Comme s’ils déboulaient dans les touchants et merveilleux décors bleutés de « I was looking at the ceiling and then I saw the sky », sous titré, « Songplay en deux actes » (1995) de John Adams. Sept personnages, l’un après l’autre, chantant dans une rue américaine typique.
C’est Los Angeles sujette aux tremblements de terre, le second acte s’ouvrira sur l’un de ces bouleversements qui ravagent tout sur leurs passages.
Comme le notent le metteur en scène Giorgio Barberio Corsetti, co-scénographe en compagnie de Massimo Troncanetti : au-dessus le ciel, les fenêtres d’immeubles bleus sont les yeux de la cité. Volumes et fenêtres, lumières et ombres, joies et drames. Car si les bâtiments semblent pareils, les rêves diffèrent. Tant de vies s’écoulent sous nos yeux, un des traits du romanesque traditionnel américain, John Dos Passos, James T.Farell, etc. La vidéo en rajoute et pour les musiciens ce sera toute une histoire chorale.
John Adams est un artiste qui nous semble donner dans une certaine naïveté, souvent avec son fidèle homme de scène Peter Sellars. De lui on a vu, et entendu dans ce que l’on pourrait qualifier de première vague sur le sol français : « Nixon in China » (redonné la saison dernière au Châtelet), « The death of Klinghoffer », « El Nino », notamment. A l’époque c’était le compositeur répétitif qui attirait ou non, au sein de ce que certains avaient qualifié d’ « Ecole Répétitive », à rapprocher d’autre musiciens comme Philippe Glass, Steve Reich et d’autres. Bien des tenants de l’avant-garde hexagonale n’appréciaient guère. Seulement une partie du public avait été conquise, le Châtelet et son directeur général, Jean Luc Choplin, ont repris, poursuivi et accueilli des spectacles anciens ou nouveaux.Pour sa part John Adams qui a également composé de la musique instrumentale, aujourd’hui se réclame, faute de mieux, dans le programme de la soirée du 19 juin , du « musical » élisant, comme icônes, « Porgy and Bess », « West Side Story » ; une histoire chorale illustre.
Selon une précédente indication, « une histoire d’amour polyphonique », et ajoute-t-il, modeste, dans le style des comédies de Shakespeare. En réalité nous nous dispersons entre des personnage sans évident fil d’Ariane - mais ce sont les hasards de la rue – dans des déroulements embrouillées, en attendant le « deus ex machina », véritable rappel à l’ordre.
Très brillante, Hlengiwe Mikhwanazi est une soprano sud-africaine, elle chante Consuelo qui repartira poursuivre le combat révolutionnaire au Salavador, tandis que son amant, Dewain né à Chicago, sorti à diverses reprises de prison, s’engage dans la lutte pour les droits civiques ; c’est un baryton puissant, Carlton Ford. Les problèmes ethniques nord-américains sont au cœur du livret de June Jordan, spécialiste des problèmes africano-américains. Il y a aussi le Pasteur David, coureur de femmes, c’est dans l’Eglise baptiste que le tremblement de terre en surprendra plus d’un. On remarque également deux flics blancs, Mike dont Tiffany, professionnelle de télévision, semble amoureuse mais s’interroge, l’objet de ses vœux s’est-il pas homosexuel tant il répond peu à ses avances. Egalement Rick l’autre flic d’origine « boat people ». Le petit orchestre est dirigé avec doigté par Alexander Biger manieur de bien des styles.
Comme dans plus d’un opéra baroque, une catastrophe de la nature bouleverse le destin de ces gens : Leila, l’étudiante noire meurt écrasée par un bloc de pierres. Pop, jazz, rock constituent la base d’une partition qui est tout sauf de la musique classique. Le Châtelet s’attache ainsi un public que nul jusqu’ici n’avait recruté, en ce sens il renoue avec l’une de ses multiples traditions.
Claude Glayman
Châtelet, 19 juin, jour de la dernière.