En l’occurrence un Verdi moins public que d’habitude : présence (rarissime) de chœurs dans le prélude d’ouverture déplorant la misère des Flandres. On a évoqué l’influence de Wagner, dont Verdi ne connaissait alors guère la musique ou bien quand Verdi se mêle de politique, vrai ou faux ? Dans Salzbourg, ville musicale par excellence, on bénéficie d’un défilé de toilettes qui prélude chaque soirée d’une mondanité obligée ! Au premier regard on est frappé mais sur la scène, par les costumes d’Anja Harteros (Elisabeth de Valois) ; le duvet noir de Jonas Kaufmann (Don Carlo) sans date ; la casquette du page qui le distingue dans les foules. (Annamaria Heinreich°). Nous sommes à Fontainebleau, Don Carlo se fiance à Elisabeth, littéralement fou d’amour.Mais la fatalité veille en ennemi des passions spécialement juvéniles. Le Roi de France accorde la main de sa fille, Elisabeth, au vieux Philippe II, roi d’Espagne et père de Don Carlo !..,
Et soudain la fiction initiale se déséquilibre bien que les âges n’aient jamais été un obstacle majeur à des mésalliances ; il s‘en suit un constant sentiment d’inceste.
Cet opéra entre Espagne et France a subi de nombreuses versions de sorte que les quatre heures d’antenne en direct de Salzbourg donnent parfois une image désarticulée de l’ensemble de l’oeuvre La direction du Philarmonique de Vienne par Antonio Pappano, peu habitué, jusqu’ici à Salzbourg ; très délicatement musicien, dirige un cours ultra sensible de l’Orchestre avec des chanteurs hors pair, dont certains célèbres . Mise en scène feutrée de Peter Stein qui réduit trop le bûcher des hérétiques.
A célébrer plusieurs séquences de bravoure plutôt inoubliables.
Don Carlo c’est également l’histoire d’une formidable amitié entre le héros et le Marquis de Posa (Rodrigue) qui connaît les Flandres et leur malheur. Il vit à la Cour, estimé du Roi qui le met en garde contre le grand Inquisiteur. Deux jeunes gens que lie la défense de la liberté dans les Flandres et en Brabant, également maillon faible de l’Empire. Thomas Hampson chante Rodrigue avec générosité et intelligence, d’une grande prudence ce qui le distingue de l’impulsivité de Don Carlo. Ce grand chanteur est l’un des rares personnages à saisir la complexité de la situation et à savoir en assurer la maîtrise. Il calme les esprits d’un petit univers assez hystérique.
La manière dont il tient tête à Philippe II, au cours d’une altercation s’agissant des Flandres plus ou moins réformées, est à la fois, courageuse et lucide, évoquant « la paix des cimetières ». Philipe II juge ces provinces mâtées et calmes. Monde tyrannique, obscurantiste où la menace du grand Inquisiteur est brandie à tout propos. On songe à l’ « Ouverture d’Egmont » de Beethoven d’après Goethe sur le même thème, tout comme notre Don Carlo émane d’une pièce de Schiller. Dans un univers que Verdi, le progressiste, déteste et dénonce sans ménagement. La vaillance de Don Carlo demeure cependant à la hauteur de cette « barbarie », voix imposante qui se rapproche du baryton mais équilibrée par une fort belle sonorité de ténor. Nous l’avions admiré naguère dans « Werther » de Massenet à Bastille et sur Mezzo dans la mise en scène de Benoît Jacquot qui l’avait magnifiquement filmée.
Un univers si proche du précipice ne pouvait échapper à la perfidie, en l’occurrence celle de la Princesse Eboli. Ex maîtresse du Roi , amoureuse en secret de Don Carlo et qui révèle, par vengeance, les gros secrets de la situation à Philippe II. Lequel s’égare dans ce labyrinthe de messages. Et s’interroge dans une scène fameuse, un monologue, où triomphe l’illustre Matti Salminen, poignant dans sa chemise de nuit un rien comique. C’est le moment où le drame s’inverse, tout est connu, su : chaque personnage s’accuse de tous les maux. Phlippe II laisse tuer Rodrigue en dépit de sa haute protection ; Rodrigue avait récupéré des documents compromettants de la main de Don Carlo. La Princesse Eboli, hors de ses gonds, se tape la tête contre les murs de la cellule de Philippe II, c’est Ekaterina Semenschuk excellente dans la démesure alors qu’Anja Harteros (Elisabeth) semble succomber à la subjectivité de son drame. Tandis que Charles Quint, retiré du monde humain, ou mort ? sort de sa retraite, et en quelque sorte, sauve Don Carlo qu’il protège là en tant que père (Contrairement à ce qu’à signalé une speakerine). Don Carlo ira dans l’éternité des très grands, mais lui par vertu. Intervention du fantastique dans un univers proche de la destruction cf. « Le Crépuscule des Dieux ». Miracle ou décrochage de la réalité ; intervention du fantastique , chez Peter Stein qui s’étend un bon moment pour que le spectateur/auditeur plongé dans les chœurs et l’orchestre s’imagine délivré à l’image des personnages.
Claude Glayman. - Arte 16 août / 20/24H