Selon nous, la musique ne ment pas, pour autant la musique est-elle « innocente (cf «.La haine de la musique » de Pascal Quignard) ? Interrogations au terme d’un cycle des Symphonies et Concertos de Dimitri Chostakovitch (DSCH) durant l’année 2013 jusqu’au 18 février 2014, salle Pleyel, par l’Orchestre du Théâtre Marinsky, direction Valery Gergiev. Souvenons-nous de la mise en question de la « Symphonie », comme mode d’expression dans les années 50, époque de la « Tabula Rasa » , idem pour l’ « Opéra » devenu depuis quasiment universel. Quant à la « Symphonie » ?
JEUNESSE DE DSCH
A la fin des années 20 (DSCH né en 1906) et au cours des années trente, D.Schostakovitch, ultra doué, non seulement pour le piano, s’était lancé dans toutes sortes d’aventures avant-gardistes (première Symphonie en 1924) à une époque où le régime de l’URSS semblait encore tolérant ; Joseph Staline n’était pas parvenu au stade de maître absolu.
ANNEES TRENTE
Années 30 : changement de décor, collectivisation des terres et terrible famine en Ukraine, grands procès, exécutions. Notre compositeur a écrit quelques symphonies,des ballets également, l’opéra « Le Nez ». Le voici qui s’attaque au grand opéra « Lady Macbeth de Mtsensk », le public et des artistes en vue l’ ont applaudi. Silence initial du maître, suivi d’un éclat ; « Du chaos en place de musique ». ; n’écartons pas une certaine pudibonderie chez le même Staline. DSCH est déstabilisé, début d’une œuvre désormais poursuivie dans l’ambiguïté…Même s’il adhère au communisme, le compositeur s’apprête à ruser avec le Parti et ses oukases « contre le formalisme et pour le réalisme socialiste ».
En 1937, une « 5°Symphonie » que nous avons découverte dans les années 50 et admirée ; une Symphonie déjà « Mahlérienne » mais qui alors connaissait Gustav Mahler ? V.Gergiev et ses musiciens s’emparent de tout ce bagage avec une force indicible et un orchestre, lui aussi « rusé », ferme et délicat, répondant comme à un idéal vital. Au long des années la rencontre de cette Symphonie avec de nombreux chefs, Kirill Kondrachine,Evgeny Mravrinsky, Leonard Bernstein, Sergiu Célibidache,… engendrait en définitive une certaine insatisfaction. DSCH brille mais exprime-t-il le fond de son inspiration ? Il déclare entamer une « Symphonie Lenine » qui ne verra jamais le jour, mais quel alibi au moment où il fait la découverte majeure du genre « Quatuor » ! C’est secret, codifié en diable et on est en droit de prétendre tout y exprimer.
Musique de chambre et zizanies au niveau de l’Union des Compositeurs. En cachette Serge Prokofiev admoneste son jeune rival.
Sa veuve Irina Chostakovitch, dans un entretien, nous fera l’honneur de rappeler comment, au début mars 1953 la disparition quasi simultanée de J.Staline et S.Prokofiev, DSCH s’occupa de l’enterrement du musicien tandis que la foule pleurait son Dieu et rien d’autre.
1941 ET RIEN D’AUTRE ;
La Guerre, et son éventualité toujours plus imminente, déroulent leur film d’horreurs. DSCH est originaire de Leningrad (redevenu St
Petersbourg). 900 jours de siège face à une Wehrmacht impatiente mais immobilisée. Dimitri y combattra les armes à la main, surtout composa sa 7°Symphonie dite « Leningrad », créée in loco le 1er mars 1942 ; une grande fresque dans les mains de nombreux chefs dont Karel Ancerl et aujourd’hui celles de Valery Gergiev qui se lance avec une violence inouïe dans cette mêlée. Quasiment une pièce expressionniste. Les radios américaines et alliées la diffuseront, occasion aux Etats-Unis d’une bagarre d’illustres baguettes ; destiné à Léopold Stokovski, ami du compositeur le micro film de la partition atterrit chez Arturo Toscanini qui n’appréciait guère la musique de DSCH, mais fut ravi de l’aubaine. Déçu par la conception du maestro Chostakovitch fut récompensé par une offre d’appartenir, d’office à la Société Toscanini (sic). Arnold Schoenberg, Bela Bartok et d’autres, n’ont, sans doute pas oublié, là où ils sont, l’aide musicale quasi inexistante des quelques grands chefs exilés.
