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Billet de blog 9 juillet 2012

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Un pont de la pluie et du vent en pays dong

Très tôt levé. L'hôtel dort encore. En attendant que l'on serve le petit déjeuner, j'observe le soleil levant, la profonde vallée verdoyante, les terrasses qui s'échelonnent par dizaines à flanc de colline, les premiers départs aux champs. 

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Très tôt levé. L'hôtel dort encore. En attendant que l'on serve le petit déjeuner, j'observe le soleil levant, la profonde vallée verdoyante, les terrasses qui s'échelonnent par dizaines à flanc de colline, les premiers départs aux champs. 

Après les salutations d'usage - "revenez bientôt" - , je reprends ma marche dans le village. Les scènes s'enchaînent comme dans un rêve: vieux coupant du bois - nous avons le même âge -, couple construisant le toit de leur future demeure, gamins dévalant l'escalier sac d'école au dos, femmes dégustant des fruits sur le pas de la porte, cheval qu'un ado étrille, femme yao bêchant tandis que son homme jette des graines au sol. 

Dans la cour de l'école primaire, les gamins mènent une joyeuse sarabande. J'avance. Effarouchés, ils se sauvent d'abord comme des moineaux, avant de m'entourer. Leur maître arrive. Lui-même, comme toute la marmaille, est yao, mais pas question, me précise-t-il, que les écoliers parlent leur dialecte en classe. In-ter-dit. Et lorsque je leur demande de chanter, non sans avoir fredonné "Frêres Jacques" moi-même, ils reprennent tous en choeur un chant...en mandarin. A quand la fin de l'identité des "minorités nationales"? Une génération tout au plus. 

Je passe le plus clair de la journée à sauter d'un vieil autocar à l'autre, l'un d'entre eux fait demi tour à mi chemin, allez savoir pourquoi. Certains sont bondés, pleins jusqu'à la gueule. Dans l'avant-dernier, entre Longsheng et Songjiang, je compte dix huit sièges et quarante cinq passagers! A trente centimètres, une gamine debout dévore son goûter. Arrêt tous les cinq kilomètres tout au plus. C'est ramassage scolaire et tutti quanti.  Les paysans fourguent leur chargement sous le car: sacs d'engrais, matériaux de construction, cartons, happy valley...Prévert aurait aimé. Aux commandes, le contrôleur, maniant avec dextérité les petits billets, distribuant les tickets avec bonhommie. Aucune resquille. Le plus souvent, on fait salon auprès du chauffeur, à trois ou quatre passagers serrés là comme des oignons. 

Chengyang, enfin. Nous sommes à l'extrême nord ouest de la province du Guangxi, en pays dong, souvent qualifié de "peuple chantant", connu aussi pour sa beauté et pour ses fameux "pont de la pluie et du vent", celui de Chengyang étant le plus célèbre. Posé sur trois piliers géants, il développe un long passage couvert de bois sombre entre les deux rives, les entrées et chaque pilier étant marqués par une haute structure s'inspirant de la forme d'une pagode.  

Tellement beau. Je l'ai observé à toute heure du jour et de la nuit depuis le balcon de mon petit hôtel, lui-même niché dans le lit de la rivière: le soir éclairé par le soleil couchant, puis par des projecteurs attirant une farandole d'insectes, puis dans l'obscurité; tôt le matin, nimbé de brume, avant de devenir un marché animé où les "mama" dong étalent leur pacotille, où deux joueurs de flûte gardent les entrées, une gamine d'une dizaine d'années près du village, un vieil homme de l'autre. Des ponts de pluie et du vent, j'en découvrirai plusieurs autres, tous charmants, mais aucun ne possède la majesté de celui de Chengyang. 

Le lendemain après-midi, à mon retour d'une balade épique à bicyclette - le prochain épisode de ce feuilleton - je pourrai l'admirer tout à loisir car il sert de décor à un film de "promo" tourné par une équipe de la télé taiwanaise. Un groupe de jeunes dong en habit traditionnel, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, jouent la grande scène de flirt et d'amour au bord de la rivière, avec pour fond une roue à eau tournant doucement, et le fameux pont.

Les filles portent des tenues...éblouissantes, au sens propre et au sens figuré. De la tête aux pieds: une haute tiare d'"argent" ouvragé en dentelle, d'une bonne quarantaine de centimètres, se terminant par une frange mouvante au ras des yeux, brillants; un maquillage vif, joues et lèvres bien rouges; des colliers argentés de six, sept, voire dix rangs couvrant le buste; un long pendentif avec différents motifs - dragon, phénix - auquel sont suspendues d'autres franges d'une trentaine de centimètres; vestes en soie "cirée", couleur brun luisant, col et bords bleu ciel brodés d'autres couleurs vives, avec motifs floraux; une longue ceinture pourpre tombant sur le côté;  des bas sombres avec sous le genou et aux chevilles des rubans bleu; petits chaussons de toile noire.

Les garçons portent eux aussi des vestes de soie cirée et une belle coiffe. Tous ont fière allure. La scène, maintes fois rejouée, se veut un joli marivaudage: séparés d'abord par une barrière de bambou, les jeunes coqs adressent aux damoiselles un couplet qui ressemble fort à une invite; le choeur des vierges leur répond par un chant de gorge où percent sensualité et moquerie.  Puis la barrière se lève...Les garçons font mine de fuir, poursuivis par les jeunes beautés et par leurs cris d'orfraies.

Le tournage terminé, les filles, qui décidemment "portent la culotte", m'invitent d'autorité à les accompagner à Songjiang, la capitale du district, où doit se tenir le soir même une méga représentation. Comment leur refuser? Certaines possèdent une beauté à coupe le souffle. La plus dégourdie se nomme Chen Yu. Originaire du Heilongjiang - l'ancienne Mandchourie - elle est la seule han. Et ne cesse, dans le minibus qui nous mène à la ville, de manier ses deux portables.

Las, le spectacle, donné par plus de cent interprètes, tous beaux, épanouis, déliés, dans un gigantesque bâtiment rond à ciel ouvert, inspiré des maisons-forteresses hakka de la province du Fujian, les toulou, s'avère effroyablement kitsch, surchargé d'effets visuels et sonores déplorables, mortel. Par politesse, je tiens jusqu'à la fin et file à l'anglaise. Taxi, et traversée hasardeuse du pont dans une nuit noir soulages. 

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