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Billet de blog 16 septembre 2013

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Le Maréchal Tie Jia, dieu grenouille, et l’espion de la CIA

Parfois, un artiste réussit à vous transporter dans son univers. Un miracle s’accomplit, au point de se voir envouté soi-même par les mythes dont il a décidé de faire son miel.

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Parfois, un artiste réussit à vous transporter dans son univers. Un miracle s’accomplit, au point de se voir envouté soi-même par les mythes dont il a décidé de faire son miel.

Si j’en crois la photo qui figure sur la plaquette publiée à l’occasion de l’exposition ASIA ART, Hugo Boss, Award for Emerging Chinese Artists 2013, Hsu Chia Wei n’a pas trente ans. C’est un Chinois de Taipei.

Son exposition, au Rockund Art Museum de Shanghai, ce sublime lieu incrusté dans un immeuble art déco, à deux pas du Bund, occupe tout un étage. Et c’est justice. Six autres artistes interviennent, tous jeunes, décoiffants, et parfois totalement en dehors de la plaque.

Comme si avoir une idée, transformée en gimmick, suffisait pour créer une oeuvre. Ainsi va la Chine, speedy China et son art “conceptuel”. Passons. Avec ce jeune artiste taiwanais, c’est tout le contraire.

En pénétrant dans l’espace de Hsu Chia Wei, vous êtes d’abord pris par une étrange projection sur grand écran, image et son.

C’est la nuit. Des enfants asiatiques sont assis au sol. Derrière eux, un bâtiment orné d’un nom écrit en thai et en chinois. “Orphelinat”.

Une jeune fille timide et studieuse, munie de notes qu’elle a sur ses genoux, est assise face à un homme à la stature et aux visages imposants. Derrière celui-ci, un gros projecteur.

Toute la scène est éclairée et filmée. La caméra montre aussi les micros, leurs perches, le bras articulé d’une “luma” qui s’élève, les preneurs de son parfois. Des gamins ou de adolescents très concentrés.

Troublante alliance entre des appareils dernier cri et de quasi bambins aux manettes. 

La jeune intervieweuse et l’homme s’expriment en chinois. (Sous-titres anglais). Elle pose ses questions avec un profond respect, s’adresse à l’homme en lui donnant du “A-Ba”, “père”, “papa”, un mot qu’elle module comme un chant. Lui – la soixantaine – répond en évoquant une histoire sinueuse, dramatique. Une histoire en lambeaux.

Il parle à mots couverts de mafia, de drogues, de meurtres.

Il parle de la CIA, dans laquelle il dit avoir été engagé très tôt, dès 1967, de multiples changements de patronymes – et l’on croit comprendre qu’il a changé aussi de vie à chaque fois, qu’il s’est même infiltré un temps en “mainland China”; il parle surtout des attaques répétées dont il semble avoir été l’objet.

Il montre sa main droite, qui paraît difforme. Et nomme calmement celui auquel il doit cette mutilation.

La caméra filme toujours en plans larges, les enfants assis au sol sont très présents, parfois turbulents, parfois silencieux, toujours attentifs.  

L’homme décrit avec précision les traquenards auxquels il a échappé, les parades qu’il a imaginées.

Par exemple, convoqué par un tel et flairant le danger, il décide de se rendre au lieu indiqué avec trois voitures: il se tient dans la première; la seconde est chargée de sacs de riz qu’il vient d’acheter; dans la troisième, il a placé un moto entre des sacs de ciment. Avant de se faire canarder à coups de M16. Pourquoi? Mystère.

A plusieurs reprises, il a fait l’objet de “contrats”. Sa tête a été mise à prix. Des sommes importantes qu’il mentionne. Il dit avoir même récupéré l’un de ces magots. On nage en plein polar politico-ethnographique.

Il nomme d’autres “ennemis”, les morts et le vivants. Parle avec une certaine emphase. Evoque des minorités ethniques, et parmi elles les Bai, dont on le soupçonnait d’être l’espion. Il ne dément pas. Dit qu’il s’est fait passer pour un missionnaire et s’être couvert le visage sous une bible.

