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Billet de blog 17 août 2012

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Festival de Dali: le meilleur...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et le pire.

Lorsque Bao Lihui le directeur du DIPE (1), festival international de la photo de Dali nous avait annoncé (2) pas moins de deux cent expositions, nous avions souri. Ah, ces Chinois, quels fanfarons ! La suite a prouvé que nous avions tort de nous moquer.

 Priorité absolue : constituer un jury digne de ce nom. Robert Pledge, Pdg fondateur de Contact Press Images, une agence qui compte des stars telles que Annie Leibovitz, Sebastiao Salgado ou David Burnett, avait fait le voyage de New York pour présider ce jury.

 Un excellent choix : Bob fréquente assidûment la Chine et la photo de ce pays depuis les années 80, connaît les ténors de l’empire. Et il a appris au fil des différents festivals – Pingyao d’abord, Lianzhou ensuite, d’autres encore – la psychologie de nos amis.

 Le Professeur Gu Zheng – Gu Laoshi, à juste titre considéré comme l’un des personnages les plus qualifiés en la matière est venu, lui, de Shanghai.

Mus White, épouse du grand collectionneurs Stephen White (2), elle-même une « pro » de l’image à Los Angeles, nous a rejoint.

Ainsi que la grande photographe de mode qu’est Sacha, dont le travail était présenté hors concours dans l’exposition « Vu de France » composée par Didier de Faÿs, directeur de photographie.com ( j’y reviendrai).

Et donc votre serviteur.

 En acceptant cet honneur, aucun de nous n’avait mesuré les difficultés de la tâche !

 Essayons de dresser le décor. Située à environ 300 kms à l’ouest de Kunming, la capitale du Yunnan, Dali est adossée à une chaine de montagnes dépassant les 4.000 mètres. Construite au bord du lac Erhai, aussi grand que le Léman, elle-même située à 1900 mètres d’altitude, elle bénéficie d’un climat idéal. Avec ses trois pagodes, ses temples, ses remparts intacts, elle attire, surtout l’été, une foule de visiteurs. L’idée d’y promouvoir un festival international a donc tout son sens.

Oui, mais voilà : aucun lieu intramuros ne serait à même d’accueillir ne serait-ce qu’un dixième de toutes les expositions programmées.Tout juste est-il possible de présenter dans la rue piétonne principale de la ville, à la-va-comme–je-te-pousse, de grandes images, dans le style du National Geographic. Succès garanti : les touristes et les badauds qui s’y promènent par milliers ont adoré ce miroir flatteur de tout un peuple. 

Bao Lihui et son équipe ont donc choisi, en accord avec les autorités locales et les sponsors, d’investir d’abord un ensemble de villas pour nouveaux riches, gardés par des jeunes gens en uniforme saluant au garde à vous les « v.i.p ». Une bonne centaine de maisons new style s’étalent sur les collines, avec une vue imprenable sur le lac. Nombre d’entre elles sont inoccupées, comme souvent en Chine.

Tous les bâtiments communautaires ont été réquisitionnés par le festival, ainsi que plusieurs villas à l’entour et une fausse vieille demeure qui ne manque pas de cachet. Avec ses deux entrées, sa belle cour, ses suites en bois, sa coursive au premier et ses chambres à l’ancienne, celle-ci a fière allure.

Y accrocher une exposition? C’est une autre paire de manches. Il est strictement interdit d’y planter le moindre clou. Interdits aussi, par voie de conséquence, des cadres et tout éclairage de complément. Un seul moyen : contre-coller les photos à même le bois. Un défi que Didier de Faÿs a accepté de relever.

Pari à mes yeux réussi. Si l’on excepte l’univers de Sacha, à laquelle un bel hommage était rendu grâce à des images très personnelles, très poétiques et plusieurs icônes nous rappelant à quel point cette artiste a su tisser son œuvre depuis une quarantaine d’années (3), Didier de Faÿs proposait à Dali une génération de jeunes créateurs tous plus talentueux les uns que les autres : Dorothée Shoes, Isabelle Chapuis, Mami Kiyoshi, Dorothée Smith et Diana Lui, entre autres.

Le titre de l’exposition « kan Faguo / mot à mot « voir la France », traduit par « Vu de France » s’avère erroné. Du moins pour Diana Lui, qui court le monde pour réaliser des nus féminins souvent confrontés à un élément naturel – par exemple un arbre – sous forme de tryptique, ou bien, plus récemment, toujours en noir et blanc, des portraits de jeunes femmes marocaines en habit de cérémonie.

Diana élabore patiemment une œuvre à la frontalité tranquille, synonyme de franchise, de transparence, une œuvre empreinte de mystère et d’un érotisme tels que la plupart de ces portraits restent à jamais gravés dans votre mémoire et viennent hanter certains de vos songes.

Est-ce le manque de recul et d’éclairage tous deux patents ? Ou bien certaines transgressions ici choquantes, en ce pays où la pudibonderie sévit toujours? Quoiqu’il en soit, cette artiste n’a pas eu à Dali la reconnaissance que l’on pouvait espérer.