Quand à V. Gergiev après un Allegretto initial à couper le souffle, mais s’isolant dans certaines pages suivantes chargées de dire la paix retrouvée, les petits oiseaux, la vie quotidienne dans sa banalité et dans son poids.
1948 / DECISION DU COMITE CENTRAL ;
A preuve le conflit mondial terminé, J.Staline reprend les rênes en mains et « en avant » pour la chasse aux formalistes. Nous sommes en 1948, guerre froide oblige, le Comité Central, avec l’appui d’Andrei Jdanov convoque de tristes sirs : Prokofiev, Chostakovitch, Khatchatourian, Kabalevski etc… Les accusés assurent ; c’est promis, juré, nous appliquerons les nouvelles directives dans nos musiques respectives. Pour DSCH ce sera « le Chant des Forêts » la maîtrise de la nature mais non la meilleure œuvre !
- 1953 : J.Staline trépasse, DSCH compose sa « 10°Symphonie, l’une de ses plus réussies, le pessimisme héroïque est toujours là, mais l’équilibre de l’ensemble est impressionnant (cf le cd de Kurt Sanderling, assistant d’ E.Mravinsky) On a noté qu’un cor jouait les notes d’ un code correspondant à l’un des grands amours du musicien : Elvira Nozirak. On a également qualifié cette œuvre de « Symphonie du dégel ». mais désormais s’inspirant d’un G.Mahler plus célèbre, DSCH composera des symphonies autour de textes littéraires, principalement des poètes universels.
Cependant lors de la 13°Symphonie nouveau conflit, le dernier sans doute, avec les héritiers de J.Staline et autour d’un poète contemporain Maxim Evtouchenko, DSCH évoque « Babi Yar » un lieu dit en Ukraine où furent assassinés plusieurs milliers de Juifs. Les dirigeants n’apprécièrent guère cette évocation et même le chef, ami fidèle de DSCH, E.Mravinsky « le lâcha ».
Désormais se juxtaposèrent à une nouvelle version de « Lady Macbeth », des « Quatuors », des concertos et deux symphonies sur des poèmes , la 15°, l’ultime et la 13° où les Marinsky brillèrent malgré la difficulté de suivre des textes de Féderico Garcia Lorca, Guillaume Apollinaire et Rainer Maria Rilke, chantés en russe, par la soprano Veronika Goeva et le jeune et prometteur ténor Mickaïl Petrenko.
Désormais comment et où classer DSCH, parmi ses pairs, l’époque et face à un avenir que nul ne connaît ? Et si on a semblé négliger les concertos, c’était pour accorder plus d’importance aux symphonies qu’à des œuvres populaires mais ne soulevant pas les mêmes questions.Cette musique sous V.Gergiev est-elle ou non innocente ? Là aussi le futur sera juge.
Une certitude en tout cas au 20ème siècle, DSCH ne fut pas « un dissident » mais un artiste important, inspiré et intègre !
Claude Glayman.
DSCH « Intégrale des symphonies et concertos ». « Orchestre du Théâtre Marinsky » dir Valery Gergiev. Salle Pleyel, 7 janvier 2013/ 18 Février 2014.
- Il existe de nombreux ouvrages, plus ou moins discutables, sur ou autour de Dimitri Chostakovitch.
Nous nous sommes surtout servis :
- Frans G.Lemaire « La musique du XX°siècle en Russie : et dans les anciennes Républiques soviètiques ». Fayard, 521 p. 1994, 150F.
- Un utile document publié par la Salle Pleyel sur ce cycle.