Souvent, je me suis levé de très bonne heure avant de rejoindre, sur mon fier "Phénix" noir Made in Shanghaï, le délicieux parc Fuxing, anciennement "parc français", autrement appelé "Koukasa", l'un des lieux les plus magiques, avec le Parc Lu Xun, tout au nord, de la métropole "au-dessus de l'eau".
Parc dit français car situé au coeur de "notre" ancienne concession, bordé au nord par la divine Nanchang lu avec sa canopée de platanes,les "faguo wutong", "arbres français", l'ancienne Alliance Française dans son jus, et à l'ouest la non moins divine Sinan lu, où logèrent jadis Sun Yatsen, père de la nation chinoise, Zhou Enlaï, le "bon" Premier Ministre et, on le sait moins, le plus grand acteur d'opéra chinois du XXème siècle, Mei Langfeng.
Là, dans cet espace aux dimensions modestes surplombé par des immeubles art déco, chaque jour que Bouddha fait, des centaines de femmes et d'hommes de tous âges et de toutes conditions, des "laobaixing" pour la plupart, viennent pratiquer, qui du taichi, qui du paso doble, qui la danse aux éventails, qui du chant choral, accompagné par un accordéoniste assis dans sa chaise roulante, qui la marche à reculons, qui un chant a capella, sans parler du badmington, qui la suspension -durable- à une branche d'arbre ou le frottement assidu contre un tronc et autres étranges cérémoniels. Un régal.
C'est là, et plus précisément sous la statue de Marx et d'Engels, située à l'épicentre du parc, que se déroulera, ce dimanche 14 octobre 2012 la rencontre a priori improbable, digne de Lautréamont, d'un groupe de musicos poitevins totalement déjantés, les ZAGO - nous arrivons samedi! - et le SUNDAY CHORUS, un choeur d'anciens surtout, que je connais fort bien.
J'y retrouverai certainement ce grand gaillard au visage osseux et pâle à la voix de stentor, la petite dame rondouillette qui fait office de chef et tourne les pages géantes d'une partition à la chinoise, l'accordéoniste handicapé, et tous leurs camarades, tous nostalgiques d'une époque où l'on se moquait de la bourse et de la phynance comme de la guigne, le temps d'une égalité certaine, le temps où la Chine était encore "hen qiong hen gemin", "très pauvre et très révolutionnaire". Ou bien faut-il traduire par "très pauvre donc très révolutionnaire"? La langue chinoise est tellement elliptique...
J'y suis venu aussi, au parc Fuxing, avec mon nagra pour France-Culture - idéal pour les sons -, puis lors de deux tournages, l'un pour Arte, une production de Doc en Stock, Daniel Leconte et Fabrice Gardel, intitulée "Shanghai: les nouveaux Chinois", diffusé le 1.10.1999 pour les 50 ans de la République Populaire de Chine.
Notre film se terminait au petit jour, par la séparation du chanteur Coco et de son amant de l'époque, rien n'était dit, seule l'image...une image de Frédéric Vassort. Déjà apparaissait le fameux choeur du parc que nous allons donc retrouver dimanche.
L'autre film, c'est "Hou Bo, Xu Xiaobing photographes de Mao", ( La Citrouille, F2, F5, plus de 40 diffusions à ce jour) co-réalisé avec l'ami Jean-Michel Vecchiet qui signait aussi l'image.
Le regretté Xu Xiaobing, qui fut jadis, à Shanghai, l'assistant du chef opérateur Wu Yinxian, lequel fit l'image de plusieurs films mythiques dont les Anges du Boulevard ou Au carrefour, avec l'immense Zhou Xuan (*), Wu Yinxian , que j'avais invité à Arles en 1988, - il était même notre invité d'honneur, vous suivez j'espère toujours -,
Xu Xiaobing avançait parmi les maîtres du Taichi, des danseurs de fox-trot, avant de venir, tout naturellement, chanter avec cette même chorale le célébrissime Nanniwan, ode de pure propagande, sur un territoire occupé, cultivé et rêvé par les communistes, une utopie, une mystification, fausse vraie idylle, chanson dont la mélodie lancinante avait été "piquée" à une vieille mélodie du Shaanxi,où il était question de récoltes à profusion, que l'ami Cui Jian, le grand rocker chinois avait remis au goût du jour en 1992. Une version corrosive, moqueuse, au vitriol.
L'histoire ne s'arrête pas là. En tant qu'attaché culturel - là, je vous livre des confidences, mais il y a prescription -, j'eus le plaisir d'accompagner certaines épouses et autres messieurs et dames d'importance. Dans le désordre: Madame Chirac, assez odieuse ce jour-là, Mme de Villepin, stressée et charming, Christine Lagarde, deux fois - elle avait pris goût à ces visites hors normes -, M. et Mme Badinter, exquis, et, et "Marie" Raffarin, épouse d'un Premier Ministre que l'on disait "héroïque", car il avait osé mettre les pieds en Chine lors du SRAS de sinistre mémoire.
Celle-ci m'ayant très aimablement demandé si elle pouvait voir et écouter une chorale shanghaienne, nous avons rejoint, à 7h du mat, le Parc Fuxing. Et la, O surprise, elle leur a proposé de chanter "Edelweiss" que nos choristes connaissaient!! ( moi pas). Quand j'ai décliné, à la fin de la chanson à mes amis les qualités de l'adorable dame, excellente choriste au demeurant, ce fut un tonnerre d'applaudissements...Souvenirs, souvenirs.
Pour revenir à dimanche prochain: sans vendre la peau de l'ours, je crois bien que la rencontre programmée grâce à nos amies du Huaihai Group, Madame Wu Hesheng en tête, sous la statue de Marx et d'Engels - bon, je me répète, mais c'est tellement succulent en ces temps de soi disant "socialisme à la chinoise" ( tu parles), cette rencontre sera, n'en doutez pas, un moment d'anthologie dans l'histoire déjà riche de l'amitié franco-chinoise et des échanges culturels.
Alors: remontez votre réveil-matin, mettez vos petits chaussons de danse. Rendez-vous sous la statue. Non pas celle d'Eugène Sue, chère à Simone et à Yves, mais de M & E!
(*) A ne pas confondre avec Hu Die, "le papillon", l'autre star absolue de l'époque, "Chinese Film Queen", qui nous a donné ce visuel que nos amis shanghaiens adorent...La nostalgie...
PS. J'interromps, le temps de ce séjour avec les ZAGO à Shanghai et d'un saut à Chengdu, le feuilleton "Sur les pas de la Longue Marche". Mais rassurez-vous (?), je n'abandonne pas "La Cina è vicina". Au contraire, ce sera "live", avec ZAGO; THE ZAGO's GO TO SHANGHAI!