L’autre matin, littéralement emballé par le Boomerang qu’Augustin Trapenard venait de consacrer à Michel Portal, cet immense artiste, ce jeune homme de 85 ans, j’ouvrais ainsi mon billet sur mon blog Mediapart : « Ce fut juste un moment de pure émotion, (…) une explosion, de la dentelle, bref de la grande radio, de la radio au vol, ô temps suspens ton vol, celle que nous portons aux nues !!! »
Et j’évoquais, sans vraiment les comparer tout deux, Olivia (Gesbert), prêtresse de la Grande Table et Augustin. Car oui, je persiste est signe, la radio, c’est leur truc, même si c'est le jour et la nuit, Inter et Culture...
Je croyais avoir jeté une bouteille à la mer…Or à ma grande stupeur, un message me parvenait deux heures à peine après la diffusion de ce Boomerang mémorable.( J'avais écrit et publié mon texte à chaud, dès 10h15). Un message drôle, piquant d’un Augustin piqué au vif, un message tellement trapenardien dont vous ne saurez rien.
Or voyez-vous, Chère Lectrice, Cher Lecteur, vous qui parcourez les ondes jour et nuit ad nauseam parfois, comme vous, j’ai mes « chouchous ». Celles et ceux que je retrouve chaque matin, chaque midi et chaque soir. Mes compagnons de solitude. Vivent les grilles de France Inter et de France Culture ! Trois phénomènes et un seul énergumène, Augustin justement, Augustin espiègle, funambule, vif argent, petit prince de la répartie. Bref, vous l’avez compris, Augustin, c’est notre d’Artagnan !
Souvenez de la chute de ce Boomerang d’anthologie.
Ayant entendu Michel Portal évoquer une anecdote savoureuse, celle d’une main se posant sur l’épaule du jeune clarinetiste français, et d’une voix qui dit : « Que tal Portal ? » ; la main, la voix d’Astor Piazolla, maestro absolu du bandonéon et d’un tango sauvé avec quel génie de l’académisme, donc, donc, donc le capitaine de Boomerang donne une fois de plus toute la mesure de ce don d’improvisation sans lequel le direct n’est rien en reprenant à son compte, accent compris, « Quel tal Portal ? » Quelle chute mes amis. Rideau.
Le second mousquetaire, ancré(e), sur France Culture, à sa Grande Table tout court puis à Grande Table des idées, deux facettes bien huilées, qui s’ouvrent toutes deux par ce morceau mythique qui fit les beaux jours de la compagnie Pina Bausch, c’est donc Olivia Gesbert.
Le troisième mousquetaire, de 19h à 20h, c’est Arnaud Laporte et ses « affaires culturelles », troisième genre, style gentilhomme, un art consommé d’un doux dialogue d’autant plus séduisant qu’il « coule de source », notre Aramis sachant à merveille mettre en valeur et mettre à l’aise son invité(e) car, tout comme Olivia, tout comme Augustin, il connaît la chanson. Rien ne lui échappe, nos deux héraults de France Culture comme deux Pic de la Mirandole sachant le plus souvent s’effacer, vous savez comme dans ces parties de double où l’un des joueurs de tennis se tient au filet tandis que l’autre reste au fond. Et du fond, ils en ont tous deux, tous trois, nos trois mousquetaires.
Bon sang mais c’est bien sûr, les trois mousquetaires, mon cher Alexandre, n’étaient-ils pas quatre ? Qu’à cela ne tienne : par un joli tour de passe-passe, voici donc le quatrième. Ou bien est-ce la Reine ? Milady ? Jamais.
Quoiqu’il en soit, elle fait chavirer les cœurs de ses interlocuteurs…Ah l’autre dimanche, mon ami Tahar Ben Jelloun roucoulait comme jamais, lui ce grand séducteur devant l’Eternel.
