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                    Dans l’URSS totalitaire il y avait le goulag, l’exécution capitale, mais aussi la destruction « intérieure » beaucoup moins visible, évidente. Julian Barnes, important auteur britannique, guère versé dans la critique musicale (Prix Médicis Essai 1996), bien documenté sur ce qui demeure l’un de ses centres d’intérêt. Il écrit, publie « Le fracas du temps » *
Jeune musicien prodige, à peine 20 ans, D.Chostakovitch (1905/1975) est dirigé par Bruno Walter, Arturo Toscanini, Otto Klemperer ! Vite reconnu comme un maître voué à son art, mais taxé de musicien formaliste sans grâce, ni sens mélodique, nullement respectueux des oukases du « réalisme/socialiste ». Qu’importe ! Bien des artistes dans l’ex URSS connaissaient les mêmes procès. Selon Julian Barnes D.Chostakovitch était un névrosé mais il se sentait protégé par sa musique…
    Le roman n’évoque pas la période de la « guerre patriotique ». Vivant à Léningrad, D. Chostakovitch subira une partie du siège de la Wehrmarcht, demeuré sans reddition en dépit des souffrances infligées à une population prisonnière jusqu’à la fin des hostilités. Ainsi « Le fracas du Temps » n’évoque pas la composition et la diffusion de la « Symphonie Leningrad » jouée dans une partie du monde et notamment par les maestros indiqués ci-dessus, aux Etats-Unis notamment. Du reste la musique du jeune compositeur séduira un public étranger vite et durablement. Ce qui ne l’empêche pas de dédier son Premier « Trio pour piano » à la jeune Tanya qu’il vient d’épouser.
Ce que souhaitait le régime c’est qu’un musicien s’intègre dans la société, comme un travailleur de la mine extrait le charbon, obéissant aux conceptions des dirigeants, bien souvent des « oukases ». Cependant l’artiste obéit à son inspiration de nature différente de l’univers de la mine
Comme D.Chostakovitch n’est guère obéissant, le régime craignant de l’éliminer, le « détruira » par un autre cheminement : la flatterie. Connu mondialement, rapportant des devises, apprécié dans son pays en dépit des boycotts. Le roman de Julian Barnes décrit le récit de trois affrontements majeurs avec le régime ; le dernier consistant à intégrer le rebelle au sein de la « nomenklatura ». Le talent, de la sorte sauve mais peut aussi détruire, destruction qui dépend de la force de résistance de l’intéressé.
- « L’affaire de l’Opéra « Lady Macbeth de Mzensk »
Des persécutions administratives comme cette convocation dans la « grande Maison », cad le QG dd la police, le « guépéou », où un zélé fonctionnaire interroge, « de quoi parlez-vous lors de vos réunions d’artistes notamment avec le Maréchal Toukachevsky ? » Extorquer le mensonge, la contradiction, finalement suspendre l’interrogatoire, fixer un rendez-vous le lendemain muni des documents recherchés.
Bizarrement la rencontre n’a pas lieu, n’aura jamais lieu, le fonctionnaire comme le Maréchal disparaîtront à jamais. Staline se débarrasse du haut état-major de son armée.
En 1936, création de « Lady Macbeth de Mzensk ». Dans la loge des dirigeants, Molotov, Jdanov, Staline dissimulé derrière un rideau, semble lire la « partition de Lady ». Staline aimait la musique et était plus ou moins capable de la déchiffrer... L’Opéra est désormais interdit au Bolchoï, grande campagne de propagande,
Condamnation l’unanime du musiciens formaliste, « occidentalisé ».
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                    Nous sommes en 1936, l’exclusion dure jusqu’en 1948 : conférence critique dirigée par Andrei Jdanov la lumière. On voit passer Katchaturian, Prokofiev aux goûts aristocrates … sans oublier ceux qui croupissent en prisons, ou au Goulag comme
Mossolov. Condamnation définitive de la « mauvaise musique ». Le « Quatuor Borodine » est capable d’interpréter une œuvre dans le bon sens ou dans le mauvais, selon l’auditoire...
1953 mort de Staline. Le plus insignifiant des hasards veut qu’à la même date disparaît
Sergueï Prokofiev. Quelques années passent, nous rencontrons à Paris la veuve de D.Chostakovitch. Elle nous raconte que par chance il y a eu D.Chostakovitch pour assurer l’enterrement de son collègue. Tout le monde suivait l’enterrement du grand leader.
Après cette dernière disparition, peu à peu réhabilitation des victimes « du culte de la personnalité » formulation soviétique. En particulier celle de Dimitri Chostakovitch : musique rejouée, création à Leningrad de « Catherina Islamoiva » d’après Lady Macbeth. Le musicien « est un peu allé à Canossa » adhésion au PCUS, il signe une pétition contre Soljènitsyne, devient « patron » des musiciens de la Russie
Comme, on l'espère, on aura compris que ce roman en apprendra beaucoup à ceux qui l’ignorent pour l’essentiel alors qu’il s’agit de l’un des grands compositeurs du XX° Siècle. Il manque toutefois la présence de ses œuvres principales pour éclairer en profondeur les relations entre une existence compliquée et une musique libre, influencée par l’Histoire lourde d’une importante partie du maudit 20°Siècle.
Claude Glayman
Julian Barnes : « Le fracas du temps », Roman traduit de l’anglais, Mercure de France. Bibliothèque Etrangère, 200 p. 19 E ;