Pour célébrer dignement le 150ème billet de « La Cina è vicina », j’ai choisi de vous narrer l’histoire remarquable et quelque peu méconnue, en occident, de la calligraphie chinoise la plus célèbre de tous les temps.
Sans trop vouloir "enfoncer le clou", j'ai aussi voulu, ce faisant, montrer s'il en était besoin, l'immense culture de Simon Leys, comme celle d'autres grands sinologues, français en l'occurence: Jacques Gernet, Nicole Nicolas-Vandier et Jacques Pimpaneau, qui font honneur à notre pays. (Ce dernier nous donne une excellente traduction du texte, que j'ai mise en annexe).
Dans L’humeur, l’honneur, l’horreur, Simone Leys (1) se propose, « d’examiner un cas exemplaire illustrant la façon dont une tradition spirituelle trouve à s’incarner dans des œuvres.
L’exemple que je propose de considérer est tiré de la calligraphie, discipline qui représente l’art suprême aux yeux des Chinois. L’ouvrage particulier que je veux évoquer ici est lui-même traditionnellement considéré comme le chef-d’œuvre absolu de cet art suprême.
Dans toute l’histoire de l’art chinois, il n’existe probablement aucune œuvre individuelle qui possède un tel prestige comparable ou qui ait exercé une influence aussi vaste et durable. Il s’agit véritablement de la pierre angulaire de l’art calligraphique : presque tous les principaux artistes des siècles ultérieurs se sont référés à cette œuvre, et définis par elle.
Cette calligraphie archicélèbre est le Lanting xu, 兰亭序 ou « Préface du Pavillon des Orchidées » (2) ; elle est due à 王羲之Wang Xizhi (307-365), le plus grand calligraphe de tous les âges (3). »
Celui-ci a vécu lors des Dynasties du Nord et du Sud (317-589), une de ces périodes de grande créativité louées par Simon Leys (4).
Imaginons ce Moyen Age chinois et plus précisément, au IVème siècle, ce temps chaotique dit pour la Chine du Nord des « Seize Royaumes des Cinq Barbares » et pour la Chine du Sud celle des Jin orientaux (317-420), dynastie dont la capitale se nomme Jiankang, la future Nankin.
Que nous dit Jacques Gernet dans cette bible qu’est Le monde chinois (5) ? « Les différences sont profondes au IVème siècle entre la Chine du Nord guerrière, populaire, presque illettrée, pénétrée par les influences de la steppe et des confins sino-tibétains, et la Chine du Yangzi, aristocratique et raffinée, avec ses cénacles, ses ermitages et sa vie de Cour. »
Imaginons cette région fertile et verdoyante du bas Yangzi, ce « pays de l’eau » avec ses rivières et ses canaux, ses rizières et ses bambouseraies, son vin jaune…
Gernet : « L’indépendance et la liberté d’esprit, l’horreur des conventions, la passion de l’art pour l’art sont caractéristiques de toute l’époque troublée qui s’étend du IIIème au VIème siècle.
On pourrait parler d’une sorte d’ « esthéticisme » dominant pendant tout le Moyen Age chinois. Les premiers à témoigner de ces tendances si nettement opposées à la tradition classique » - laquelle s’était épanouie lors de la dynastie Han ( -202 /220 )(6) « sont ceux que l’on devait appeler les « Sept Sages de la forêt de bambou » (zhulin qixian), petit groupe de lettrés bohèmes dont le poète et musicien Ji Kang (223-262) est le plus connu.
Les mêmes attitudes d’esprit, le même goût de la nature et de la liberté se perpétuent dans les milieux aristocratiques après l’exode vers la vallée du Yangzi.
On les retrouve dans l’entourage du célèbre calligraphe Wang Xizhi (307-365) au nom duquel reste attaché un des épisodes les plus célèbres de l’histoire de la littérature et de la calligraphie chinoises : la réunion du Pavillon des Orchidées (lantinghui), à Guiji (région de l’actuel Shaoxing au Zhejiang) où quarante et un poètes se livrèrent après maintes libations à un concours de poésie improvisée. » fin de citation.
Nous y voilà !
Voici d’abord le résumé qu’en fait Leys : « En 353, à l’occasion d’une fête du Printemps, un groupe de lettrés se rendit en excursion à un site renommé pour sa beauté, et qui était appelé le « Pavillon des orchidées ».
Cette réunion raffinée se déroula sous le signe de l’amitié, de la poésie et du vin. A la fin de la journée, on rassembla les poèmes qui avaient été improvisés par les participants, et Wang Xizhi composa la préface pour ce recueil.