“Ah-ba” finit par changer de registre, passant à un mode philosophique et moral, se référant à “l’honnête homme” qu’il l’est et aux valeurs ancestrales du confucianisme. Calmement, il se tourne vers les enfants et leur suggère de suivre la même voie, celle de la droiture.

En lisant la présentation des expos - pas de catalogue, dommage -, je comprends qu’il est le directeur de l’orphelinat.

L’équipe qui filme, fort bien au demeurant, - longs plans séquences d’une lenteur qui sied au propos -, est constituée par des orphelins, y compris la jeune fille un peu gauche qui l’interroge. La durée du film? Une dizaine de minutes peut-être.

Celui-ci provoque un trouble profond et beaucoup de curiosité. Où sommes-nous?

Une carte rassemblant tous les élements du puzzle nous fait comprendre que la scène se déroule au village de Huai Mo, tout au nord de la Thailande, aux confins de la Birmanie et du Laos, dans le fameux "triangle d'or". Les orphelins gagnent leur vie en effectuant des travaux de couture à la machine. Ils peuvent même, à l’occasion, créer des peintures-sculptures en tissu piqué.  Du moins quand ils rencontrent semble-t-il un artiste comme Hsu.

Dans quelle sphère? Celle de la pure réalité ou bien tout au contraire celle d’une habile fiction? N’ai-je pas entendu, à un moment de l’interview, le nom de Teresa Teng, cette chanteuse taiwanaise mythique (1953-1995) célèbre pour ses chansons populaires dont on dit souvent ici: “ Là où se trouvent des Chinois, on peut entendre les chansons de Teresa Teng”? Oui, Ah-ba dit bien qu’elle était venue en Thailande.

Immanquablement, tout visiteur se posera la question: si nous sommes dans la réalité, ce film “documentaire” était-il bien à sa place dans une exposition d’art contemporain?

Oui, non, peut-être…Car chacun l’aura compris, il y a l’histoire elle-même, développée avec conviction, ou avec roublardise, peu importe, et il y a cet étrange ballet orchestré par Hsu Chia Wei, deus ex machina.

Or vous n’avez rien vu, ou presque: la symphonie ne fait que commencer.

A votre gauche, dans l’entrée, il y a donc cette carte noir et blanc sur laquelle figure une orpheline au travail, des anciens en train de paver un chemin, une carte de l’Asie du s.e, de la Chine et de Taiwan avec deux points noirs, deux pôles, le village de Huai Mo et l’île de la tortue, dans l’archipel de Matsu, entre Formose et le continent.

Sur l’autre face, apparaissent un masque sculpté dans du bois, d’obédience taoïste, une grenouille, une machine à battre le riz, une table traditionnelle, l’esquisse d’une procession et une autre carte-schéma de Chine et de Taiwan, où figurent un étang dans la province du Jiangxi, lieu d’origine d’un mythe, celui du dieu grenouille nommé Maréchal Tie-Jia. Une flêche indique son déplacement sur l’île de la tortue puis à Taiwan. Des dates: au Jiangxi, l’histoire-mythe a commencé il y a 1400 ans…

C’est une merveilleuse légende.

Une grenouille bien ordinaire vivait au bord d’un étang. Mais par une sorte de maléfice, celui-ci commença à se vider, au grand dam des villageois qui ne savaient que faire.

Alors la grenouille décida de tenter l’impossible. Elle nagea, nagea et découvrit la raison de cette fuite: un trou, un trou béant.

Ni une ni deux, elle le boucha avec son corps de grenouille ordinaire.

Dès lors, les villageois commencèrent à lui vouer le culte qu’elle méritait. De fil en aiguille, elle devint le Maréchal Tie-Jia. Les dieux eux-mêmes la reconnurent comme l’un des leurs. Ainsi naquit le dieu grenouille.

Plus tard, bien avant la “Révolution culturelle” qui allait pulvériser le mythe, le maréchal se métamorphosa à plusieurs reprises, pour finir ses jours dans l’archipel des îles Matsu, plus précisement sur l’Ile de la Tortue où notre jeune artiste souhaitait justement tourner un petit film...

