L’Athénée à l’assaut d’Offenbach (une centaine d’opérettes !) chaque fin d’année. 2013: «La Grande Duchesse de Gerolstein» par la Cie «Les Brigands». Retransmission sur Mezzo (22/12) des « Contes d’Hoffmann » du Liceu de Barcelone, mise en scène Laurent Pelly. On suit l’une des opérettes les plus significatives, on enchaîne sur l’unique et grand « Opéra » du maître. Sans cesse une magie récurrente qui pressent l’événement réel. Au choix le comique, la blague, le fantastique, le romantisme, la moquerie et le drame.
-De la guerre de la grande Duchesse à celle de 1870, fin du Second Empire.
Les dates parlent. 1867 seconde « Exposition Universelle » à Paris concoctée par Napoléon III et création aux « Variètés » de la « Grande Duchesse de Gerolstein ». L’Empereur entend faire briller la France, son économie, malgré une pauvreté endémique (1864, création à Londres de « L’Internationale Ouvrière »), montrer les réalisations du Baron Haussmann, icône de l’urbanisme. Sans omettre les « aventures militaires », gâchées par l’exécution de Maximilien au Mexique sur lesquels l’Empereur avait des visées..
Justement « La Grande Duchesse » est une opérette militaire, voire « antimilitariste. Comme il se doit elle détient un pouvoir absolu, et entre en guerre contre un « ennemi » invisible. Elle nomme le soldat Fritz au plus élevé des grades, ayant remarqué ce beau mâle, plutôt benêt et fiancé à Wanda la paysanne. Le Géneral « Boum » est évincé, avec sa clique, ainsi que le Prince Paul patient prétendant de la Dame. En trois jours Fritz gagne la guerre, ramène le « sabre » sacré, ayant « saoûlé » ses adversaires. Mais il ne comprend toujours rien aux avances de la Dame qui, lassée, le réduit à son point de départ tandis que Boom et ses acolytes auxquels s’est ralliée la « Duchesse », entendent éliminer Fritz, in fine épargné par la « Grande Duchesse », cœur généreux, se rabattant faute de mieux sur l‘insipide Prince Paul.
La « Duchesse pousse son célèbre refrain « Ah ! que j’aime les militaires » devant des parterres couronnés et d’illustres visiteurs de l’expo. Nous nous situons à trois années de la guerre de Bismarck, admirateur avisé d’Hortense Schneider, la « diva d’Offenbach » Et voici la catastrophe au rendez-vous, préludant à « La Commune de Paris » tandis que se dessine à l ‘horizon une nouvelle République, la « 3° » !
On reprochera à Jacques Offenbach d’avoir démoralisé les Français, en les faisant rire, en place d’apprentissage militaire. Un peu comme on le fera à l’été 1940, après une autre défaite, culpabilisant « Le Front Populaire », illustration de la vie facile …
Fort heureusement la Cie « Les Brigands » nous éblouit par son spectacle, mis en scène subtilement par Philippe Béziat sur l’étroite scène de l’Athénée, où se croisent instrumentistes interprètes d’une réduction musicale réussie, direction Christophe Grapperon ; y compris un petit ensemble à capella juste et beau, s’ajoutant à de drôles de dialogues parlés L’ensemble de ce travail n’est jamais vulgaire, le risque avec Offenbach. Isabelle Druet chante la « Duchesse », compréhensible, élégante, sans avoir la technique supérieure d’une Régine Crespin, par exemple. Décors et costumes de goût, fidèles aux différents personnages, inventifs, signés Angèle Levallois et Pauline Zurini. Au total applaudissements pour un sans faute, si ce n’est un troisième acte, embrouillé, dû à Offenbach et à ses librettistes, ce qui arrive souvent chez lui avec les fins d’œuvres. Même problématique avec les « Contes d’Hoffmann ».
Impressionnants « Contes d’Hoffmann », venus du « Liceu de Barcelone », vus par Laurent Pelly.