Cette préface consiste en un court essai de quelques trois cent vingt mots (7). Wang Xizhi avait été particulièrement inspiré ce jour-là ; dans la calligraphie de sa préface, il se surpassa.
Dans la suite, il essaya a plusieurs reprises de retrouver l’élan de sa création originale et il fit littéralement des centaines de tentatives pour reproduire son propre chef-d’œuvre, mais il ne réussit jamais à égaler la miraculeuse beauté de ce premier jet. »
Voici un autre éclairage, plus poétique, de celle qui nous initia, dans les années 1960, à l’art et à la littérature chinoises, Nicole Nicolas-Vandier, elle-même très marquée par la philosophie taoïste (8):
« Le Lanting xu, recueil dit du Pavillon des Orchidées, fait encore aujourd’hui l’objet de débats passionnés.
Il rappelle le souvenir d’une fête lustrale célébrée en 353 par Wang Xizhi, dans un pavillon lui appartenant, en compagnie de quarante et un lettrés. Le pavillon s’élevait au-dessus des flots, au confluent de deux bras de la rivière Zhe.
Le paysage était beau.
Assis au bord de l’eau, Wang Xizhi et ses invités avaient joué tour à tour au des jeux des « coupes flottantes » : les coupes étaient pleines de vin, il fallait les saisir au fil de l’eau et boire ce qu’elle contenaient encore de vin.
Quand le soir vint, chacun des convives écrivit un poème, Wang Xizhi préfaça l’ensemble.
L’autographe, tracé en écriture dite « courante » (xingshu), se transmit d’une génération à l’autre ; Il fut dérobé par ruse au moine Biancai, son dernier possesseur, sur l’ordre de l’empereur Taizong (626-649) qui l’ emporta dans sa tombe. Le texte de la préface fameuse exprime bien l’esprit fengliu.
Le temps était beau, l’air pur, la brise soufflait, bienfaisante et douce. L’eau jaillissait ici et là, elle venait grossir les cours d’eau qui allaient sinuant par monts et par vaux. Il n’y avait là aucun instrument de musique, chacun des participants entendait en lui chanter la joie.
Le texte rejoint ici le mythe.
L’inventeur de l’écriture avait élevé les yeux vers le ciel pour les abaisser ensuite vers la terre, les hôtes du pavillon des Orchidées agissaient de la même manière : au ciel ; ils contemplaient le cosmos dans son immensité, sur terre les choses de toutes catégories s’offraient à leur regard. Inspirés tous ensemble par ce qu’ils voyaient et par ce qu’ils portaient en eux-mêmes, ils laissaient leur esprit vagabonder hors de leur corps charnel.
L’extase, chacun la vit pour soi et en communion avec tous les autres. Avec le soir vient cependant la mélancolie. La joie goûtée d’instant en instant, faut-il qu’un instant l’emporte avec lui ?
L’impermanence emporte toute chose dans son flux. Le génie chinois est épris de vie. L’hygiène taoïste vise à vivifier l’homme. Chez ceux qui accèdent à l’immortalité, la substance corporelle s’est sublimée, le corps imputrescible ne fait plus ombre, infiniment léger, il s’élève vers le ciel dans le rayon du plein Midi. »
Texte admirable, qui restitue parfaitement l'atmosphère de cette réunion en forme de libation et l'esprit d'une époque de haute civilisation...qui nous fait rêver. Tout y est, ou presque…
Voici un troisième éclairage, qui nous est donné cette fois…dans une préface à une très belle exposition, servie par une scénographie très inventive, exposition qui fut présentée en 2012 au Musée Guimet, Rochers de lettrés, itinéraires de l’art en Chine (pp 21-22), texte rédigé par la commissaire de l’exposition, Catherine Delacour.
La traduction diffère un peu, mais les trois textes se complètent :
« La fête de la purification au Pavillon des orchidées, lanting xiu xi 兰亭集序.
« (...) Le grand peintre et taoïste fantasque Gu Kaishi (344-406) dit du district de Guiji, au Zhejiang où se trouve le pavillon aux orchidées de Wang Xizhi : « Le paysage de Guiji est fait d’un millier de précipices qui rivalisent entre eux, surplombent dix mille ravins et torrents bouillonnant, couronnés par des arbres et une végétation luxuriante qui apparaît comme autant de nuages aux diverses couleurs ».
