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Billet de blog 22 février 2015

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Etonnant critique musical américain, voyageur du monde et du temps : La musique dans tous ses états

Auteur déjà traduit chez le même éditeur de « A l’écoute du 20e siècle », Alex Ross regroupe ici une série d’articles parus dans le New Yorker, référence outre-Atlantique. Si ses confrères européens, notamment français, se caractérisent volontiers par l’abstraction et l’idéologie, les Américains sont avant tout des pragmatiques.  Son parcours critique est passionnant, à se demander comment on s’intéresse à des musiques d’un autre continent tel que l’Europe  qui n’est pas sien, quoique capital.

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Auteur déjà traduit chez le même éditeur de « A l’écoute du 20e siècle », Alex Ross regroupe ici une série d’articles parus dans le New Yorker, référence outre-Atlantique. Si ses confrères européens, notamment français, se caractérisent volontiers par l’abstraction et l’idéologie, les Américains sont avant tout des pragmatiques.  Son parcours critique est passionnant, à se demander comment on s’intéresse à des musiques d’un autre continent tel que l’Europe  qui n’est pas sien, quoique capital.

Ceci à un moment où la musique classique passe pour diminuant. Mais, comme le dit l’auteur, cette musique n’en finit pas de mourir, tandis que de nouvelles musiques apparaissent (dans son recueil, le jazz est absent) et d’autres peuples adoptent la musique classique, comme les Chinois par exemple, à qui l’auteur accorde toute son attention après une longue étude de terrain. Quant à la musique contemporaine, moderne, sempiternel enjeu en Europe, quoique chaque époque connaisse sa musique moderne ; au temps de Jean-Sébastien Bach, lui-même en étant le héraut.

Dans cette perspective générale, A. Ross consacre plusieurs articles à une importante partie de ce panorama. Nous revenons sur ceux qui nous paraissent les plus marquants pour notre thème.

« Mozart, le juste milieu au nom du père »

L’œuvre et l’homme ont été tellement disséqués que le mystère ne demeure guère. Du reste, selon notre auteur, c’est à des notations de détails, mais essentiels, auxquels nous nous attachons. Ainsi, Mozart a toujours eu conscience  d’être coupé du monde et pas seulement en raison de celui qu’il nomme « le complot de Salieri » ; l’ambiguïté absolue de la relation au père et son hostilité quasiment viscérale à l’égard des aristocrates (l’archevêque Colloredo de Salzbourg n’en étant qu’un aspect). A. Ross dit de Mozart que « son innocence est éternellement renouvelable ; l’enfant n’est jamais détruit » et sortir de l’innocence, c’est la mort ; « un perfectionniste de l’improvisation permanente ». Les périodes fastes et celles qui le sont moins. L’influence capitale de Don Giovanni s’exerce sur Goethe et son Faust ; Søren Kierkegaard, Pouchkine et le retour à Salieri ; in fine, le romantique Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, le prosateur et poète.

« Schubert : l’âme de la musique »

Indiscutable énigme, mais aussi l’artiste de mélodies parfaites « Marguerite au Rouet » sur un total de 600 Lieder et aussi une diversification des œuvres, obstacle de l’époque ; aucun contact avec le Grand Œuvre de Ludwig Van Beethoven, dont la mort en 1827, un an avant celle de Schubert, permit de le libérer pour l’année 1828 (Neuvième Symphonie dite La Grande, la Sonate en si bémol D. 960, le cycle du Chant du cygne…). Relation complexe avec le poète Mayrhofer, qui fait évoquer un Schubert homosexuel, le thème de l’amour impossible, sentiment qui a toujours entouré Schubert et son groupe d’amis.