Hsu Chia-Wei se rendit à plusieurs reprises au sanctuaire du maréchal-grenouille pour lui demander l’autorisation de tourner. Ce que le propriétaire de l’île lui accorda finalement.

Près de la feuille que le visiteur prend à l’entrée, il y a une minuscule video sur laquelle on aperçoit les orphelins en train de chanter en chinois, avec dit-on l’accent du Yunnan, puis dans leur dortoir ….Tout près, deux personnages, un homme et une femme, sont représentés dans un tableau composé de chutes de tissus noir et blanc. Un travail des orphelins.

Sur la droite, une “long house” de plusieurs mètres faite en paille tressée et en tôle ondulée reproduite semble-t-il au quart, serait la représentation de ces casemates militaires qui essaiment dans tout le sud-est asiatique. (Ici, aucun commentaire. Cet éclairage, je le dois à un jeune “volontaire” fort aimable.)

Disons-le avec humilité: de multiples non-dits difficiles à appréhender circulent dans cette exposition-univers. Il est question de guerres, de conflits parfois ancestraux, parfois contemporains, de territoires disputés entre Chine et Japon. De politique: comment ne pas songer aux affrontements nationalistes  qui opposent actuellement Chine et Japon à propos d’une île rocheuse inhabitée?  

Et tout autant de mythes, de légendes, d’exorcismes, de fiction, d’illusion aussi.

Cette perte de chacun face à ce monde situé aux confins de l’archéologie, de l’histoire, de la mythologie m’est apparue comme envoutante. Un charme ressenti aussi par une jeune amie shanghaienne qui m’accompagnait hier lors d’une seconde visite et par d’autres visiteurs à la recherche d’indices.

Après avoir franchi la première partie de l’exposition, il faut choisir: deux autres video fonctionnent en boucle. (Durant tout le temps de la visite, vous vous déplacerez dans une pénombre proche de celle d’un temple ou d’une cave.)

Tout au fond, on aperçoit la reconstitution d’un autel des ancêtres dans un intérieur rural, éclairée violemment par des ampoules rouges fluo.

Au passage, vous êtes autorisé à vous saisir d’un petit livret vert grenouille écrit en chinois et en anglais intitulé “Seven Monologues of Marshal Tie Jia Stories, A Play in One Act by Chia-Wei Hsu”, qui s’avérera l’une des clés de ce mystérieux royaume.

Bon. Il y a une “guanxi”, une relation entre l’autel et la video suspendue. Voilà qui est clair.

Un vieil homme au visage ridé, vêtu d’une veste d’été traditionnelle, chante une mélodie…que l’on entend seulement sous un parapluie sonore.   

Il chante dans un décor identique à la reconstitution fluo à deux pas de là.

Sur la table de mahjong, des dominos dont il s’empare un à un et qu’il lit. (Mon amie shanghaienne m’assure que ce jeu divinatoire est toujours interdit sur le continent).

Chaque domino renvoie à une séquence historique et déjà mythique. Il est question de la lutte âpre avec l’envahisseur nippon, de batailles, de généraux. ( Rappel: Taiwan, alias Formose, fut colonisée par les Japonais de 1895 à 1945).

Si l’on tend l’oreille, on devine un chant, une litanie. Le vieil homme, un pêcheur et l’un des personnages des sept monologues, se nomme Monsieur Yan-Yan Huang, du village Qiaozai, près de Beigan. La mélopée qu’il psalmodie vient de l’opéra Min.

Surprise: dans un second temps, il apparaît non plus dans un décor traditionnel mais sur fond d’écran vert, vert grenouille. Ce que nous avions cru être l’intérieur d’une maison traditionnelle, la sienne peut-être, n’était qu’une “incrust” de télévision!

D’un plan serré, la caméra élargit, élargit, au point de nous faire découvrir qu’il se trouve en fait, et avec la petite équipe de tournage et son matériel, sur un minuscule îlot de pierre en forme de tortue.