La fête de purification est un ancien rite de printemps remontant à la dynastie des Zhou, censé « laver » les corps des miasmes divers accumulés durant l’hiver par des ablutions le long des berges d’une rivière. Sous la dynastie Wei la date fut fixée au 3ème jour du 3ème mois et s’accompagna d’un banquet. Un inconnu eut alors l’idée de faire flotter des coupes de vin et on joignit à ces festivités une joute poétique.
La réunion se tint donc à cette date en la neuvième année de l’ère Yonghe, Yonghe jiu nian (353).
Le pavillon de Wang Xizhi à Shanyin, sur pilotis, permettait que l’on détournât les eaux de la rivière pour former un cours sinueux entre deux rives où quarante et un invités prirent place selon leur rang, commodément installés sur des nattes ou bien sur un rocher.
Ils étaient entourés d’une armée de petits serviteurs chargés, au départ, de remplir les coupes et de les poser sur l’eau délicatement sur une feuille de lotus et de les collecter vides, à l’autre bout.
Chacun devait écrire un poème sur un thème choisi dont le premier caractère était imposé. Qui rédigeait deux poèmes buvait une coupe, un, buvait deux coupes, aucun, en buvait trois.
Trente-sept y parvinrent et Wang Xizhi, qui lui aussi avait beaucoup bu, rédigea en 324 caractères un long poème empreint du sentiment de la magie des lieux ainsi que de la nostalgie d’une vie que l’on ne peut retenir. On raconte qu’une fois dégrisé il tenta en vaine de reproduire la calligraphie qu’il avait réalisée.
Il utilisa pour ce faire la cursive régulière xing shu, mais son tracé, libéré par le vin de toutes les inhibitions de la conscience ou raison raisonnante qui musèlent l’inspiration, n’a depuis jamais été égalé. Ce texte dont l’original a disparu sans doute avec la mort de l’empereur Taizong, a influencé de manière presque obsessionnelle la calligraphie chinoise dans son ensemble.
De même que les Sept Sages, la réunion au pavillon des orchidées n’a cessé d’être interprétée par les artistes au fil des siècles. (…) Quant à la préface, avant de disparaître dans la tombe de l’empereur Taizong, de nombreuses copies en avaient été faites sur son ordre ainsi que des estampages. Les versions gravées ont disparu au cours de la fuite des Song vers le sud devant l’envahisseur Jürchen en 1127. Mais depuis, le prestige de cette calligraphie et de l’extraordinaire résonnance manifestée entre le pinceau et les émotions ressenties, au moment même d’une intense communion avec la nature tout à la fois joyeuse et nostalgique, n’ont cessé d’aimanter le désir des calligraphes chinois. » Fin de citation.
Au risque de vous infliger certaines redites, mieux vaut citer, cette fois longuement, Simon Leys à propos de cette mystérieuse transmission, sans laquelle l’interprétation évoquée plus haut n’aurait pas traversé les siècles. Cette double question est au cœur des préoccupations du sinologue belge: « Comment cette calligraphie fut-elle préservée et transmise au cours des siècles ? Ici l’histoire se corse et présente des détours et des rebondissements dignes d’un roman policier.
Après la mort de Wang Xizhi, le manuscrit autographe du « Pavillon des orchidées » demeura, semble-t-il, dans la famille du calligraphe et fut conservé par ses descendants. Pendant les premiers deux cent ans de son existence, nulle mention n’est faite de l’œuvre ; apparemment, aucun connaisseur n’eut la chance de la voir.
Deux siècles et demi plus tard, le « Pavillon des orchidées » parvint entre les mains d’un moine qui en fit des copies qu’il distribua, jetant ainsi les bases sur lesquelles devait s’édifier la réputation posthume de Wang Xizhi.
« Trois siècles plus tard » (la mort de Wang Xizhi) « le style calligraphique de Wang Xishi suscita l’admiration enthousiaste de l’empereur Tang Taizong.
Taizong se mit à collectionner avidement ses œuvres et réussit à en rassembler un ensemble presque exhaustif (2290 autographes qui furent ultérieurement tous dispersés et perdus). Mais la pièce essentielle – le « Pavillon des orchidées » - continuait obstinément de lui échapper.
Après des manœuvres tortueuses, usant de duperie et de violence, un de ses émissaires finit par ravir le chef d’œuvre à son dernier propriétaire, lequel en mourut de désespoir.
Taizong, qui chérissait passionnément cette calligraphie, en fit faire des copies (copies-calques et copies à main levée). Ces copies furent ensuite gravées dans la pierre, et des estampages furent exécutés à partir de ces stèles.
