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Billet de blog 12 août 2012

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Dali en feu, Dali en flammes

A l'heure où je vous écris, des milliers de torches brûlent encore dans toute la ville de Dali et dans les villages à l'entour. C'est 火把节, Huo ba jie, la Fête des Torches qui embrase la vieille cité et la population toute entière. Nous sommes le 25ème jour du 6ème mois lunaire. Ici, une fête bai, la minorité qui domine à Dali. (Les Bai sont environ 1.900.000, essentiellement au Yunnan). La fête des torches est aussi célébrée par les peuples naxi, sani et yi. Une des plus belles qu'il m'ait été donné de voir dans toute l'Asie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'heure où je vous écris, des milliers de torches brûlent encore dans toute la ville de Dali et dans les villages à l'entour. C'est 火把节, Huo ba jie, la Fête des Torches qui embrase la vieille cité et la population toute entière. Nous sommes le 25ème jour du 6ème mois lunaire. Ici, une fête bai, la minorité qui domine à Dali. (Les Bai sont environ 1.900.000, essentiellement au Yunnan). La fête des torches est aussi célébrée par les peuples naxi, sani et yi. Une des plus belles qu'il m'ait été donné de voir dans toute l'Asie.

火把节 se déroule partout, tel un dragon de feu courant dans toutes les rues, aux carrefours notamment, mais aussi dans les cours des hôtels, avec des torches en pin qui peuvent atteindre près de 10 mètres! Celles-ci sont comme tressées et hérissées d'oriflammes de couleurs vives qui bientôt s'enflammeront par le haut.

La fête, dans certains lieux, commence par une cérémonie menée par des vieillards revêtus de somptueux costumes brodés à dominantes de rouge et portant fièrement une coiffe de tissu. Un maître de cérémonie récite un long texte qui résonne dans la cour - une sono calamiteuse relaie sa voix aigrelette-, un autre officiant se lève, s'assoit face à un table couverte d'offrandes en forme de fruit; derrière eux, d'autres vieillards bai, très dignes communient, tandis que d'autres hommes mettent le feu à l'immense torche. 

Tout autour, un joyeux parterre où se mélangent femmes et hommes bai en costumes traditionnels, certains tenant dans leurs mains des "castagnettes". La cérémonie finie, la petite foule se met en branle et commence à tourner autour de la torche, au risque de recevoir des flammèches, qui ne manquent pas de tomber! La sono d'enfer diffuse une chanson pop - en mandarin, vive le syncrétisme! -, des "farandoles" de femmes surtout prennent corps...L'excitation monte. 

Les jeunes surtout s'amusent comme des fous, les enfants se régalent, certains vieux ne sont pas en reste. Quelques long nez s'en mêlent aussi.

Notre chauffeur, lui-même un naxi de Lijiang, m'explique que Huo ba jie se déroulait d'abord - et se déroule parfois encore - dans les champs. Les paysans courent en brandissant de grandes torches d'un bois clair et léger, un résineux donc, pour chasser les insectes, les malheurs et les mauvais esprits. Il me parle d'une lutte avec le diable, celui-ci craignant comme chacun sait les flammes. Il me parle aussi de l'alliance bénéfique entre le feu et le vent. 

火把节 remonte à la nuit des temps. En voyant la cérémonie, son déroulement sans trop d'emphase et de grands effets rituels mais en revanche pleine d'une bonhommie réjouissante, j'avais deviné qu'elle était teintée de taoisme. Celui-ci se mêle me dit-on à un animisme local, où l'esprit des ancêtres joue un rôle important, ainsi que, on l'aura compris, les éléments naturels. 

Après avoir assisté à ces rondes, remarquablement dansées par les Bai, hommes et femmes esquissant un pas piqué, de gauche et de droite, après avoir suivi des torches de plus d'un mètre portées par les garçons de l'hôtel courant avec celles-ci dans la grande salle du restaurant pour semble-t-il purifier celui-ci, je suis remonté au coeur de la vieille ville, où sont dressées des cimaises présentant, sur la grand rue pietonne menant à la tour wu hua qui commande Dali, un ensemble considérable de photos. Des photos que le jury du festival est censé juger demain ou après-demain.