Dernier plan, absolument fixe et absolument “bluffant”: l’ile est filmée d’en haut. Le vieil homme et l’équipe ne sont plus qu’un minuscule point vert, la tortue semble perdue quelque part en mer de Chine. Encore un de ces tours de passe-passe dont Hsu a le secret. L’ilôt serait-il proche d’une autre terre, plus haute? Autre mystère.

Un banc et un casque vous tendent les bras.

Sur un quatrième écran, se déroule un cérémonial tout aussi fascinant. Un être masqué (voir image), habillé de pied en cape d’un costume bigarré et fleuri, tenant dans sa main droite un long bâton, puis un pinceau de calligraphie, avance. Il fait un pas, puis se remet pieds joints. Puis un autre pas. Un mouvement saccadé, accentué par le dépliement simultané du bras, qui coupe l’air. Il se tient très droit. Son masque se veut terrifiant. Il l’est!

Il se meut au sein d’une cité ancienne abandonnée aux hautes parois grises dont le faîte est savemment ouvragé.

Hsu réussit à tout rendre, y compris cette architecture de maisons pouvant atteindre une dizaine de mètres de haut commune aux provinces du Jiangxi et de l’Anhui, en composant des plans-séquences jouant le plus souvent sur des déplacements latéraux, plus rarement horizontaux, utilisant à l’évidence une luma. A bon escient.

On aura compris qu’il se donne les moyens d’une réalisation très aboutie. Sa recherche formelle se situe à la hauteur de la thématique développée.

En jouant sur ces effets de lenteur, d’amples mouvements, d’angles en surplomb – ainsi finit la séquence sur l’Ile de la Tortue et le film décrit actuellement – en maniant avec circonspection les plans américains et les close-up, l’artiste-réalisateur réussit à donner à chacun de ses récits le qi, le souffle sans lequel le miracle de l’envoutement évoqué plus haut ne s’accomplirait pas.  

Des paysans chinois suivent le personnage masqué, le visage fermé. Parfois en file indienne, parfois deux par deux. Des hommes pour la plupart et quelques femmes. Ils portent des vêtements de tous les jours chauds. L’hiver rôde. Aucun bruit.

Nous sommes au Jiangxi, la province de l’origine du mythe. La caméra les abandonnent parfois, passe au plus près d’un troupeau de buffles que l’on entend ruminer, elle vient lécher les murs.

Sur l’un d’entre eux, est inscrit un dazibao horizontal apposé à la peinture blanche.

Il est écrit: “Chérissez la vie, rejettez la religion illégale”, celle-là même que les villageois tentent de rescussiter. Tout prouve que ce slogan, relativement récent, n’est pas apocryphe.

Seconde phase: sur une bande de terre le long du fameux étang, des hommes et des femmes s’avancent en ombres chinoises dans la nuit, une torche dans la main. Le premier d’entre eux est un petit bossu. Ils marchent d’un pas décidé, puis se rassemblent et s’immobilisent, les uns les pieds dans l’eau, les autres sur une colline, seulement signalés par les torches qui grésillent. Leurs visages de paysans rougeoient dans la nuit.

Sur l’étang, un radeau. Le personnage masqué a repris sa danse saccadée. Il avance à petits pas glissés. De temps en temps, muni de son long pinceau dans la main droite et d’un pot dans l’autre il semble peindre les étoiles.

Les spectateurs l’observent avec intensité et semble-t-il un infini respect. Le léger bruit des insectes de nuit se voit brusquement couvert par le son des gongs et d’un tambour. Des musiciens se tiennent assis dans une barque longue et étroite.

Revenons à l’un des sept monologues, intitulé “The Nuo Dance Descendant”.

Ce descendant se nomme M. Liang-Sheng Hu. Il a appris cette danse auprès de son père, un maître jadis. (Comprenez: avant la “Libération”, avant 1949).

C’est une danse d’exorcisme, dite Nuo, dont les origines remonte à quatre siècles. Avant son introduction dans le village de Changjing, cette danse ne pouvait être donnée qu’à la cour impériale. Un lettré du nom de Cheng Yi-chun revint au village avec vingt-quatre masques en cuivre “qui brillaient au soleil”. Et Monsieur Cheng créa la troupe de danse nuo, pratiquée depuis lors par des gens ordinaires.

