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Billet de blog 30 janvier 2014

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Charlotte Delbo, l'inconnue de la Résistance

Aux côtés des grands classiques sur les camps nazis (Robert Anthelme, L’espèce humaine ; David Rousset, L’univers concentrationnaire ; Primo Levi, Si c'est un homme) ; en un temps où le courant « négationniste » connaît comme un regain, voire plus ; la redécouverte d’une pionnière de la question, Charlotte Delbo, ses ouvrages et son itinéraire, voire une personnalité exceptionnelle, renouvellent la connaissance de l’une des pages les plus tragiques de l’histoire du XXe siècle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aux côtés des grands classiques sur les camps nazis (Robert Anthelme, L’espèce humaine ; David Rousset, L’univers concentrationnaire ; Primo Levi, Si c'est un homme) ; en un temps où le courant « négationniste » connaît comme un regain, voire plus ; la redécouverte d’une pionnière de la question, Charlotte Delbo, ses ouvrages et son itinéraire, voire une personnalité exceptionnelle, renouvellent la connaissance de l’une des pages les plus tragiques de l’histoire du XXe siècle.

La parution d’une remarquable biographie signée d’un historien, Paul Gradvohl et de sa compagne journaliste Violaine Gelly, renouvelle et approfondit notre compréhension. Si les références mentionnées, sans compter d’innombrables et incessantes parutions sur le sujet, sont surtout factuelles, voire sur un plan davantage philosophique ou éthique, le travail de C.Delbo, dans ses textes et sa correspondance, aborde l’aspect complexe, exigeant et le moins traité : le retour des déportés à ce qu’on désigne, un peu légèrement, par «  vie normale ». Des suicides, des morts rapides, des silences prolongés montrent que le  phénomène est loin d’être élucidé.       

-  CHARLOTTE  DELBO

Issue, comme on dit, d’un milieu modeste, étant trilingue (anglais, allemand) et de plus « sténodactylo » ce qui, à l’ère numérique, n’a plus grand sens mais lui permet de rencontrer Louis Jouvet, alors Directeur du Théâtre de l’Athénée depuis 1934. L.Jouvet lit  pour la première fois une interview  de lui, fidèle à la lettre ce qu’il n’obtenait jamais jusqu’ici et était en mesure de l’aider considérablement dans les échanges avec les étudiants du Conservatoire.

L’ Athénée actuellement dirigée par  Patrice Martinet lui a rendu hommage par une lecture publique de ses textes.

C.Delbo militante communiste de l’époque a suivi L.Jouvet dans son périple en Amérique du Sud aux lendemains de la défaite de 1940 et de l’installation du régime de Vichy. Elle est ensuite revenue en France s’engager dans la Résistance aux côtés de l’homme, Georges Dudach, son mari,  qu’elle n’oubliera jamais par-delà son exécution  par les nazis en janvier 1942. Aussitôt après C.Delbo est déportée à Auschwitz/Birkenau, ce qui était rare pour une femme, au surplus non juive.En 1944 elle fut transférée à Ravensbrück, là comme ailleurs s’imposait la solidarité des prisonnières, hors de laquelle c’était la disparition face à un traitement terrifiant que rappelle la biographie. Néanmoins C.Delbo se rendit compte qu’à Ravensbrück il n’existait pas de chambre à gaz. C.Delbo côtoyait Geneviève De Gaulle, Marie-Claude Vaillant Couturier (témoin à charge au Tribunal de Nûremberg), Danièle Casanova n’avait pas survécu à Auschwitz ainsi que nombreuses inconnues affaiblies jusqu’à l’effondrement.  C.Delbo prit ses distances avec le PCF qui « privilégiait  les cadres » sans pour autant rompre. C.Delbo ne supportait pas la désertion de Maurice Thorez qui gagna l’URSS, alors alliée des Nazis jusqu’à l’opération « Barbarossa » de juin 1941.

Au début de janvier 1945, Bernadotte le Comte suédois ouvre les portes de la liberté, les armées alliées sont proches et l’on apprend que L.Jouvet est revenu à l’Athénée, une Athénée quasiment vide mais prête à repartir.

- RETROUVER  LA  FORME D’UN VIVANT

De sa voix que n’interrompt aucune fatigue,et quelques minutes de voix enregistrées, Louise Moaty récite C.Delbo (le 28 janvier 2014), sur la scène du théâtre).

Après son retour en France C.Delbo, plusieurs mois durant, ne parvient pas à retrouver la vie.Dans sa chambre des amis lui portent des fleurs, des livres, des gâteries. Rien ne l’intéresse, tout lui paraît faux. Elle ressasse l’adieu inlassable à celui qui partit à la mort, Georges ; à l’image de tant de victimes, ses voisines qui n’ont pas tenu (« tenir jusqu’à la fin ‘) à l’appel, le terrible appel qui dure de 4 heures du matin jusqu’à 8 heures, dans le froid extrême de la Silésie, vêtue plus que chichement, elle qui se faisait gifler pour ne pas chuter.

Mais ses compagnons omniprésents, les plus inséparables sont les spectres inépuisables du théâtre. Elle voit Jouvet en Don Juan, elle ne le craint pas. Le théâtre l’emporte sur le roman, on y agit vraiment et pourtant Fabrice del Dongo, lui également, est captif dans une (sa) cellule. Suivent Ondine et Hans qui s’apprête à mourir. Mais surtout Alceste qui ne rêve qu’à partir au désert, un désert de gel pour C.Delbo. Hamlet, Rodrigue et sa vaillance, Antigone, Electre.

Louise Moaty récite, fait vivre et vit avec !

Un jour survient, Charlotte ouvre enfin un livre, inaugure quelque lecture. En 1946 elle rejoint l’ »Athénée » où le « patron attend sa fifille. » La forme d’un vivant se profile, est restituée et le reste la biographie en rend compte. Cette femme de vérité s’éteint en 1985, d’avoir trop fumé et …

Claude Glayman.

* Violaine Gelly/ Paul Gradvohl. « Charlotte Delbo » Fayard, fin 2013.

-- La lecture des textes fut suivie d’un concert consacré à deux compositeurs

« entartete/ dégénérés », déportés au Camps de Terezin, avant Auschwitz.

Victor Ulmann, Pavel Haas et, par ailleurs l’« ancêtre » Gustav Mahler. Cycles de mélodies,par Pierre-Yves Pruvot (baryton) et Charles Bouisset (piano).

Rappelons que Louise Moaty a mis en scène in loco « L’Empereur d’Atlantis » de V.Ulmann extraordinaire opéra imaginant une grève de la mort ». Des obligations ne nous ont pas permis de voir ce travail mais nous connaissons cet opéra dans d’autres versions.       

Il existe une importante bibliographie des Ecrits de Charlotte Delbo, citons :

- « Auschwitz et après », trois vols. Minuit, 1970/71 / « Le convoi du 24 janvier » Minuit 1971 / « Qui rapportera ces paroles » Fayard 2013
- « La mémoire et les jours » Berg Internationale 2013 / « Le convoi du 24 janvier » Note Internautes 1978/ « Spectres mes compagnons lettres à Louis Jouvet » Berg International 2013 / « Charlotte Delbo : ente Résistance, poésie et théâtre » Notes internautes/ Broché Du cygne Eds 2010.  

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