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Ou le survol sans prétention d’une Ville-Etat surprenante à bien des égards. A commencer par la nostalgique Emerald Hill Road et ses shop houses multicolores à deux pas d’Orchard Road, ou le Peranakan Museum présentant avec délicatesse un joli panorama de cette culture née du mariage- au sens propre et figuré – entre Chinois de Malaisie et populations locales au long des siècles, culture qui s’affirme aussi, à deux pas de là, dans un restaurant de cuisine nonya, un délice !
Singapour, c’est aussi l’étonnant maillage de bâtiments historiques superbement restaurés, devenus des musées de haute tenue, le plus instructif étant le National Museum qui présente sur deux niveaux une exposition mémorielle évoquant la construction du petit dragon.
Tout près, la petite église arménienne qui lutte contre les tours alentour. Instant de paix sur ses bancs hiératiques et dans le parc où sont disposées des pierres tombales de notables arméniens et celles de certains de nos diplomates, parmi lesquels celles de Joël Le Savoureux, Consul de France, 1850-1896, emporté par une fièvre tropicale à peine arrivé. Rien d’étonnant : la France joua là-bas un rôle prépondérant, notamment dans le domaine de l’instruction.
Autre temps fort : la visite de la National Gallery où loge la Wu Guangzhong Gallery, ce grand peintre ami de notre pays – voyez cette aquarelle intitulée « L’église de Vincent Van Gogh » - dont l’œuvre atteint, à la fin de sa vie et de l’exposition, une maestria sans faille, entre figuration et abstraction.
Un autre haut lieu culturel est actuellement investi par une grande exposition à la l’occasion du cinquième festival international de photographie de Singapour. Dans la Arts House, elle-même à deux pas du Victoria Theatre & Concert Hall, - un ensemble d’une homogénéité à faire pâlir d’autres capitales -, Gwen Lee, directrice du festival et son équipe, ont osé présenter « Witness », « les archives de la Révolution culturelle », soit un ensemble conséquent d’images prises par Li Zhensheng dans la province du Heilongjiang durant cette période de folie douloureuse.
Lao Li est le seul photographe à avoir traduit en images la violence inouïe de ces dix « années noires ». On imagine donc toute la diplomatie déployée par Gwen Lee et son équipe pour pouvoir présenter cette exposition dans ce haut-lieu qu’est la Arts House. Car chacun sait que censure et autocensure sont omniprésentes. S’ajoute le fait que les états chinois et singapourien entretiennent les meilleures relations…
Li Zhensheng, auquel notre livre Le Mao doit beaucoup, lui-même découvert par un autre ami, Robert Pledge, était l’invité d’honneur du festival.
Comment résister au charme de China Town, un peu étouffée il est vrai par son mercantilisme et surtout à celui de Little India visitée samedi matin, avec toute cette population bigarrée, heureuse à l’évidence de se retrouver là pour faire son marché et acheter ses offrandes.
Le sommet ? Le jardin botanique. J’ai parlé d’art à plusieurs reprises. Tous les connaisseurs s’accordent à dire que celui-ci est un pur chef d’œuvre. A l’image de la ville d’ailleurs : ici et là se devine la volonté de concevoir un grand tout cohérent, une harmonie, osons ce mot, avec ses pleins et ses déliés, ses confrontations de plantes, de teintes, de couleurs, ses changements d’échelle…Tout est composé et surprenant, pour atteindre le sublime avec le jardin des orchidées.
J’oubliais l’essentiel : le peuple singapourien. Quelle autre ville offre un tel cosmopolitisme ? New-York peut-être. Se côtoient sans aucun heurt chinois – très majoritaires, à plus de 70%, la langue véhiculaire étant le mandarin -, malais, indiens, arabes, juifs, occidentaux, sans oublier les métis, qui apparaissent aussi comme un groupe ethnique mentionné sur chaque carte d’identité.
Le spectacle de ces déambulations dans la rue, dans l’immense et rutilante Orchard Gateway, au jardin botanique, dans le métro – il y aurait beaucoup à dire sur celui-ci, très bon marché, rapide, nickel, parfaitement signalisé, avec toilettes –et pq !- à chaque station, ces terrasses accueillantes où chacun semble tout simplement heureux d’être là, ce spectacle m’a vraiment fasciné.
Tout comme celui d’une indéniable harmonie spatiale qui ne doit rien au hasard : chaque élément de cette « ville jardin », aussi petit ou aussi grand soit-il, l’attention infinie portée par exemple à la relation entre véhicules et piétons, ceux-ci ayant systématiquement la priorité, la fluidité qui en découle, tout prouve que les urbanistes et les architectes ont carte blanche pour améliorer encore et encore le cadre de vie des Singapouriens.
La prospérité qui règne ici, dans ce qui est aussi, un paradis fiscal comme vient de le rappeler le procès Cahusac, joue un rôle déterminant dans la mise en place de ce projet libéral-autoritaire initié, avec quelle poigne, par Lee Kuan Yew et aujourd’hui poursuivi par son fils Lee Hsien Loong.
D’ici à voir dans cette Cité-Etat très policée, très ordonnée où se marient avec bonheur modernité extrême et exubérance tropicale, où l’Histoire cependant se voit remarquablement mise en relief, un laboratoire urbanistique unique au monde, il n’y a qu’un pas…
PS. Nous savons que le gouvernement de Singapour, aujourd’hui comme hier, a utilisé la manière forte – laquelle d’ailleurs, il faudrait pouvoir le préciser – pour réglementer, ordonner, guider ce peuple. Au point que voir des gens fumer dans la rue – ce qui est parfaitement légal - étonne et détonne ! On sait aussi que le gouvernement chinois, Xi Jinping en tête, rêve de formater l’Empire du Milieu dans un moule singapourien. Mais ceci est une autre histoire…