec perplexité. La solitude n’est pas un privilège mais une condition pour avoir droit à une vie libre. Lorsqu’en 1997, bien après sa libération, il a publié « Le voyage à Sainte-Hélène », sans lire le livre, la probable solitude de l’Empereur déchu m’ a renvoyé à ce que j’ai imaginé être l’exigence d’un homme comme JP Kauffmann. L’actualité m’a mis sous le nez , »Remonter la Marne » * et son auteur, pas vraiment « batelier » car ayant remonté le cours de la rivière en marchant, soit environ 15 kilomètres quotidiens. Occasion recherchée d’un ressourcement sur bien des plans et sur une rencontre avec ce qu’on appelle la « France profonde », qui est loin de l’être toujours malgré les discours.
Qui dit rivière, dit ponts, dit agglomérations depuis le terminus jusqu’ à la source de la Marne. La nature, l’eau, le passé « qui demande toujours des comptes » et le présent, bien souvent ignoré. Cette région, notamment la Champagne, affectée de divers qualificatifs, souvent menacée, prolonge le franchissement des frontières et donne accès à la marche sur Paris, tant pour l’eau, les crues ou l’ « ennemi ». Ultime parcours qu’il accomplira en bateau, son « rêve » sans que ce soit le plus attachant passage du livre, ce type de voyage on le vit davantage qu’on ne le décrit. Plus captivant, étonnant est le traitement, quasi humain, féminin qu’il accorde à l’eau.
« Le matin tôt, chutes d’eau, l’avènement du monde. / Si l’eau était un son ce serait une basse continue » et souvent de citer Gaston Bachelard, philosophe qui a subtilement évoqué l’eau. ! Les invasions remontent au moins aux Huns et à Attila dont le souvenir demeure encore vivace. La fuite de Louis XVI à Varennes s’est déroulée par ici. Comme bien des guerres napoléoniennes, je n’ai guère de goût, comme l’auteur, pour la saga Napoléon, militariste accompli même s’il a enraciné certains acquis de la Révolution et aussi modèle d’une percée totalitaire. Le Second Empire et la Commune sont plutôt absents ; même si la région connaît un certain développement et l’on parvient à la terrible saignée de 14/18 qui frôle une véritable catastrophe initialement mais que les différentes « batailles de la Marne » perdues ont été significativement gagnées. Jusqu’à la débâcle de 1940, muée en effondrement malgré au sud la trop célèbre et vaine Ligne Maginot, censée attirer les percées allemandes.
CITES ET PERSONNAGES ;
Meaux et Bossuet auxquels JP Kaufmann rend un bel hommage, on entrevoit l’auteur des « Sermons » autrement qu’en curé barbant. Il est vrai en pur savant l’auteur n’ignore rien de l’histoire religieuse, du reste il sait beaucoup et avec son sens des formules il excelle à nous entraîner. Même s’il est parfois aussi précieux que précis !
Le « jansénisme » aussi a marqué des esprits de ces lieux à des époques plus actives et protestataires. Château-Thierry que l’on scrute du train Paris/Strasbourg légèrement perchée mais située en Picardie. C’est la ville de Jean de La Fontaine, le contraire d’un « versaillais », il avait fréquenté Fouquet « le traître », « un rien subversif » Francis Ponge, poète du 20°Siècle affirmait préférer une fable de La Fontaine au logos de Hegel et quelques autres. Avec la Champagne arrive le champagne, « boisson identitaire », soit une terre de vignobles qui furent plus prospères naguère. Au cours de cette traversée, que de rencontres d’anonymes passionnants à leur manière et souvent pittoresques. Gens qui vivent « invisibles, ignorés », en résistance, luttent contre l’abandon de cette « France profonde » dévitaminées par le libéralisme ambiant, brut ou masqué. Eux sont opposés « au démeublement insidieux du pays ». C’est l’envers de Paris, indépendamment de la banlieue de la capitale ; l’envers de l’information médiatique. Bien des hommes qui nous gouvernent seraient bien avisés de venir voir, ausculter, autrement qu’en sauts de puces comme cette journaliste que JP Kauffmann croise par hasard et qui se demande si son ancien collègue ne serait pas tombé sur la tête ? Venue à St Dizier pour suivre un «Ministre de la République », pour autant elle est loin d’être sotte et sait que notre auteur n’est en rien « cinglé » mais de la Marne elle se fout royalement. Il lui en parle avec amour et évoque certains barrages construits pour protéger Paris des inondations. A St. Dizier il évoque passionnément l’Hopital neuropsychiatrique où André Breton fut médecin quelque temps, découvrit Freud et, en somme inventa le « Surréalisme ».
A St Dizier le Président De Gaulle quittait l’avion de Paris et prenait sa voiture pour Collombey. Mais surtout à St Dizier s’entraînent les fameux « Rafale » toujours invendus mais également sont entreposées des ogives nucléaires. Zone stratégique, c’est aussi la « France Profonde » A Balesmes, fin de l’itinéraire, recherche de la sourc, trouvée in fine.
Au total « La Marne » a bien mérité de la Nation, sans être un haut lieu touristique. Est-ce assumé en retour, ici ou ailleurs, par ceux qui nous dirigent ? Vraie question en dépit du maillage administratif, en train d’être détricoté. Ce livre provoque l’inquiétude, ce qui n’est guère visible existe néanmoins, une diversité de combats individuels qui, seuls, n’assurent pas une renaissance, faute notamment d’être connu et relayé par les centres de décision.
Claude Glayman
Jean-Paul Kauffmann : « Remonter la Marne » - Fayard, 263 p, 19,50