Un jour, vers la fin de la dynastie Ming un enfant voulut s’emparer secrêtement de l’un des masques en cuivre.

Incapable, après avoir dansé, de l’arracher, il mourut asphyxié. Les villageois entérrèrent l’enfant, ainsi que tous les masques. Ceux qui les remplacèrent, furent sculptés dans du bois. Aujourd’hui, il n’en reste que quatre.

Quatre seulement car comme le racontait le père de M. Hu les larmes aux yeux, les autres avaient été sciemment détruits lors de la “Révolution culturelle”, tout comme le sanctuaire et les autres trésors entreposés là depuis des siècles.

Nous sommes en 1966. Partout les Gardes Rouges commettent l’irréparable et détruisent les “quatre vieilleries” qu’étaient soi disant “la vieille philosophie”, “la vieille culture”, “le vieux folklore” et “les vieilles coutumes”.

A Changjing, ce sont les fonctionnaires de la province qui font le ménage. Rien ne leur échappe. Le beau village est passé au peigne fin. Chaque élement rappelant le passé, qu’il soit d’ordre architectural, artistique, religieux, est systématiquement détruit.

Le père de M. Hu réussit à sauver quatre masques, les enfouit dans une porcherie, au risque de sa vie. Lorsqu’il revient à la charge, les autres brûlent déjà sur un grand brasier.

Le temps a passé. Les masques sont réapparus. D’autres ont été sculptés. Le père de M.Hu et quelques anciens du village ont transmis leur art aux jeunes générations. Pourtant, si l’on en croit l’inscription menaçante relevée sur un des murs du village, ces pratiques religieuses semblent diversement appréciées…

Le masque et le costume portés par M. Hu durant ces cérémonies, lors de la Nouvelle Année lunaire, est celui du Quatre-Vingtième Roi.

Lorsque l’Ancien du village de Changjing, dans le plus grand silence, fixe sur son visage le masque sauvé par le père de Hu, celui-ci sent pénétrer dans tout son corps une profonde puissance spirituelle.

Que dire encore, sinon que Hsu Chia-Wei s’affirme comme un de ces artistes mi archéologue, mi devin, capables de recréer de toutes pièces un monde.

On pense à un Boltanski ou à Tu Yuesheng, cet autre artiste taiwanais, dont le travail sculptural consiste à inventer une civilisation.

Hsu, quant à lui, a trouvé son tao dans les racines les plus profondes de la mythologie et de l’histoire chinoises. Avec une justesse, une délicatesse, une poésie sans faille. Et dans sa capacité d'artiste à nous guider entre réalité et fiction, entre le vrai et le faux, zhende / jiade. Il nous trompe: trompe l'oeil, trompe l'oreille, trompe nos sens et notre mémoire, remettant les événements, les histoires, les légendes dans une perspective inattendue, provoquant en chacun le désarroi. Au fait, "Ah-ba" n'est-il pas lui-même un pur exemple de trompe-la-mort?

Et sa technique de prise de vue, avec ses contre-plongées lentes, ses longs plans fixes, ainsi que le travail sur le son, si raffiné, si proche des êtres et de la nature,  mettent véritablement chaque visiteur dans un état second.  

Grâce à ce jeu quelque peu vertigineux, la grande civilisation chinoise – grande dans le temps et dans l’espace – se voit non pas restituée, mais revivifiée, dans toute sa splendide diversité et son unité absolue.

Est-ce un hasard si ce travail est produit par un chinois taiwanais?

Puisque cette exposition nous a littéralement transporté de légendes en exorcismes, qu’il me soit permis d’émettre un voeu: celui de pouvoir la remonter en France. A bon entendeur…

Shanghai, lundi 16 septembre 2013

PS. Merci à Cara Zhuang à laquelle je dois la traduction du dazibao.  

(1) laquelle disparaitra en 1644, sous les coups de l’envahisseur mandchou, Qing. 

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