Si vous aviez cent ans, un siècle, vous auriez l’âge du Théâtre des Champs Elysées, ouvert en 1913, à la veille du suicide européen de 1914/18 ! En 2013 le TCE s’autocélèbre en un livre-album*, richement illustré de photos et de reproductions d’affiches , rappelant l’activité culturelle, bien remplie et bien commentée de ce lieu unique, moderne, devenu classique, comme le sont également le Palais Garnier, le Théâtre de l’Athénée , celui de l’Odéon , le Châtelet etc , etc, la liste serait exponentielle sans oublier nos « Provinces », comme on ne dit plus. adeptes de ces lieux
UN DEMARRAGE EPOUSTOUFFLANT
Il fallait être fou et génial comme Gabriel Astruc, le père du TCE, optant à l’époque pour l’ouest parisien, à l’opposé de la « Hausmannia, pour songer capter, conquérir un public disponible Avec le concours d’un autre Gabriel, Thomas, un grand financier expert (ce qui n’empêcha pas le premier Gabriel de mourir ruiné), mais aussi avec la participation des frères Péret (le béton armé) et d’artistes : Antoine Bourdelle, Maurice Denis, Edouard Vuillard et d’autres. Le TCE devint réalité. L’Avenue Montaigne doubla la soit disant plus belle avenue du monde. Une admirable photo, noir et blanc, illustre la soirée d’ouverture, au milieu des voitures du temps (déjà un embouteillage !), sous le flash du phare de la Tour Eiffel, la voisine élancée face à l’élégante armature du TCE.
PASSEURS DE SIECLES
Successivement les Ballets Russes de Serge Diaghilev (déjà présentés au Châtelet). Le scandale du « Sacre du Printemps » d’Igor Stravinsky qui fit s’exclamer une auguste dame que « jamais jusqu’ici on ne lui avait manqué de respect ! ». Le pianiste Ricardo Vines, grand interprète et ami de Maurice Ravel, monta sur scène ainsi que le chef allemand Félix Weingartner, finie la vogue des baguettes wagnériennes. Egalement « Boris Godounov » et « Khovanchitchina » opéras de Modeste Moussorgski. Où serait allée la musique occidentale sans ces inventions et chefs d’œuvres russes ?
Un éblouissement permanent, ici non exhaustif, un feu d’artifice sans fin pour une époque culminante.
- Bien que terrible entr’acte imprévu, la Première Guerre Mondiale de 14/18 ne brisa pas la carrière du TCE. Avant la fin des hostilités, en 1918 disparaissait Claude Debussy, événement que l’on ne célèbrerait que la décennie suivante sous la patte du chef Désiré-Emile Inghelbrecht, une sorte de rattrapage sur la mort.
- Les années vingt, dites « années folles » apparaissent comme une nouvelle jeunesse. Le Groupe des Six siegéait au « Bœuf sur le Toit », accompagné par un as du piano, Jean Wiener, sous la houlette de Jean Cocteau devenu théoricien de l’anti-wagnérisme. De nouveaux Ballets s’installaient, les Suédois de Rolf de Mare succèdant à Diaghilev et à Vaslav Nijinsky. Tandis que le pianiste, chef d’état polonais, Jan Paderewski brillait à toutes les tribunes, faisant renaître un pays européen. Dans l’un des deux théâtres collés, associés au grand Théâtre des Champs que nous n’avons pas cité jusqu’ici, un certain Louis Jouvet accomplissait ses premiers pas.
- La crise économique de 1929 et ses suites sonnaient comme le tocsin des « années folles ». Avec néanmoins la présence du maestro Arturo Toscanini, Loïe Fuller et ses voiles et la cordée des chanteurs, Lotte Lehmann, Lauritz Melchior, ces divinités et d’autres n’avaient jamais cessé de hanter les planches du TCE et ne le cesseraient jamais !