Finalement, les pierres originales disparurent ou fut détruites, mais de nouvelles stèles furent gravées à partir des estampages originaux. Comme ceux-ci finirent par disparaître à leur tour, de nouveaux estampages furent tirés de stèles ultérieures – et avec le temps, l’étude du pedigree de ces copies de copies et l’établissement de leur arbre généalogique devinrent une discipline spécialisée d’une vertigineuse complexité.
Entre-temps, depuis des années déjà, la calligraphie autographe de Wang Xizhi avait cessé d’être accessible ; à sa mort (en 649), Tang Taizong avait ordonné que le manuscrit original du « Pavillon des orchidées » soit enterré avec lui dans sa tombe de Zhaoling, à une trentaine de kilomètres au nord de l’actuel Sian, où il doit se trouver aujourd’hui encore, si les annales impériales ne nous ont pas menti.
Par un remarquable paradoxe, c’est seulement après qu’elle eut définitivement disparu dans la sépulture impériale que cette œuvre ( dont seul un nombre infime de calligraphes avaient jamais vu l’original ) commença à exercer sa plus grande influence, par le truchement de diverses copies indirectes et incertaines. Elle finit par connaître son rayonnement le plus large au début de l’époque Song (XIème siècle) – sept cent ans après Wang Xizhi.
Elle fut alors popularisée alors par une calligraphe de génie, Mi Fu, qui, sous couvert de suivre et d’illustrer les modèles stylistiques de Wang, proposait en fait ses propres créations. Même le public lettré était incapable de faire la part des choses et reconnaître la production de Mi sous l’étiquette de Wang, à l’époque, il ne restait déjà presque plus aucune œuvre originale de ce dernier, à part quelques rares et minuscules fragments d’authenticité d’ailleurs douteuse.
Or c’est précisément à partir de ce moment que le prestige et l’influence du « Pavillon des orchidées » se mirent à croître de façon décisive ; comme L.Ledderose l’a bien résumé : « Il semble assez inconfortablement symptomatique que ce soit cette calligraphie perdue du « Pavillon des orchidées » qui ait fini par s’imposer comme l’œuvre la plus célèbre de toute l’histoire de la calligraphie chinoise…Ce qui est encore plus ahurissant, c’est que le « Pavillon des orchidées » non seulement fut encensé, mais encore il devint un modèle stylistique : les calligraphes l’ont étudié pendant des siècles sans qu’aucun d’entre eux ait jamais vu l’original (9).
Mais cette histoire devait encore connaître un ultime et ironique rebondissement.
En 1965, le célèbre savant et archéologue Guo Moruo (10) lança une véritable bombe dans les milieux universitaires chinois, ouvrant un débat passionné qui n’est pas encore clos.
Selon les découvertes de Guo, non seulement la calligraphie du « Pavillon des orchidées » telle qu’elle a été préservée dans ses copies Tang et Song refléterait un style très postérieur à celui de Wang Xizhi, mais le texte lui-même ne pourrait pas avoir été composé par lui.
Autrement dit, Wang Xizhi n’aurait jamais écrit le « Pavillon des orchidées » - le modèle sublime qui a inspiré tout le développement technique et esthétique de la calligraphie chinoise n’aurait en fait jamais existé !
Sans préjuger de la validité de cette conclusion (l’argumentation de Guo n’est pas sans faille), on peut toutefois y puiser un important élément de réflexion concernant le problème plus vaste qui nous occupe ici : la force vitale, la capacité quasi illimitée de métamorphose et d’adaptation dont la tradition chinoise a fait preuve depuis quelque trois mille et cinq cents ans proviennent peut-être de ce que cette tradition ne s’est jamais laissée prendre au piège des choses, où elle aurait risqué de se pétrifier et de mourir ».
Simon Leys ajoute une note en bas de page que je préfère retranscrire ici : « Ceci est la façade positive du phénomène, mais il présente aussi un côté négatif. A l’époque moderne et contemporaine, les progressistes et les révolutionnaires chinois se sont sentis positivement étranglés par cette apparente invincibilité de la tradition, et par cette façon meurtrière qu’elle avait de tout informer.
Lu Xun, l’écrivain qui exprima avec le plus d’éloquence la nécessité de combattre l’empire du passé, ne se faisait aucune illusion sur l’issue de cette lutte : il voyait le passé de la Chine comme un adversaire perpétuellement élusif, un fantôme invisible et immatériel, une ombre indestructible ». fin de citation.
