L’Opéra National du Rhin vient juste de monter (commande de la Monnaie de Bruxelles) à Strasbourg, le dernier et 9e Opéra de Pascal Dusapin, « Penthesilea » d’après la pièce éponyme d’Heinrich von Kleist, poète romantique allemand contemporain, de Goethe.Tout en ignorant les adaptations d’Hugo Wolf et d’Othmar Shoeck, l’on comprend que cette extraordinaire et géniale pièce en ait inspiré plus d’un. Franck Ollu le chef d’orchestre de cette soirée évoque la « force incroyable, la violence inouïe » de cette pièce, vue à deux reprises au théâtre et surtout relue récemment dans une nouvelle traduction (*). La versification, l’imaginaire verbal écrasent littéralement le lecteur, même « Phèdre, Bérénice » de Racine n’atteignent pas la fusion des vers que notre très faible connaissance de la langue allemande ne nous permet pas de juger dans sa forme originelle.
La relation greco-allemande, souvent évoquée dans plus d’un domaine, explique pour une part que « Penthésilea » soit une créature de l’antiquité hellène. Histoire infernale de cette « Reine Amazone », autrement dit une guerrière, sous les murs de la cité de Troie au moment des combats entre Grecs et Troyens, tombe folle amoureuse d’Achille, héros parmi les héros , au point de désirer le voir vaincu à ses pieds, véritable proie charnelle. On retrouve chez Achille des sentiments identiques. Et, l’on passe alternativement de la victoire de l’un à la victoire de l’autre dans un mouvement inverse. S’agit-il de héros à l’orgueil démesuré ou de caprices de « grands » ? Des proches de chacun, amis parmi les amis, Prothoé auprès de Penthésilea et Oysseus/ Ulysse proche d’Achille tentent de les ramener à la raison, en vain. Jusqu’à la chute finale lorsque Penthésilea décide de lâcher les chiens, dévoreurs de chair humaine, sur Achille, par ailleurs blessé à mort par l’arc et les flèches de son ennemie. Dès lors que l’on fera comprendre à Penthésilea qu’Achille l’aimait de toute son âme, confrontée au néant, elle se suicide.
Le livret tiré de von Kleist est cosigné Beate Haeckl, Pascal Dusapin à qui l’on doit l’épilogue dans son intégralité. Le contenu du livret n’est pas à l’identique des vers de von Kleist et de leur chant inoui, unique. L’intrigue proprement dite contient la violence de l’opéra mais elle demeure, somme toute, plutôt courante dans cet univers « barbare » pour reprendre un terme très en vogue. En outre tous les retournements de scène liés aux décisions des héros ne sont pas montrés, ils sont rapportés par un personnage alors que la violence des décors très particuliers et divers signés Berlinde De Bruyckere, artiste belge de forte réputation, mais ignoré de nous, tantôt des objets quasiment industriels, tentures, sorte d’immense rideau de scène se déployant sur les planches, lumières de Jean Kalman souvent admirées en France.
Comme souvent chez P. Dusapin, l’Orchestre « sonne », ici le Philarmonique de Strasbourg, comme dans ses « Solos pour Orchestre » ou « Morning in Long Island ». C’est cette qualité orchestrale, notamment, qui fait titrer sur une forme de classicisme du compositeur qui a trouvé son moyen d’expression depuis belle lurette et qui n’est pas dans une recherche nouvelle . Ici sont adjoints les « Chœurs de l’Opéra national du Rhin » (direction Sandrine Abello). La soprano Marisol Montalvo est remarquable dans Prothoe, quant à la mezzo Natascha Petrinski qui a la lourde charge du rôle titre, elle incarne les fréquents volte-face d’une reine indécise, parfois trop dans l ‘aigu. Georg Nigl qui nous avait tant impressionné dan « O Mensch », renouvelle sa performance et Werner van Mechelen confère une carrure vocale à Odysseus/Ulysse. Frank Ollu qui avait créé « Passion » un précédent opéra de P.Dusapin et Pierre Audi le metteur en scène descendu d’Amsterdam à Strasbourg sont les deux « activistes » de cette partitio dont on attend des reprises.
Claude Glayman
- Heinrich von Kleist, traduction de Ruth 0rthmann et Eloi Recoing. Actes Sud/Papiers1998, 136 p. 16,5O Euros.