26.11.2011, fin de matinée et après-midi.
Mon chauffeur dong, Xiao Zhen, m'accompagne dans une autre vallée, pour visiter deux grands marchés de rue "minoritaires". A Longcheng, d'abord où se croisent des miao, des dong, des zhuang. Beaucoup de laine, de textiles, de chaussures, basket en tête. Plusieurs stands très fréquentés proposent des patrons pour broderies étalés en vrac. A côté, des tissus flashy sous forme de longs coupons.
Ailleurs, des bijoux argentés attirent plusieurs femmes miao. Le mari de l'une d'elles n'hésite pas une seconde, ouvre son portefeuille bourré de billets rose - 100 yuans - et fauche, sans le faire exprès, un bracelet que je m'apprêtais à marchander ; Je retrouverai le même un peu plus loin, négocié à 150 yuans. Parmi ces bijoux, des colliers, des bracelets donc et aussi nombre d'attaches servant pour les longues chevelures ou pour agrafer les caracos. De la belle ouvrage.
Sous une petite tente, une femme assise derrière des dizaines de plantes médicinales, soigne le dos dénudé d'une vieille décharnée à laquelle elle applique un cataplasme, tout en utilisant de longues aiguilles d'acupuncture. Tout près de là, un marchand de barbe à papa fait son beurre avec plusieurs familles, les gamins semblent ravis!
Dans une petite ruelle, des paysans vendent des petits tas de charbon; d'autres des poules et des oeufs. Ailleurs, on peut acheter des graines de céréales, de maïs posées au sol dans des sacs de jute. Des petites vieilles hautes comme trois pommes remettent quelques centimes à une vendeuse pour pouvoir grignoter une brochette de poulet. Des rubans soulevés par des ventilateurs de fortune tournent pour éloigner les mouches.
Tout ici, marchandises à quatre sous, tenues vestimentaires, gargotes minables, témoigne d'une grande pauvreté et de la très probable sous-alimentation de populations qui ignorent tout d'une boom économique dont profitent les régions côtières.
A Zhouxi, le second marché, comme Xiao Zhen me le confirme, est tenu et fréquenté par la seule minorité miao. Impressionnant par ses dimensions - il occupe non seulement l'aire du marché mais aussi la Grand Rue, ses allées grouillent de monde, des femmes surtout portant sur leur crâne leur longue chevelure - et par l'accumulation de marchandises diverses et variées.
Outre celles que j'avais découvertes à Longcheng, il y a des étals de costumes traditionnels, de ferblanterie, d'outils agraires, de lunettes de vue usagées que l'on peut essayer, de téléphones portables. L'un d'entre eux diffuse à tue-tête des musiques ethniques. On peut aussi y voir et se procurer des dvd de chants traditionnels miao enregistrés lors de fêtes...La scène est fascinante: des femmes et quelques hommes restent scotchés devant le petit écran, tout en commentant l'événement...Belle mise en abyme!
Dans la Grand Rue, j'aperçois un attroupement très dense. Les commères ont entre trente et soixante ans. Certaines accroupies, d'autres debout. Au centre, un homme, seulement vêtu d'un pantalon et d'une veste, le poitrail à l'air. Près de lui, à même le sol, des dizaines de petits paquets de plantes médicinales et une bouteille d'eau.
Il parle, parle, éructe en miao, crie, semble se mettre en colère, puis se calme, boit un coup de flotte. Il a l'air allumé, halluciné, les yeux très brillants. De temps en temps, il se met à compter, yi, eur, san, si, wu... - et les femmes avec lui - , puis brandit trois billets de 20 yuans, et gueule alors, en chinois, "yao bu yao?" - "vous en voulez ou pas?" Et le choeur des donzelles de répondre d'une seul voix: "yao!"
Avec la rapidité de l'éclair, il balance à chacune ses petits paquets, récupère la monnaie au vol.
Parfois, pour faire monter les enchères, notre homme se tape violemment la poitrine, hurle encore plus fort...Pour l'encourager, les femmes lèvent les bras au ciel. Béjart pas loin. Il semble alors à la limite de la transe.
Cela fait exactement vingt minutes que j'observe et filme la scène...Epuisé, je m'éloigne. Lui continue son cirque!
En quittant Zhouxi, nous doublons des dizaines de femmes rentrant chez elles à pied ou dans la benne d'un tracteur. Xiao Zhen veut me montrer le village de Shiqiao, niché au fond d'une autre vallée, le long d'une rivière bordée de peupliers.
Nous commençons par visiter, dans une grotte, une fabrique de papier à l'ancienne. Des ouvriers utilisent une succession de tamis de grande taille dont ils extraient, par un effet de balancier, de grandes feuilles qu'ils empilent, séparant la pâte à papier de l'eau.
Dans le village, d'autres papetiers-paysans procèdent de même dans leur propre cour. Les gestes sont amples, précis. Les tamis sont tenus par de grands cordages. Dans un entrepôt tout en longueur, un vieil homme accroupi glisse toutes les quatre secondes des lamelles de pâte à papier que vient écraser une énorme masse de bois activée mécaniquement par un système très complexe de poulies. Le bruit est infernal. Nous nous saluons de la tête.
Dans la rue principale de Shiqiao, j'achète dans une fabrique deux cahiers d'un beau papier vierge, au prix exorbitant de 70 yuans pièce.
En revenant vers Kaili, au soleil couchant, j'avise, près de plusieurs amas de charbon et d'un grand four, une baraque de brique avec une antenne tv satellite. Un charbonnier en sort. Il a cinquante ans. C'est un han. Il accepte que je pénêtre dans la masure. Une seule pièce, tapissée de vieilles revues, de journaux. Dans une casserole, mijote son repas du soir. 很乱 "hen luan" ( un des mots clés de la langue chinoise, signifie "bordelique"). Un désordre sans nom rêgne. L'hygiène n'est pas au rendez-vous. Une petite télé noir et blanc est allumée. Trop de misère, je n'ai pas le courage de filmer.