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Billet de blog 16 septembre 2013

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HANNIBAL OU LA FAILLITE DE L’HISTOIRE. CONCEPTION DE BERNARD SOBEL / THEÂTRE DE GENNEVILLIERS (T2G)

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Hannibal, général de Carthage et son armée avec éléphants, traversant les Alpes et prenant les Romains à revers qui les attendaient sur les plages. Victoire du stratège à Cannes. Nous sommes en 216 av. J.-C. Suprême audace mais, hélas !, le conte de fées s’arrêtera là. L’Histoire part dans un sens pour revenir par un autre ; entre les deux il y a eu Capoue et ses délices, trop long repos du guerrier.
Christian Dietrich Grabbe (1801/1836), époque de Goethe mais sans son succès, auteur d’une demie douzaine de pièces dramatiques dont B.Sobel avait, naguère, monté « Napoléon et les Cent Jours » semblable tourniquet des sens. Grabbe n’a été reconnu, plus tard, que par quelques personnalités des Arts.
Et pourtant quelle belle prose dès les premières paroles d’un jeune couple, assis au bord de la scène : cela tinte, sonne à nos oreilles régalées par un grand texte. Esthétique de la lucidité, déjà Hannibal sait qu’il devra mourir de ses propres mains même si nous sommes loin du « romantisme », (le barouf d « ’Hernani » éclate à ce moment). La langue, bien que traduite, est bien en bouche : c’est  du beau et grand théâtre.
A l’époque, comme toujours, les vainqueurs ne sont pas partisans de couvrir les vaincus de cadeaux mais de carnages, de pillages, de destruction des cités, purement et simplement rasées, « Numance, plus tard Carthage elle même ». « Carthage doit être détruite comme Londres en 1940 », d’après les speakers de « Radio Paris ment !». Où est le bien, où est le mal, mais il existe un moindre mal. Ses succès vertigineux se retournent contre Hannibal et ses troupes, insuffisamment secondés par leurs frères carthaginois. A Rome, pendant ce temps, la politique bat son plein, au Sénat on délibère, vote, on charge un Scipion meilleur stratège pour inverser la fortune d’Hannibal. L’Histoire est aléatoire affirme B.Sobel, naguère moins sceptique et plus affirmatif, positif.
Il est vrai que l’évocation de notre monde actuel ressemble davantage à celui du Roi Prusias qui accueille Hannibal,de  désormais voué à l’exil, la fuite, le refuge. Ce Prusias fait irrésistiblement penser à l’image que nous conservons de notre bon Roi Louis XVIII et de  sa  goutte : tapis rouge géant, courtoisie toute formelle, politesses à gogo et cependant défense de ses intérêts. Hannibal censé être protégé, on accepte de le livrer aux Romains pour leurs défilés, Romains qui finissent toujours par triompher après moult coups de théâtre dans les négociations et les stratégies des uns et des autre. Lui, le « combattant suprême » ne l’entend pas de cette oreille et choisit le poison, la mort volontaire pour lui et un fidèle, on dirait’un philosophe romain.
Tout rentre dan l’ordre à l’occasion d’une pièce passionnante incarnée par une quasi vingtaine d’acteurs et d’actrices : la marchande de poissons côtoie des groupes de spéculateurs, ceux et celles qui tournent leurs vestes dans la diversité pimpante des costumes de Mina Ly. Et le décor clin d’œil, drôle et divers de Lucio Fanti qui tombe des cintres, illustrant d’autres univers, d’autres architectures.
Derrière la patte de B.Sobel, lorsque nous le suivions année après année, admirateurs parmi d’autres, c’était il y a une ou deux décennies, voire plus. Entre temps l’informatique et ses technologies ont modifié nos rythmes, nos écoutes, nos perceptions. La parole émise est moins lente. Aussi l’écoute, en un temps de zapping, a évolué ; s’agissant des jeunes comme des plus vieux. On ne niera pas qu’après 2h40 et plus de spectacle, un entracte n’aurait pas été superflu, s’agissant d’une intrigue lointaine et sérieusement complexe, incluant même des sacrifices humains du Dieu Moloch. Mais B.Sobel est un « janséniste du Théâtre » Ce qui n’ôte rien à notre immense plaisir face à ce retour provisoire, en son « berceau », d’un « Grand » de notre temps.

Claude Glayman

T2G, 13 septembre 2009 jusqu’au 4 octobre. 

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