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Billet de blog 8 juin 2012

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Farid Chopel, le fou dansant (2)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Farid Chopel, le fou dansant", c'est un texte que j'avais écrit à la mort de celui-ci, sous le pseudonyme de Victor Chanceaux, sur Mediapart, déjà. Des amis, qui l'ont eux aussi connu, souhaitaient lire cet hommage. Le voici. J'ai aussi laissé les commentaires.

Avec Farid, ce fut une belle histoire d'amitié, des moments d'éloignement, des retrouvailles - je le revois avançant avec sa démarche chaloupée Villa Auguste Blanqui, la casquette vissée sur son crâne - , des croisements avec d'autres potes, comme Claude Krespin, qui l'accompagna à La Rochelle dans la DS qui appartenait à Coluche lorsque je programmai une reprise de Coppelia je crois, à la Maison de la Culture.

Un autre souvenir: le portrait que je fis de lui pour France-Culture, à La Rochelle déjà, dans le vieux théâtre vide ce dimanche-là. Un portrait plein de drôleries et d'émotion. Il avait chanté, "mimé", ces chansons japonaises qu'il aimait tant fredonner, et donné, en excellent "crooner", quelques tubes incarnés par ses maîtres: Franck Sinatra, Dean Martin, Nat King Cole...Je voulais absolument capter sa voix au plus près et pour ce faire, j'avais choisi un micro qui pouvait faire des miracles, en extérieur, un MD 21...Et le miracle s'accomplit.    

21 Avril 2008 Par Victor Chanceaux

Avignon. Nuit. Cour d'Honneur, Palais des Papes. Juillet 1976.

Les gradins sont pleins à craquer. Les escaliers aussi. La Merce Cunningham Company donne un event. Un «événement», dans l'esprit de cet immense chorégraphe, est par définition unique. Et celui-là le fut! Les danseurs, en collant flashy, entament leurs trajets, portés par la composition live de David Tudor, perché tout en haut d'une tour. «Merce» lui-même apparaît côté cour. Il ne danse pas vraiment. Il «marque», semble se parler à lui-même, égaré et présent, Pygmalion débonnaire aux boucles de vieux pâtre grec.

Un mistral d'enfer souffle dans la Cour d'Honneur. Fragilité de l'instant. Très vite, le public se partage. Les uns retiennent leur souffle, tombent sous le charme d'une chorégraphie épurée. Les autres sont déroutés par cette abstraction qui n'esquive pas le temps. Fragilité de l'instant.

Soudain, une ombre descend les escaliers, nous frôle, s'approche de l'immense plateau. L'homme se redresse. Il tombe la veste, la plie cérémonieusement, la dépose sur le bord de las scène. Puis enlève ses sandales. Un preste rétablissement, et le voilà sous les feux de la rampe. Il se fige une seconde et s'élance. Ses longs bras se déploient dans l'air. Il danse, il court, il lévite: à chaque saut, il semble s'immobiliser, puis retombe au sol sur ses pieds, miraculeusement. Visage impassible. Une fois encore, le public se partage: certains applaudissent, d'autres grommellent. Lui croise les danseurs, les frôle, se faufile entre les couples, désigne et convoque le ciel provençal, les hautes tours du Palais, David Tudor, tout là-haut. Imperturbablement, les interprètes construisent leurs figures. Cunningham continue son impro. Comme si de rien n'était. Le public ne sait si cette séquence fait partie de l'event. Léger chaos.

Des hommes tentent de s'emparer de l'intrus, l'attrapent une première fois. Il s'échappe. Sa longue silhouette dessine de grandes boucles dans le mistral. Encore une lévitation qui fait vibrer le public. Olé! La dernière: saisi par de robustes mains, il disparaît. Applaudissements, et huées pour les hommes de main. Sur scène, les danseurs ont repris la maîtrise de l'espace. Comme si de rien n'était. L'intrus a pris le chemin du poste de police. Il y passera la nuit. A la question «Pourquoi?», il me répondra deux ans plus tard:«Parce que je voulais les secourir.»

Paris. Centre Culturel du Marais. 1977. Le public est convié à une performance. Plusieurs danseurs commencent à marcher, marcher, marcher au coude à coude. Parmi eux, John d'Archangelo Mayer, le costumier inspiré de Einstein on the beach, cette œuvre majeure de Bob Wilson et Phil Glass créée en 1976 au Festival d'Avignon. John est tout de blanc vêtu. Comme ses coreligionnaires, il porte une longue jupe immaculée. Après la marche, tous amorcent une danse inspirée des derviches tourneurs. Puis disparaissent. Tous sauf un.

Celui-ci quitte sa longue jupe et semble reprendre la danse interrompue dans la Cour d'Honneur. Ses bras s'emparent de l'air, il s'élance, saute, monte encore plus haut, exécute ce qu'il nomme «la pause du cerf» avant de s'étaler au sol de tout son long. Puis se relève, saute, retombe. Deux fois, dix fois. Le public est d'abord ébahi, séduit. Et bientôt effrayé par cette danse loufoque et suicidaire. Une danse fauve. Une danse folle. Le fou dansant a un nom: il s'appelle Farid Chopel.

Théâtre de La Rochelle, 1978. Farid Chopel présente sa première création, Chopelia. Une échelle immense, en trompe-l'œil, occupe tout l'espace ou presque. L'artiste y grimpe, y niche. Il ne saute plus, ne lévite plus mais la gestuelle chopélienne est toujours là, séduisante, drôle, mystérieuse, dérisoire. Farid se raconte, dialogue avec lui-même et d'autres. Pierrot lunaire sur son échelle. Il chante aussi avec sa voix chaude de crooner. Il "est" Dean Martin, il "est" Nat King Cole. Chopelia: un régal, un sommet.

Farid et son look black and white des années 30; Farid et son profil d'Egyptien; et son chic de grand désossé. Et sa casquette vissée qui lui donnait des airs de gavroche de banlieue. Farid et sa désespérance. Un showman bourré de talent, prince de l'understatement et du non sens. Un homme verlan. Un aviateur. Un fou dansant.

TOUS LES COMMENTAIRES

22/04/2008, 18:29PAR STÉPHANE VALLET

Merci pour votre bel hommage.On est là, près de lui. Tout près. 

23/04/2008, 19:53PAR MYRIAM ENTRAYGUES

Je ne sais pas trop ce qui s'est passé mais lorsque cet article est paru, le 21, j'ai posté un commentaire sur ce magnifique hommage. J'ai aimé la lecture de ce billet, j'y étais, je revoyais Farid Chopel. Un article d'émotion. Puis, pfft! ce même jour, l'article a disparu, devenu introuvable pour réapparaître plus tard sans commentaire aucun. Peut-être un problème technique, je ne sais pas. Je ne sais plus ce que j'avais écrit sur le moment mais merci pour ce papier.

Merci pour cet hommage, il, Farid Chopel, semblait si irréel, ainsi que vous le décrivez, si léger, aérien. Je l'ai découvert au Palais des Glaces, dans les années 85, dans "les Aviateurs" : j'en gardé un souvenir éblouissant.

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