 « La symphonie des Millions : la musique classique en Chine »

Les Chinois sont des interprètes passionnés de la musique classique occidentale. L’auteur a enquêté sur le terrain et s’est lié à un jeune musicologue chinois Chen Qi Sang chargé en 2008 de programmer la musique de cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. On est bien loin du premier père jésuite qui en 1601 fit entendre les premiers sons de son luth. De nos jours, on recense de 30 à 100 millions de Chinois qui apprennent le piano, tandis qu’on compte 7 000 étudiants au CNCM, non sans un inévitable mais prometteur mélange de styles. En 1927, s’ouvre le Conservatoire de Shanghai, et celui de Pékin s’ouvrira bien ultérieurement (1950). La « Révolution Culturelle » met fin à ces activités, qui elles-mêmes reprennent à la mort de Mao et de Madame Mao. Nous connaissons l’opéra de Pékin, cependant le jazz ne semble pas à ce jour avoir pris dans ce continent  à forte imprégnation de musique locale.

 « Marlboro, la Montagne magique »

De la vaste Chine aux vergers du Vermont (USA), il y a toujours de la musique et ici en plein air, en pleine liberté. Documentation formidable de l’auteur sur Marlboro ! « Marlboro Music » a été créé en 1951 sous l’impulsion du célèbre pianiste d’origine autrichienne, Rudolf Serkin, organisé tous les étés. Lieu d’inspiration, de détente, de non-contrainte face à des musiciens de tous pays et de toutes spécialités. Une réunion de ces « sorciers », où il a été compris que la liberté qui y régnait était source de fruits ultérieurs au-delà de concerts et de récitals : Pablo Casals, Leonard Bernstein, Michael Tilson Thomas, comme le grand compositeur français Henri Dutilleux, sans oublier à ses origines le célèbre quatuor Guarneri, l’ancêtre. Pas de piédestal pour l’art est clamé.  Apparemment, il n’existe pas de Marlboro en France.

 « John Cage au bout du silence »

Disparu en 1992, J. Cage, l’iconoclaste par excellence, proclamait « il n’y a rien de tel que le silence ». Il ne demeure que les sons, se contentant de n’être que des sons. Amateur d’Erik Satie, en relation avec Marcel Duchamp, Cage fut également élève d’Arnold Schoenberg ; il noua une très grande amitié avec le chorégraphe Merce Cunningham ; relations également avec Pierre Boulez, mais avec divergences. Avec son œuvre, illustrissime pavé dans la mare, « 4'33" » : une assistance pratique l’écoute du silence durant ces brèves de temps. Parfois énervés, certains quittent le lieu, mais ce concept perdure. Le silence que nous pouvons écouter nous permet d’écouter ce que les autres pensent. J. Cage connut John Lennon et Yoko Ono à West Village (NY). Il en fit d’autres, comme d’ajouter aux marteaux de piano, de nombreux objets  dans le concept de « piano préparé ». « 4'33" » demeurera pour toujours la « sépulture symbolique de l’idée de silence ». Et Cage avoue in fine d’avoir « écrit enfin de la belle musique ».

 « Le Rock sur orbite »

Le groupe Radiohead, selon l’auteur, serait le groupe le plus important depuis les Beatles. Ils seraient les gribouilleurs des sons. Durable machine à composer, ils visent le perfectionnisme, notamment dans leur chef d’œuvre Creep en 1993. A. Ross nous détaille son installation hallucinante près du Musée Frank Gehry de Bilbao. Ensuite, il les accompagne dans leur tournée de la ville basque. Mais toujours dans un style direct, pragmatique.

 « On n’échappe pas à Verdi »

Comme Mozart ou Schubert, Verdi est connu des mélomanes. Du reste, quasiment aussi mélodique que Mozart ou Schubert, 28 opéras au total, dont 13 à la trentaine par un artiste qui vécut sur deux siècles. Notez l’importance d’Arrigo Boito, le librettiste d’Othello et de Falstaff.  Mas c’est surtout depuis 1945 que s’est produit un renouveau de Verdi ; Arturo Toscanini était exilé aux Etats-Unis par refus du fascisme.  Pour autant, on notera la très belle page d’Alex Ross sur la passion de Violetta dans la Traviata, chantée par Maria Callas. Cependant, dans sa dernière période, Verdi recherchait surtout les limites vocales des chanteurs. Par exemple, pour Placido Domingo dans le Trouvère.

Claude Glayman

Alex Ross. La musique dans tous ses états « Listen to this ». Traduit de l’américain par Laurent Slaars (2010). Actes Sud. 508 pages. 2015. 29 €.

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