Malheureusement, Simon Leys n’est plus là. J’aurais tant aimé lui demander si la bombe lancée par Guo Moruo en 1965, un an avant la Révolution culturelle, ne visait pas à discréditer justement « l’invincibilité de la tradition ». La question mérite d’être posée.
Que dire après vous avoir livré cette histoire traversant près de deux millénaires, si révélatrice d’une culture, d’une civilisation dont la richesse, la profondeur, la complexité semblent infinies ?
Juste ceci : si cette réinterprétation s’est poursuivie jusqu’à nos jours, comme le prouve par exemple, la calligraphie contemporaine de Liu Dan exécutée en 2011 et présentée dans l’expositions Rochers de lettrés en 2012, le « Pavillon aux orchidées » a aussi inspiré nombre de grands peintres.
L’un d’entre eux, Wen Zhengming, considéré comme l’un des Quatre Grands de la dynastie Ming, n’a eu de cesse de décliner des dizaines de fois sa propre interprétation, composée le plus souvent d’une peinture en regard de sa propre calligraphie, bien entendu inspirée du modèle évoqué par Nicole Nicolas-Vandier, Catherine Delacour et Simon Leys. (12)
Un modèle qui n’existait peut-être pas !
PS. Quatrième éclairage : ↑ Wang Xizhi, prince des calligraphes [archive] BNF, in Le premier des arts, la calligraphie. Un chapitre est consacré au « Pavillon des orchidées ».
Traduction (que je retranscrirai bientôt):
- Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise classique, Philippe Picquier, 2004 — Préface au recueil du pavillon des Orchidées de Wang Xizhi (309-365 ?), p. 301-303
Images correspondant à Wang Xizhi, prince des calligraphes
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(1) L’humeur, l’honneur, l’horreur, (1991) pp 750, repris dans Essais sur la Chine, Robert Laffont, 1998.
(2) Leys, comme Nicole Nicolas-Vandier raccourcit le titre. Manque le terme 集ji « recueil » : 兰亭集序.
(3) Note de S.L : « Sur ce sujet, voir l’ouvrage magistral de L.Leddrose, Mi Fu and the Classical Tradition of Chinese Calligraphy (Princeton University Press, 1979, auquel je fais ici de nombreux emprunts ».
(4) Il s’en explique entre autres dans l’un des deux longs entretiens radiophoniques que j’avais produit pour France-Culture dans les années 1970.
(5) L’ouvrage remarquable de Jacques Gernet, Le monde chinois, Armand Colin, 1999, nous aide à saisir toute la complexité et la richesse de cette civilisation.
(6) Mon commentaire. J.Gernet: « Les études classiques brillent de leur plus bel éclat sous le seconds Han (25/220) ». (Gernet, 147 in paragraphe « L’apogée des études classiques et le renouveau intellectuel de la fin des Han »). « Les Classiques, ouvrages vénérables d’une haute Antiquité, œuvres de Sages éminents, passent, aux yeux des hommes de cette époque, pour contenir un savoir secret et leur interprétation ne peut relever que d’écoles de spécialistes qui se sont transmis de génération en génération le sens caché. » (Ibid, p 143).
(7) En fait 324, répartis sur 28 lignes.
(8) Peinture chinoise et tradition lettrée, autre "bible", de Nicole Nicolas-Vandier (Seuil 1983), qui fut pour nous, aux Langues O, une pédagogue passionnée et passionnante.
(9) Rochers de lettrés, catalogue de l’exposition éponyme, Musée Guimet, pp 21-22.
(10) L.Lederose, op.cit, p 20.
(11) et homme politique au rôle pour le moins ambigu dans la nomenklatura maoïste comme le démontre parfaitement par ailleurs Simon Leys. (Il est nomment très présent dans Introduction à Lu Xun, La Mauvaise herbe (1975). Notons au passage que cette « bombe » est lancée un an avant la Révolution culturelle, ce qui pose question. Ce dernier relève bien que « l’argumentation de Guo n’est pas sans faille », mais le fait que ne lève pas le lièvre que je relève est troublant. Il est possible que des chercheurs aient la solution de cette énigme.
(12) En attaché, le début d’une calligraphie, avec sceaus de l'artiste, de la « Préface au recueil Pavillon des orchidées » signée Wen Zhengming, l’une de ses peintures de celui-ci représentant la fameuse scène et la calligraphie dans sa totalité.
