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Billet de blog 5 juillet 2012

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Les quatre soeurs yao (6): les larmes de Demei.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le chant mélancolique de Demei et Damei provoque un beau silence. Il est temps de reprendre la route. Xiaomei reçoit un appel, se lève, marche, s'approche d'un vieux miroir, et parle, parle yao. J'écoute, je filme. Ses soeurs, est-ce pour honorer mon prochain départ, se tiennent près de la fenêtre ouvrant sur la vallée pour refaire leur coiffure. Pas de "show" comme la veille, non, mais les mêmes gestes amples, la même longue séquence de peignage de cheveux. J'admire à nouveau leur dextérité, ce travail d'architecture. 

C'est le moment de se mettre d'accord sur leur dû. Je respecte leur demande sans sourciller. Elles se répartissent alors leurs gains de la veille et du jour sous mes yeux. Je remercie et salue la petite grand-mère avant de descendre les marches. En bas, j'aperçois Demei en larmes sans savoir pourquoi elle vient de pleurer. "Ce n'est rien Lao Yu, ce n'est rien".  Damei me dit au revoir, les autres me proposent de faire un bout de chemin en leur compagnie. 

Dernière grimpette dans le village et première arrêt dans une petite épicerie pour acheter des friandises à Xiao Nan. Second arrêt lorsque nous croisons deux vieux touristes belges ravis de pouvoir filmer et photographier Xiaomei leur refaisant le show de la coiffure, estomaqués de voir notre connivence. Troisième arrêt pour visiter la maison de Demei, qui commence par répartir, sur une aire à l'entrée, plusieurs tas de plantes séchant au soleil. 

Sa demeure, elle aussi sur pilotis, ouvre au sud. La vue est encore plus somptueuse que chez son aînée.  Excellent fengshui! Ici, une vraie cuisine, obscure, noire, sans fenêtre. La seule lumière vient d'une grande trappe au sol...ouvrant sur la bauge où se prélassent une truie et un verrat qu'elle nourrit avec des restes. Même absence de meubles.Même immense grenier que chez Damei. 

 Dans la pièce principale, des centaines de piments rouges, une batteuse le long du mur, et plus loin, une vingtaine de photos de la famille, enfants, parents, jours de fête et jours ordinaires.Xiaomei et Simei nous attendent, me montrent leurs maisons en contrebas, m'invitent mais le temps presse. Demei me désigne du doigt un tumulus. Là se trouvent les restes - les cendres? - de leur père. Le père Pan.

Alors, pour nous alléger du trop plein d'émotion qui nous envahit, toutes trois me saluent en anglais, "bye bye", et comme je les félicite, se mettent à baragouiner en s'exclaffant, "Hello!", "OK", et un "I don't know" ébouriffant! Elles y ajoutent quelques plaisanteries grivoises: "reste donc coucher avec nous quatre, nous te ferons des massages!", me glissent-elles en me palpant épaules et bras. Je tiens bon!

Selon elles, il me faudra trois heures pour rejoindre le prochain village où je sais pouvoir trouver un gîte. ( Merci Lonely planet). Comme la veille au soir, nous n'en finissons pas de nous faire signe, de crier des "au revoir" lancinants. J'aimerais tant les revoir. 

Montant vers le prochain col, dans un paysage de petit bois tropical, semé de fleurs, de papillons, de minuscules torrents courant deci delà, je goûte la solitude. Rares rencontres: deux paysannes yao, des Pan bien sûr, allant faucher de l'herbe; plus loin sur le chemin, quelques touristes chinois bruyants et démonstratifs. Un homme et son cheval en laisse. Des chèvres. Un panneau en chinois et en anglais annonce le prochain village, Tiantan. 

Contrairement à Zhongliu, le village se trouve en contrebas, à mi pente de la vallée. Une de toutes premières grandes maisons de bois clair: Hôtel Jinkeng, chambres impecables avec douche et wc ( à la turque), vue imprenable, moustiquaire. Sur la grande terrasse, je fais connaissance avec un jeune couple d'américains. Lui est ingénieur, elle assistante médicale, de la province de l'Utah. C'est le premier voyage en Chine. Je réponds volontiers à leurs questions mais la conversation tourne court. 

J'essaie de relancer celle-ci en évoquant John Cage, Merce Cunningham, Bob Wilson. Le flop. Charles Ives? Connait pas. Je tente Jim Harrison. Non. Bob Dylan? oui. Ouf! 

Délicieux dîner, avec omelette aux champignons, poisson de rivière, aubergines, arrosé d'un excellent "yang meijiu", cet alcool de patates douces découvert chez les quatre soeurs yao auxquelles je pense déjà avec nostalgie. Ces dernières vingt quatre heures sont à marquer d'une pierre blanche. La nuit est tombée. Les hommes rentrent doucement au village, leur palanche chargée de plantes, de foin, de feuilles, de bois. Un dernier verre et le serment de revenir chez les soeurs Pan pour partager leur vie non un jour seulement mais une ou deux semaines. Croix de bois, croix de fer...

PS. Le rideau est tombé sur l'histoire des quatre soeurs yao, mais le récit de mon périple dans les provinces du Guangxi et du Guizhou continue, rassurez-vous chers fidèles!

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