Après l’effondrement de 1870 (lire « La Débâcle » d’Emile Zola) , Offenbach passe du premier plan à un net second plan mais ne disparaît pas. Il a amusé Bismarck et tant d’autres ; comme le rappelle le critique musical Edouard Hanslick (farouche adversaire de Wagner) « On dansait sur la démonie du monde ». Voici l’insatiable Offenbach concurrencé par un autre compositeur à la mode, Charles Lecoq, prétendant avec ses opérettes, et parvenant au premier rôle; sans compter la vieillesse et la maladie qui le guettent, voire la mort. Néanmoins la « machine » Offenbach fonctionne et continue à produire mais le grand public le suit-il ? En 1875 n’oublions ni l’inauguration du Palais Garnier, ni surtout « Carmen » de Georges Bizet, un univers profondément différent ! De cette dernière, Paris n’est pas fou mais Vienne l’est ; or Vienne est l’un des points d’appui de l’ « entreprise Offenbach ». Ce dernier commence à comprendre qu’il lui appartient de frapper un grand coup et de s’éloigner des « vieilles opérettes ». De se souvenir du succès d’une pièce ancienne, au milieu du siècle. ; c’était à l’Odéon de Paris, un spectacle intitulé « Contes d’Hoffmann », Hoffmann poète allemand, romantique, fantastique même. J.Offenbach en est convaincu : Hofmann c’est lui ! Sans détailler cette période de combats, d’obstacles mais aussi d’élaboration intérieure, encore confidentielle ; signalons qu’à la fin de l’été 1880, revenu de sa campagne à Paris, J.Offenbach met un point final à la composition des « Contes d’Hoffmann ». Ceux-ci sont révélés et encensés au cours d’un comité retreint avec exécution, le compositeur au piano.
Epuisé, Jacques Offenbach meurt le 5 octobre 1880 ; l’Opéra sera créé à l’Opéra Comique le 10 février 1881, longuement ovationné. Sa veuve, n’assistant pas à cette première avait suivi le déroulement de la soirée dont la tenaient au courant autant d’amis, de missi dominici la joignant à son domicile. Un temps plus tard le «Ring Theater » de Vienne prenait le relais, un relais qui, désormais, ne s’interrompit plus !
- Le regard de Laurent Pelly.
La trame du drame est connue ; (livret signé par Jules Barbier et Carré). Le poète E.T.A. Hoffmann, germanique, romantique, désormais vaincu par l’alcool, nous raconte ainsi qu’à son public sur scène, sa carrière amoureuse. Trois femmes marquantes, idolâtrées et trois échecs ! Le diable, la mort sont constamment présents. Olympia, poupée mécanique oeuvre du physicien Coppelius, elle se désintègre lorsque Hoffmann désire l’étreindre. La science qui fascine déjà, n’égale pas la vie. Antonia cantatrice dont la voix s’éteint progressivement, mal soignée, voire pire, par le Docteur Miracle. Miracle l’une des figures du diable magnifiquement incarnée par Laurent Naoury, interprète des différentes facettes diaboliques et, en somme, de la mort. Nathalie Dessay très distinguée mais à la voix, sans doute fatiguée.
Giuletta évoluant à Venise (on entend la célèbre « Barcarolle »), au milieu de nombreux personnages, plus ou moins importants, plus ou moins prétendants.
On a apprécié la qualité et la variété des décors. A l’exception fatale du 4°acte ; où les gondoles vénitiennes ? se confondent avec de tristes et larges canapés/fauteuils. Au cours de l’acte suivant Hoffmann manie l’épée, tendue par le diable, tue le dernier amant de la courtisane avant de s’éteindre lui-même se traînant, face à une flopée de mâles vitupérant et probablement jaloux. Le delirium l’étouffe. Le poète s’éteint, son ombre disparaît, est-ce sa muse Nicklausse, officiellement sa muse qui le suit partout et le surveille ?
Est-ce tout cela qu’admirait André Breton, l’inventeur, avec beaucoup d’autres, du « surréalisme » lui qui rejetait la musique à l’exception de Jacques Offenbach ? .
Chef d’œuvre véritable, comment l’auteur d’opérettes, souvent fort réussies, a-t-il crée un tel opéra ? Mystère, sublimation à l’approche de la mort, irréalité romantique et fantastique propre à la culture germanique bien connue du musicien, rêve, poésie, amour que l’auteur a longtemps bridés. Hommage aux pouvoirs de la musique et du chant que J.Offenbach portait en lui !
Claude Glayman
L’Athénée 15 décembre 2013, jusqu’au 5 janvier 2014./ On nous signale une « Duchesse » à l’Opéra de Liège.// « Les Contes d’Hoffmann » Mezzo 22 décembre 2013. Retransmission du Liceu de Barcelone, 23 février 2013. direction musicale Stéphane Denèvre, avec Nathalie.Dessay, Lauent.Naouri, M.Spyres, etc.
Biographies de J.Offenbach : Jean-Claude Yvon, Gallimard, 2000, 796 p, réédité// Siegfried Kracauer, « J.Offenbach ou le secret du Second Empire » - Le Promeneur, réédition de 1994.
Vaste choix discographique, Par exemple Régine Crespin, Mady Mesplé, Alain Vanzo. Orchestre et Chœurs du Capitole de Toulouse direction Michel Plasson, 1 coffret 2 cd Sony, 1977.