ANNEXE: Préface au recueil du pavillons des Orchidées de Wang Xizhi (309-365?)
Wang Xizhi est resté comme l'un des plus grands calligraphes chinois et aussi comme l'auteur de ce texte, préface à un recueil de poèmes écrits par des amis lors d'une excursion au monts Kuiji, dans la province du Zhejiang.
Au 3ème mois de la 9ème année de l'ère Yonhe (353), à la fin du printemps, nous nous sommes réunis au pavillon des Orchidées, situé dans le district de Shanyin qui dépend de la commanderie de Huiji, pour célébrer la fête de ce jour (1).
De nombreux lettrés remarquables étaient venus ; jeunes et vieux était rassemblés. L'endroit était entouré de sommets escarpés, de forêts touffues et de hauts bambous ; des ruisseaux d'eau limpide brillaient dans les alentours. Cela nous amena à faire flotter des coupes le long d'un courant sinueux, au bord duquel nous nous sommes assis.
Bien que nous n'ayons ni flute ni cithare, à chaque coupe vidée, le buveur chantait le poème (2), ce qui créait une atmosphère enjouée et raffinée.
Le temps était clair ce jour-là, et soufflait une légère brise bienveillante.
Il suffisait de lever les yeux pour voir la grandeur de l'univers, et de les baisser pour observer la diversité des créations de la nature, si bien que laisser errer son regard et ses pensées réjouissait la vue et l'ouïe. Croyez-moi, c'était un vrai plaisir.
Rester parmi les humains ne dure que le temps d'une seule existence. Certains expriment ce qui leur tient à coeur dans des conversations confinées dans une pièce. D'autres confient leurs sentiments à l'extérieur et leur laissent libre cours.
Bien que ce qu'on éprouve soit fort varié et qu'il y ait des différences entre le calme et l'agitation, quand par chance quelqu'un prend plaisir à une rencontre et se sent content pendant un laps de temps, il rssent une telle satisfaction qu'il ne se rend pas compte que la vieillesse approche.
Mais quand revient e qui le harasse, les sentiments changent avec les événements, et il se retrouve prisonnier du découragement. Ce qui le réjouissait, en un instant n'est plus qu'un souvenir qui ne peut pas ne pas laisser des regrets.
La vie, au cours de sa durée, évolue selon la nature pour finir par s'épuiser. Les anciens disaient: "La vie et la mort sont ce qu'il y a de plus important." Comment ne pas en souffrir!
Chaque fois que je compare l'origine des sentiments chez les anciens avec ce que je ressens, c'est comme le recto et le verso d'une même chose. J'approche toujours leurs écrits avec un soupir de tristesse sans pouvoir m'expliquer pourquoi.
En tous cas, je suis persuadé que considérer la vie et la mort comme une même réalité (3) est vide de sens ; mettre sur le même plan Pengzu et un enfant mort en bas âge est se leurrer. Nos descendants auront le même regartd sur nous que le nôtre sur ceux qui nous ont précédés. Quelle tragédie!
C'est pourquoi j'ai noté la liste de ceux qui étaient présents en ce jour et consigné par écrit les poèmes qu'ils avaient composés. Bien que les circonstances changent avec les générations, ce que les humains éprouvent reste toujours identique.
Ainsi ceux qui plus tard liront ce recueil ressentiront la même émotion que la mienne dans ce texte." Fin de citation.
Je voudrais remercier ici un jeune ami chinois, Victore Zheng, lui-même grand lettré, qui m'a aidé à pénétrer dans cet univers fascinant et remercier mille fois plus encore mon maître et ami Jacques Pimpaneau, auquel je dois tant et sans lequel je n'aurais pas poursuivi mes études de chinois. Et remercier aussi nos amis de la librairie Le Phénix pour leur diligence!
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(1) Le 3ème jour du 3ème mois du calendrier lunaire, il y avait un rite de purification au bord de l'eau. A l'époque de Wang Xizhi, ce rite était devenu chez les lettrés l'occasion d'une réunion le long d'un cours d'eau sinueux, naturel comme ici ou artificiel dans un parc, sur lequel on faisait flotter des coupes de laque. Quand une coupe passait devant quelqu'un, il la buvait.
(2) Les poèmes n'étaient pas récités mais chantés ou plutôt psalmodiés sur une certaine mélodie.
(3) Ici Wang Xizhi répond à Zhuang Zi et autres philosophes qui, pour se consoler, prétendaient que la vie et la mort n'étaient que des aspects différents du même processus vital.