- Au terme des années 30, l’Expo Universelle de 1937 exprimait une nouvelle vitalité avant un grand saut dans l’inconnu : il eut fallu être naïf pour ne pas s’inquiéter de deux mastodontes se faisant face, les stands de l’Allemagne Nazie et de la Russie Communiste ! Et déjà les ondes de « Radio Paris » et de son « Grand Orchestre », nouvelles technologies captivant les foules avec des retransmissions du TCE
- Durant l’occupation allemande le chef Willem Mengelberg cultivait le souvenir d’un Gustav Mahler, interdit et il faut bien le dire, largement inconnu. Le pianiste de légende Dinu Lipatti foulait les planches du TCE. Le fameux « Radio Paris est allemand » était censé combattre les ondes de Radio Londres, La Voix de l’Amérique ou les commentaires helvétiques supposées neutres, etc
Les LENDEMAINS DE LA LIBERATION DE 1944
Enfin un sang neuf et un rappel de l’ancien, Stravinsky, des valeurs éprouvées et puis du neuf, les Ballets Roland Petit, les Frères Jacques. Le jazz enfin accessible, Duke Ellington, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald mêlés à des chanteuses germaniques Kirsten Flagstad, Elisabeth Schwarzkopf, des Russes inconnus pas pour longtemps tel le pianiste Emile Guillels, etc.
Le syndrome de l’avant-garde ne s’est pas perdu, ni évanoui . Soit dans les années 50, la création/scandale de « Déserts » d’Edgar Varèse et ses retombées. Diligentée par des sponsors américains l’ »Oeuvre du 20°Siècle », première vision personnelle d’Igor Stravinsky et de son « Oedipus Rex », récitant Jean Cocteau ; Darius Milhaud, mais peu de découvertes durables. Toutefoiss’annoncent la venue de Pierre Boulez, d’Olivier Messiaen ainsi que de Léonard Bernstein. Bienvenue aux nouveaux Modernes !
- ANNEES 70 :2000
Ces années débordent de chefs destinés à être prestigieux ; Claudio Abbado, Seiji Ozawa, Simon Rattle, Ricardo Muti, dans un autre domaine Elton John. Enfin une percée du baroque, William Christie, mais c’est à Garrnier qu’il crée avec Jean-Marie Villégier le fort succès d’ »Atys » de Lully. Christophe Rousset. Surtout le triomphe du classique/moderne le plus indépendant, le plus surprenant, Henri Dutilleux, tant par l’oeuvre que par la personnalité : face à la foule qui l’accueillait, le célèbrait, je lui chuchotais : Vous êtes comme une rock-star ! ». En 1985 nous nous serions installés dans le grand lustre pour entendre le « tsar » Vladimir Horowitz, une banale chaise suffisait !
_ 2000 :2013
Esa-Pekka Salonen, le Quatuor Alban Berg et la relève la plus prometteuse, « Passion » de Pascal Dusapin. Egalement les frères Capuçon. Ceux qui ont in fine implanté le Baroque ; les Grandes Voix. Au Théâtre la fin du cycle Jean Anouilh ou encore la piqueuse danseuse Sylvie Guilhem.
- OBLIGATION DE CONCLURE
La liste est, à ce point, infinie, dans ce qui est désormais une diffusion de spectacles, qu’aucun bilan exhaustif ne s’avère possible d’autant que la musique appartient à une foule de diffuseurs. La troupe, si l’on peut dire, des Festivals, des plus notoires aux plus anodins. La transmission de la musique a beaucoup changé ; songeons par exemple aux activités des banlieues parisiennes, ou à internet et à ses succédanés ou dérivés.
Le TCE a connu plusieurs restaurations (1986 pour mémoire) ; a connu de multiples équipes et dirigeants. Ce qui est normal, logique mais aurait dû conduire ce livre/album, indispensable, à proposer une analyse des publics même si le snobisme, l’élitisme, le parisianisme n’expliquent pas tout. Le TCE a fait « avancer » la musique. Les controverses n’ont jamais manqué ; voire celles qui concernent la prochaine inauguration de la Philarmonie de Paris.. Elle s’installe à l’Est de la capitale en s’appuyant sur la Cité de la Musique et le Conservatoire National de Musique.
Pour autant jamais on ne dira « Adieu » au TCE qui créera de nouveaux Temps et Temples dédiés aux doubles croches. L’Album en est un bel exemple.
Claude Glayman
* - « Théâtre des Champs - Elysées » 660 pages, 89 E. (Edition IPad comprise)