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Billet de blog 6 septembre 2012

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La petite princesse gejia

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

26.11.2011. 8h du mat. Une Buick noire rutilante et son jeune chauffeur m'attendent devant le Kaili Hotel. A voir son visage, la douceur qui se dégage de lui, je devine qu'il appartient à une des minorités du Guizhou. Oui, mais laquelle?

Il est dong, marié à une jeune femme miao, pas peu fier d'avoir un fils de trois ans. Celui-ci, me dit-il, parlera trois langues: miao d'abord, qu'il apprend avec sa maman; dong, qu'il baragouine avec son père et ses grands-parents paternels, putonghua - le chinois de Pékin - qu'il découvre déjà au jardin d'enfant. Je dis au chauffeur que leur fils sera doué pour les langues. Il en est fort aise.

Grâce aux conseils de M. Wu Zeng Ou, directeur du CITS ( China International Travel Service) du sud-est du Guizhou, lui-même d'origine dong, j'ai décidé de louer une voiture pour visiter Matang, un village singulier que l'on compare souvent à celui de Basha ( voir le billet "Le guerrier miao"), puis deux marchés tenus par des minorités. 

Déjà, sur les grandes avenues de Kaili, les boutiques s'ouvrent. Plus tôt, je n'ai pas résisté à l'appât d'une de ces nouvelles "boulangeries" où l'on vous sert de délicieuses viennoiseries et un vrai capuccino. Près de l'immense gare routière que nous longeons un instant, d'où surgissent, à la queue leu leu, une ribambelles d'autocars pleins à craquer, des dizaines de femmes, en costume traditionnel, ont installé leurs étals de fruits, de légumes, de boissons. Les kiosques à journaux débordent de quotidiens, d'hebdos de toutes sortes et de revues pornos à peine cachées.

Puis nous pénétrons dans une banlieue où se mêlent de hauts immeubles de verre flambant neufs, des chantiers où des méga pelleteuses retourne la terre, des parkings couverts de camions et d'autocars...La campagne enfin. Notre berline roule sagement sur une route parfaitement bitumée. Rizières et autres cultures, meules de foin tellement bien agencées que l'on jurerait une oeuvre de land art...

Quelques lacets. Nous y sommes: voici Matang, village gejia (1) d'abord presque désert. Apparaissent quelques femmes  brodant au soleil, quelques hommes sciant du bois.

Je monte dans le village. Maisons basses en longueur tournées vers la vallée, accolées à la colline.  Architecture de bois noir et de pisé. Une femme toute ronde m'invite à visiter sa maison, couverte de broderies. Un métier à tisser  éclaire la pénombre. 

Plus haut, un grand arbre chargé de marrons semble commander Matang. Au sommet, je découvre une aire de danse dominant toute la vallée, avec des gradins de pierre et un long corridor de bois. Personne.

En redescendant, j'aperçois, dans une allée entre deux maisons, une gamine somptueusement vêtue. Elle se maquille grâce à minuscule miroir. Et me sourit. Oui, elle parle mandarin. Elle a onze ans et se prépare à aller danser.

Sa grand-mère apparaît. Toute petite, cheveux blancs, beau visage ridé, elle aussi en costume de cérémonie. Toutes deux portent une coiffe pointue. Leur veste, dans tes tons bleu et argent, me fait penser, avec ses manches bouffantes, sa découpe, à une armure de samouraï. Puis vient une large ceinture, une jupe elle aussi brodée, des bas couverts par des bandelettes et des chaussons noirs. Elles sont superbes! 

Dans un second temps, d'autres femmes de tous âges les rejoignent. La grand-mère aide sa petite-fille à placer un collier argenté en forme de lune, étonnement léger malgré son apparence et sa taille. J'entends une langue gutturale, avec une multitude de sons rétroflêxes, loin, très loin du putonghua. La langue la plus étrange qu'il m'ait été donné d'entendre et d'enregistrer. C'est me dira plus tard M. Wu Zeng Ou, un sous-dialecte gejia, assez différent selon lui du miao

Sur le pas de sa porte, s'apprête la petite dame que j'avais d'abord rencontrée. Sa fille aussi, assise sur un tabouret, qui noue de longues bandelettes rouge autour de ses mollets. Aucune gêne, juste quelques sourires échangés. 

Je cours prévenir mon chauffeur que nous repartirons plus tard, avant de rejoindre la petite compagnie. Des garçons ont fait leur apparition. Tous tiennent des sheng, des orgues à bouche, dans leurs mains. Filles et garçons, par rang d'âge - les plus petits ont à peine trois, quatre ans - forment une haie d'honneur.

Un groupe d'hommes, des han, en costume de ville - mais sans cravate - avance en mitraillant la scène. Ce sont des professionnels du tourisme venus en repérage de la région de Canton. Sympathiques et bruyants. Nous sommes tous conviés à avancer entre la haie, au son des orgues à bouche et d'un chant de bienvenue, puis à boire cul sec un alcool de riz local servi dans des petites coupes. Ganbei!

Ensemble, nous grimpons vers l'aire. Vont alors se succéder des danses en cercle, interprétées par la jeune génération. Pas glissés ou piqués et mouvements ondulant des bras. La plus drôle: des couples tournent, le garçon tentant, par des petits sauts, de marcher sur les pieds de sa cavalière, laquelle esquive à merveille l'attaque! Joli marivaudage agrémenté de rires, de chants et du son lancinant des sheng

Puis toutes les vieilles se placent en ligne face au public et chantent mezzo vocce une longue litanie, avant de saluer. L'émotion passe.

Enfin, les jeunes femmes font mine de fondre sur les invités, armées d'une grande cruche brune, emplissent les coupes. Tandis que chacun d'entre nous boit celle-ci, elles entonnent, par deux, tout près - leurs visages à moins de trente centimêtres du buveur - un chant strident qui siffle dans les oreilles, puis éclatent de rire...Au suivant!

Avant la ronde finale, une jeune femme, munie d'un micro hf, détaille la symbolique de chaque costume. La coiffe, certaines coutures et broderies, des couleurs différencient l'enfant, la vierge, l'épouse, l'ancienne. Tout comme le dragon et le phénix qui apparaissent sous forme de bijoux. 

Renseignements pris, les Gejia de Matang, vivent selon un système  matriarchal. A l'évidence, les hommes font de la figuration. Les femmes portent la culotte. 

Pendant la représentation, plusieurs vieilles ont déployé à même le sol leurs petits trésors, des tissus brodés, des petites coiffes rondes. Sans grand succès. Seul le laowai - l'Etranger - se laissera tenter. 

En redescendant au village, deux hommes vont gauler le grand marronnier pour le plus grand plaisir de tous. Jolie bousculade. Puis le petit groupe d'autochtones se disperse tandis que les ganbu du tourisme cantonais rejoignent leur autocar. 

一路平安! Yi lu ping an! "Que la paix soit sur ton chemin!" me glisse la petite reine de cette matinée. 

                                           *

(1) Ce terme signifie habituellement en chinois "hakka", autre groupe ethnique. Les Gejia de Matang s'avèrent être une sous-branche miao

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