Il y a plusieurs samedis de cela, sur les ondes d’une radio nationale, deux intellectuels de renom se félicitaient d’une supposée agonie de la « Musique Contemporaine ». L’un d’eux rappelait les qualités de la musique britannique moderne (débuts du 20°siècle), Edward Elgar, Fredéric Delius jusqu’à Benjamin Britten. Cependant rien sur George Benjamin, alors annoncé à l’ « Opéra Comique 16/19 novembre » avec « Written on Skin », prolongement du succès au dernier Festival d’Aix-en-Provence et ailleurs*. Au reste silence radio sur Henri Dutilleux, un contemporain pas si lointain de nous !
Nos intellectuels de renom ne savent pas forcément tout, la ou les musiques d’aujourd’hui, composées dans le monde entier, exigent une certaine attention et pas de survoler au nom de ses préjugés !
Du reste, comment rendre compte de cette œuvre de génie dû aussi à la collaboration du dramaturge Martin Grimp. C’est être sous le choc d’une mise en scène
(Katie Mitchell) saisissante, comme activée par des décors découpés en quatre quadrilatères, sur deux étages, suivis simultanément, même si le regard se fixe sur un ou deux ; sur des costumes très recherchés pour un livret se déroulant il y a 800 ans, au 13°siècle, au Moyen-Âge, centré sur le mythe littéraire du « Cœur mangé » qui depuis Guillem de Cabaistain Troubadour de Perpignan, jusqu’à Stendhal, au-delà même. Cependant l’œuvre est truffée de références actuelles (on y parle de parkings par exemple ); il ne s’agit pas de rétrospective du passé, ni d’une description d’hier mais d’un monde d’hier avec un regard d’aujourd’hui. Incluant une langue anglaise magnifique que ce soit des dialogues ou du chant, surtitrée de manière plus qu’inattendue, les personnages « racontent en même temps qu’ils vivent ». Bref un sentiment de perfection comme on l’a rarement éprouvé !
- Les thèmes et le sonore.
George Benjamin, né en 1960, et pleinement contemporain. Assister à une représentation de « Written on Skin » c’est être happé par l’extrême beauté de sa musique, voix et orchestre ; Quinze scènes et cinq personnages. Le « Protecteur » c.a .d un propriétaire (terrien d’abord) / « Proprio » absolu et de tout, disposant de tous les pouvoirs (y compris de faire pendre dans ses arrières cours). A une époque à la fois quasiment sauvage, barbare mais également « novatrice » à certains égards. En témoigne la possession totale que le « Protecteur » a de sa femme. Des textes du temps dans le programme très complet évoque « L’idéologie anti--corporelle chrétienne » de ce temps et dont la femme paye le plus lourd tribut. L’artiste, troisième personnage, est un homme évidemment. C’est un enlumineur attelé à un livre, son talent a frappé le « Protecteur ». Trait universel, tout pouvoir a besoin d’artistes, comme une sorte de légitimation définitive. Le spectateur ne verra aucune de ces enluminures, il les devinera.
Deux autres « héros » plutôt effacés, la sœur d’Agnès (prénom de la dame) et John, son époux. A l’image de nombreux serviteurs, ils soutiendront le « Protecteur » ; mettent en garde le couple contre la présence du « jeune homme », l’artiste, en prévision d’un drame qui s’annonce . Quant aux Anges, nombreux à l’un des premiers étages, oeuvrant sur des tables à dessins. Je n’en ai pas toujours bien saisi le sens. Dans le Programme il est dit « qu’ils rappellent la violence et la haine des femmes ». Anges, référence à Monteverdi est-il précisé ? In fine l’artiste a peint le portrait d’Agnès et jeune ardent comme il est, il ne résiste pas au désir partagé, désir charnel, sexuel. L’adultère est de tous temps.
Après un mauvais rêve et des mises en garde multiples du « Protecteur », ce dernier tue sauvagement l’artiste, il arrache et récupère son cœur destiné à un repas « moralisateur » d’Agnès. Mais loin de s’effondrer, en le goûtant lors d’une table servie par son maître, Agnès dira que cet acte de dévorer, ne cesse de lui rappeler le goût du corps de l’artiste.
- Une nouveauté sonore.
De George Benjamin nous connaissions, en les appréciant, des œuvres déjà anciennes, « Ringed by the flat horizon », première composition (chronologiquement parlant). Ont suivi « Antara » commande de l’Ircam. Et de proposer divers l’Opée titres, liés à de multiples occasions dont une sollicitation du Festival d’Automne (2006). On le suit de loin à Salzbourg, aux Festivals de Tanglewood etc…dans de nombreux hauts lieux de musique.
G.Benjamin définit sa musique comme authentique et moderne. Grand admirateur de « Pelléas et Mélisande » de Claude Debussy et de « Wozzeck » d’Alban Berg, le compositeur fit du « Protecteur » un second Golaud, jaloux, meurtrier et mortifié d‘autant qu’à la fin il ne disposera de plus aucune prise sur Agnès qui se suicide. Cette mort et celle de l’artiste engendreront de nouveaux temps., de nouvelles moeurs ultérierement.
Le « Protecteur » est un sensationnel baryton, Christopher Purves, exhibant en permanence son pouvoir, sa possession de tout et simultanément sensible à l’artiste et à Agnès qu’il semble peu toucher. Cette dernière est la célèbre soprano canadienne Barbara Hannigan qui a chanté notamment dans « Passion » de Pascal Dusapin, l’une des dernières créations du musicien et dans « Correspondances » d’Henri Dutilleux, dernier cd paru du vivant du maître français.
Lestyn Davies contre-ténor est le séduisant garçon, l’artiste. « L’Orchestre Philarmonique » de Radio France est dirigé par le compositeur qui connaît tous les recoins et la transparence de sa partition. Loin de tout opéra « réaliste » l’œuvre est magique ; le Philar , cordes, bois, vents et instruments rares dont l’harmonica de verre, peut-être en hommage à Mozart. Plutôt génial mais lesté du péché d’être de la « musique contemporaine » !.
Claude Glayman
* Vu à l’Opéra Comique le 19 novembre. Spectacle commandé et réalisé en co-production avec l’Opéra Comique, le « Festival d’Automne » et celui d’Aix-en-Provence. Y rajouter « Covent Garden » Londres ; le « Nederlandse Opera d’Amsterdam » et le «Capitole de Toulouse.