J’ai nommé Eva Bester et ce Remède à la mélancolie qui prend ces temps-ci une physionomie…encore plus opportune. D’autant que cette jeune femme, dont la culture universaliste vaut bien celle des trois autres bretteurs, sait aussi ferrailler avec son vis-à-vis.
L’autre dimanche, c’était avec Pierre Jourde, l’homme-toujours-en-colère, boxeur impénitent et impertinent. A une question d’Eva sur les arts martiaux, plus précisément sur le judo, celui-ci trouve la parade. Je cite de mémoire :"je déteste ce sport où l’on ne cesse de vous tirer par le kimono". Rire cristallin d'Eva. « Et le karaté ? » Pierre Jourde s’esclaffant : « c’est beaucoup trop mou ! » Et là, bing, estocade d'autant plus imparable qu'elle est presque murmurée : « vous avez en face de vous une ceinture noire de karaté ».
Je les ai imaginé sortant illico du studio, pour se mesurer, lui avec son éternelle colère et ses gants luisant de sang, elle avec cette grâce que l’on devine au son de sa voix, kimono blanc et ceinture noire…Ah, quel duel nous avons manqué !
Remarquez-le, j’ai choisi deux Inter et deux Culture, en toute subjectivité. D’autres mériteraient tout autant de faire partie de la bande, je pense à cette humeur vagabonde qui nous hante depuis si longtemps ou à certaine « journée particulière ». Ou à L' heure bleue et à l’inimitable voix de Laure Adler.
J’ai trop tourné autour du pot. Sans déflorer notre échange épistolaire avec Augustin Trapenard, je ne crois pas dévoiler un secret en relevant qu’il refuse de se prendre pour un artiste. Et il a bien raison. Aucun des quatre ne l’est. Mais des artisans, oui, oui, cent fois oui. Des artisans ayant auprès d'eux une équipe de fins limiers pour reprendre une expression d'Arnaud Laporte récemment.
Evitons les métaphores. « Facts, facts, facts » comme dirait Charles Dickens.
Une voix. Indispensable la voix. Une voix de vie, de gorge profonde, une voix et du souffle, pas trops d’aigu s’il vous plait.
Encore que… A la fin des années 70, avec Claude Villers, tous deux invités à participer à un débat, nous avions doctement devisé sur la question des micros de studio. Les techniciens nos frères d’armes ne juraient que par le schops. Mais Claude Villers – dont je fus un fan absolu lorsqu’il tricotait avec Patrice Blanc-Francard Pas de panique - et votre humble serviteur, nous n’en démordions pas : rien, mais alors rien ne vaut le Neuman. C’est dire si « la voix » est pri-mor-diable. Vient ensuite, tout près, un certain phrasé.
Du souffle, Olivia Gesbert en a à revendre lorsqu’elle se lance dans certaines questions fleuve dont l’auditeur se demande comment elle va trouver la chute. Torture. Et bien, elle la trouve. Mieux : de l’autre côté de la table, la balle rebondit bien. Dès lors, pourquoi s’en plaindre ?
Un point capital : Olivia officie du lundi au jeudi. Augustin et Arnaud jusqu’au vendredi. Eva le jour du Seigneur, à l’heure de la messe. De là à penser que son studio fait office de confessionnal, il n’y a qu’un pas.
Ce rythme hebdomadaire lui donne un avantage considérable. D’ailleurs, si j’écoute avec fidélité Remède à la mélancolie c’est moins parce que l’invité m’attire que pour entendre notre karateka servir, rebondir, se fendre, esquiver et surtout relancer.
Relancer, c’est tout un art en soi, le savez-vous ? Remember le grand épeiste que fut Jacques Chancel. Ou Denise Glaser. Ou Pivot. Ou mieux encore, Pierre Dumayet. Un sommet. Ah ses silences, sa pipe, son regard mi rieur mi sérieux derrière ses lunettes cerclées. Avec lui, j’avais très tôt appris un truc. Parfois, il suffit d’un « et ? » pour offrir à l’auditeur/trice le meilleur.