Si celles-ci ne se sont pas transformées en torche, c'est miracle. Car sur la grand rue, les torches se comptaient, il y a moins d'une heure, par centaines. Certaines sont donc dressées comme des mats de cocagne, soutenues par des piliers de bois. La foule se tient autour, admirative, bon enfant, ou bien danse en se tenant par la main ou en chenille.

D'autres foyers se dressent devant les boutiques. Mais surtout, chacun se doit de s'avancer avec une torche ou parfois deux...dans la foule! Il semblerait que l'on poursuive ici ou là certains malheureux mais à la vérité, je n'ai pas assisté à de telles scènes. Le grand jeu des fanfarons de Dali, c'est d'attiser plusieurs torches croisées à même les dalles, et yi, er, san, un, deux, trois - crie l'assemblée - et je saute par-dessus le grand embrasement...Chaudes les fesses! ( C'est l'image que j'ai tenté de saisir).

A chaque pas, vous risquez fort de mettre le pied sur une flammèche, sur des braises rouges...Rassurez-vous, les pompiers sont sur le pied de guerre. Ils sont venus avec d'étranges véhicules, de grosses motos à quatre roues, couvertes. A l'arrière, un gros réservoir d'eau, flanqués sur chaque côté de trois extincteurs. Heureusement, l'eau de la rivière coule entre les dalles...

Sur plusieurs places, des chanteurs et des danseurs se produisent pour le plus grand des badauds. Au pied de la tour wu hua, on projette un film des années 70 à la gloire du peuple bai. Dans l'allée des saules, où les restaurants et les bars sont à touche touche, les "animateurs" continuent comme si de rien n'était de brailler leurs tubes dans un tohu bohu indescriptible. 

Toutes les boutiques sont ouvertes, même si le client se fait rare car tout un chacun veut profiter de ce moment magique. 

Parfois, les torches s'avèrent minuscules. Des parents débonnaires y initient leur progéniture. On y danse, on tourne autour du feu et parfois, comble de bonheur, on passe l'enfant au-dessus des flammes. Et les mômes: il faut les voir se battre en duel avec leurs torches!

Les yeux brillent, les yeux piquent. Sur le trottoir, des monceaux de torches prêtes à être enflammées: "wu kuai, wu kuai", 5 yuan, 5 yuan dit la marchande qui aura vite fait d'écouler son stock. 

Autour des grands feux - comment ne pas penser à notre St Jean? - , des masques apparaissent, sombres et presque menaçants. Parfois, la chaleur devient insupportable et l'on en mène pas large en traversant un carrefour, car les flammes surgissent, vous frôle, les mollets brûlent....

La nuit est tombée depuis longtemps. Les lao bai xin - le petit peuple - que l'on dit couche tôt s'en donne à coeur joie. Pour 火把节, traditionnellement, les chants et les danses vont de pair avec la boisson. Mais soyons franc: hormis quelques cadavres de bouteilles de bière locale, je n'ai pas vu trace de saoûlerie. Il est loin le temps où le maotai coulait à flot, au point d'empester toute une ville. 

Si j'ai tant aimé ce soir 火把节, c'est je crois parce que chacun ressent très fort,consciemment ou inconsciemment, l'archaïsme puissant de cette fête, sa sincérité, sa spontanéité - ici, pas de défilé, de reconstitution, de mise en scène -, ce bon vieux taoisme sans aprêt, et le plaisir sans partage d'un peuple où se mêlaient avec bonheur et sans arrières pensées, han - la majorité - et bai - l'une des 56 "minorités nationales que compte la Chine. J'avais oublié l'odeur enivrante du bois brûlé, qui demain encore devrait flotter sur Dali. 

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