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Billet de blog 13 mai 2012

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A Shanghaï: l'expo coup de tonnerre de Ding Yi

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'automne dernier, j'avais assisté au vernissage de la grande rétrospective de DingYi au Musée Minsheng, du nom d'une banque chinoise qui mise tout sur l'art contemporain. Non seulement elle a investi et transformé, à l'ouest de Shanghai, sur la fameuse avenue Huai Hai ( ex rue de Maréchal Joffre) un bâtiment permettant des expositions de qualité - grande hauteur de plafond, éclairages très travaillés, diversité des espaces - mais elle a placé à sa tête l'un des plus grands peintres chinois contemporains, grand connaisseur d'art, le Shanghaien Zhou Tiehai. Résultat: le Minsheng dame le pion aux autres musées, celui des Beaux-Arts et le MOCA Shanghaï, Museum of Contemporary Art, privé, malheureusement en perte de vitesse, qui avait jadis accueilli Pierre et Gilles pour son expo inaugurale lors de l'Année de la France en Chine. 

Ding Yi est indubitablement "le" peintre abstrait chinois, dont le travail remarquable est déjà entré dans l'histoire de l'art contemporain chinois...et dans les collections de certains des plus grands musées du monde. Depuis ses premières "apparitions de croix" dans les années 1980 à ce jour, Ding Yi n'a eu de cesse d'explorer cette thématique quasi obsessionnelle avec une verve, une sensibilité, une ingéniosité et une cohérence qui font oeuvre. 

On pourrait gloser à l'infini sur le chromatisme infini de ses toiles, sur le parallèle entre celles-ci et une architecture urbaine du plein incarnée par la ville où il est né en 1962, par la beauté, dicible et indicible de chacune de ses pièces qui renvoient à un patient et silencieux tissage. Ce qui sourd de celles-ci, au delà de la complexité labyrinthique du propos, de cette construction d'un univers, c'est, si l'on veut bien se donner à soi-même le temps de la contemplation, la paix. Sans en avoir jamais parlé avec lui, je suis persuadé que c'est ce à quoi tend cet artiste à chaque fois qu'il dépose sur la toile ou sur le papier une nouvelle croix, cette quête. Comme ses illustres prédécesseurs, les Shitao, Qi Baishi, Lin Fengmian (auquel il a emprunté la palette). Et aussi Lao Zi, Zhuangzi...

Ding Yi, petit homme au sourire timide portant lunettes noires et rondes, s'exprime peu. A quoi bon? Lorsque j'avais découvert son travail, dans les années 1990, la parenté avec François Rouan m'avait sauté aux yeux. Le Rouan des années 1960-1970, lorsque celui-ci pratiquait ses tressages parsemés eux aussi de croix méthodiquement disposées sur le papier, puis plus tard sur ses "portes", aujourd'hui mythiques. Je l'avais dit à Ding Yi, qui tombait des nues. Depuis lors, Rouan fut exposé à Pékin, grâce à Xin Dongcheng et à notre ancien ambassadeur, Pierre Morel, lui-même grand admirateur et collectionneur de Rouan, qu'il avait croisé du temps où ce dernier résidait à la Villa Médicis. Mais j'avais bien compris que l'ami Din Yi ne connaissait absolument pas l'ami Rouan. Simplement, deux artistes avaient, l'un en France, l'autre en Chine, exploré un langage, un code étrangement proches. Cette manière aussi de couvrir complètement le rectangle de l'oeuvre. Puis Rouan est passé à d'autres formes, tandis que Ding Yi a continué de creuser le même sillon.

La rétrospective de Ding Yi, qui se développait dans les deux plus grandes salles du musée Minsheng, avec d'une part les travaux sur papier, d'autre part les toiles, résonna vraiment ici, tout le pays, comme un coup de tonnerre car non seulement elle permettait de voir pour la première fois l'ensemble, et donc de comprendre le cheminement de l'artiste, mais de plus la scénographie, signée par l'architecte française Margo Renisio, lui rendait raison. En jouant sur des vis à vis, des "mano a mano" entre toiles, en orchestrant un véritable ballet des quatre dernières oeuvres, quasi sépulturales. En sublimant les rouleaux sans fin couverts d'innombrables "apparitions de croix", placés dans d'étroits caissons, à l'horizontale, baignés d'une douce lumière zénithale. 

Et puis, disons-le, l'événement était peu ou prou apparu comme une revanche de Shanghai, Shanghai "la putain", la maudite, méprisée parce que mille fois trop "bling bling" aux yeux des Pékinois. Pendant quelques mois, elle devenait la capitale de l'art contemporain. Selon une coutume bien établie, nombre de "big names" de l'art contemporain avaient fait le voyage pour honorer leur pair. Et tous étaient ébahis, estomaqués! Ils assistèrent ensuite à la méga fiesta organisée tout en haut du Sheraton flambant neuf, où trônaient des peintures de plusieurs stars locales, dont bien entendu une oeuvre de  Zhou Tiehai, non sans avoir vu, à la réception, une toile géante et fluorescente de Din Yi, ( 220 x 810 cm!) L'exposition fut ensuite visitée par des milliers de jeunes gens sidérés, intrigués et souvent admiratifs, qui découvraient d'abord, de nuit, d'immenses croix blanches, sur la façade du musée. 

Or cette exposition annonçait un grand tournant. A Pékin, je ne sais, mais à Shanghaï, le vent de l'abstraction et de l'art conceptuel souffle très fort ce printemps...

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