En ce sens, Augustin Trapenard tient la corde. Eva viendrait en second. D’ailleurs, est-ce si important ? Ben oui mes amis. De la capacité de l’interviewer à jouer ce jeu-là, dépendra le rythme de l’émission et l’attention soutenue de l’auditoire. Pas de relance à la volée, pas de tempo, patatras, l’audimat se carapate.
D’autres l’ont trop bien compris qui coupent l’invité(e) à tout bout de champ, sans lui laisser le temps de développer. L’exemple le plus frappant de cet exercice insupportable, c’est Ali Baddou. Celui du Grand Débat, mais surtout du Dimanche politique avec ses trois coreligionnaires, tout aussi mouche du coche, à l’exception notable de Françoise Fressoz. Bouddha merci, aucun de nos quatre mousquetaires n’a ce défaut.
Le juste milieu ? Certainement Arnaud Laporte. Beaucoup, beaucoup de tact, d’écoute, de métier. Et de culture (j’insiste). Et ce que je considère comme une suprême habileté : nous faire partager son plaisir gourmand de premier auditeur. Augustin ne fait pas autre chose. Sinon que lui se la joue « passion ». « Passionnant » est un mot tellement utilisé…et tellement usé, n’est-ce pas Ali ?
Augustin toujours s’envole souvent bien au-delà, vers l’enthousiasme. Et çà marche. Çà marche d’abord avec son alter ego. Et par télépathie avec nous.
Vous me trouvez trop laudateur ? Peut-être. Il se trouve que j’ai eu l’honneur et le plaisir de pratiquer le métier de producteur à France Culture. Assez longtemps pour avoir mesuré la difficulté d’un exercice parfois quotidien l’été – avec ‘L’heure du laitier », puis avec « Poètes, vos papiers » et chaque semaine aux mythiques « après-midi ».
Si je compare ces deux époques, il me semble que la nôtre, héritière de l’esprit de 68, était portée par de forts alizés, un bel esprit d’équipe, les Après midi étant menés tambour battant par le bouillonnant Jacques Floran d’abord, puis par Pierre Descargues. Il y avait, au studio 168 un foisonnement que seul Boomerang peut de temps à autre nous rappeler. Et puis, nous avions du temps.
Et là, le bât blesse, chez Eva surtout. La voici d’abord, au tout début, nous alléchant avec ces « convocations » de musique, d’écrivains et autres penseurs avant, quelques minutes plus tard de balancer un tube de la play list d’inter. Résultat : le choix de l’invité(e), tellement évocateur, tellement signifiant, se voit schunté après quelques mesures. Bonjour les frustrations des auditeurs que nous sommes et j’imagine aussi de l’interviewé. Et d’Eva ?
Le style c’est bien beau mais l’essence de cet exercice, c’est l’accouchement d’une femme ou d’un homme, sa mise à nu, métaphorique il est vrai, devant un auditoire mi vigilant, mi conquis d'avance. C’est révéler l’autre en l’écoutant, en l’aidant, sans jamais le couler. De l’empathie, en veux-tu en voilà !
Ici, point de faux-culs, faux vrais, faux semblants. Non pasaran. Ils ne passeront pas la rampe. Les invités de Boomerang, de la Grande Table, d’Affaires culturelles et de Remède à la mélancolie viennent tous apporter la Bonne Parole. Qui s’en plaindra en ces temps de profonde morosité, voire de déprime abyssale ?
Enfin et surtout, si nous écoutons nos mousquetaires et leurs invités, c’est parce qu’ils nous élèvent, nous offrent ce supplément d’âme, cette étincelle sans lesquels nous ne serions rien, ou si peu. Ils sont, comme on disait jadis, très « fortiches », au point de nous laisser accroire que nous serions intelligents. Mais au fait, Chers Mousquetaires, où sont passés les ferrets de la Reine ?