« Vu de France » le travail de Mami Kiyoshi ? Pas du tout ! Cette jeune japonaise, qui vit chez nous, photographie tout autour de la terre des couples hilares en effectuant avec eux un travail de mis en scène où se mêlent allègrement humour et une palette de couleurs très vives. Des histoires naissent. Mieux vaut prendre le temps de les contempler pour en goûter toute la saveur, les décoder et voir apparaître des « bouddhas», quelque dieu primitif ou des héros de pacotille.

Faute de place, Didier de Faÿs avait dû plaquer cette suite…dans deux des couloirs de la demeure ! Malgré ce lourd handicap, Mami Kiyoshi sera nominée dans la catégorie « meilleur(e) photographe ».

D’autres expositions n’étaient pas mieux loties. Celle de Zeng Nian, photographe français d’origine chinoise, qui depuis quinze ans développe un grand projet autour du Barrage des Trois Gorges, sur le Yang Zijiang, dont les dégâts écologiques et humains sont dévastateurs, - l’exposition s’intitule « Un fleuve tranquille » ( !) – était, le jour où le jury l’a visitée, plongée dans la pénombre. Zeng Nian a cependant été lui aussi sélectionné dans la catégorie « meilleur photographe ».

Heureusement, l’exposition des lauréats du World Press 2011, comme la collection Stephen White (2), et plusieurs autres expositions, étaient correctement traitées.

Parmi celles-ci, je retiendrai le travail d’un jeune Pékinois, Di Jijun, qui a choisi d’explorer la technique du collodion, née au milieu du XIXème siècle et abandonnée dès les années 1860.

Il n’est pas le seul : l’un des photographes les plus talentueux de l’heure, Luo Dan, Grand Prix l’année dernière à Dali justement, utilise la même technique pour évoquer la vie d’une communauté catholique lisu perdue dans une vallée du Yunnan, aux confins occidentaux du pays. Rarement une technique a-t-elle été à ce point en harmonie avec une sensibilité et un sujet a priori fragile. Il se pourrait bien que Luo Dan, qui poursuit cette quête depuis des années, apparaisse comme le plus grand photographe de ces dernières décennies.

Di Jinjun – qui obtiendra le second prix attribué aux photographes asiatiques, donnant lieu à un court séjour d’études aux USA – mène deux recherches. Il accumule d'une part des portraits de jeunes gens « branchés », intellectuels, artistes quelque peu marginaux qu’il immortalise d’abord sur une plaque de verre. Il réalise d'autre part, toujours à la chambre, des paysages souvent désolés, comme dématérialisés, « au bord de l’eau », où errent parfois des animaux faméliques.

A Dali, il a eu l’audace, récompensée, non de présenter les tirages effectués à partir de ces matrices, mais les plaques elles-mêmes, après avoir pris soin d’occulter la petite pièce qui lui était allouée et de trouver des éclairages ad hoc.

Le grand triomphateur de ce prix Asie –doté par la banque Fudian – est Huang Xiaoliang. Il a été remis à celui-ci un chèque de 100.000 yuan, soit environ 12.000 €, décerné au nom de la Asia Pioneer Photographer Foundation. Dali, avec ce prix, affirme clairement sa volonté de jouer d’abord la carte régionale. A juste titre.

« Spring », de Huang Xiaoliang, est une œuvre délicate, en dentelle, qui évoque la technique ancestrale des papiers découpés chinois. Une œuvre entre noir, dégradés de gris et blanc où une cohorte d’ombres semblent danser une folle farandole. Le jury a été sensible à cette nostalgie sur fond de nuages menaçants.

Une journée ne fut pas de trop pour visiter cette suite d’une bonne soixantaine d’expos puis pour faire le point entre nous, à l’abri d’oreilles indiscrètes. Le lendemain matin, nous voici embarqués, avec notre sympathique chauffeur naxi et son minibus Mercedès flambant neuf, pour une tout autre aventure.

Après avoir longé le lac une bonne demie heure, nous nous retrouvons dans un second lotissement de villas grossièrement inspirées d’une architecture à la Franck Lloyd Wright. Vides, désertes. 

Qu’à cela ne tienne : la Chine ayant horreur du vide, le festival de Dali y a étalé une guirlande d’expositions. Au rdc, au premier étage, au second, et parfois même au sous-sol. A vrai dire, cet aspect brut de décoffrage évite toute distraction. Et comme nous ne croisons quasiment aucun visiteur –seuls sont présents les artistes et les curateurs -, le danger s’avère moindre.

Le meilleur.

Nous y verrons les plus belles surprises du festival, grâce à un commissaire d’exception, Zeng Han, déjà récompensé l’année dernière. Celui-ci a eu l’excellente idée de redonner vie à un travail d’ordre ethnographique mené dans les années 1950 par Ji Wenzheng, un « officier culturel » (sic), de l’Armée Populaire de Libération, qui s’était rendu au Tibet chez les Luoba. Ces images n&b au format 6x6, qui montrent l’extrême pauvreté, la vie au quotidien et l’héritage culturel de ce peuple, ont gardé toute leur fraicheur et leur force. 

Surtout, Zeng Han a su donner sa chance à un très jeune photographe, Mu Ge, révélation de ce festival, déjà nominé chez les « Jeunes photographes », Premier Prix de la prestigieuse catégorie « œuvre photographique » grâce à un ensemble très cohérent et très sensible mêlant des paysages de sa région natale, le Sichuan, notamment «après le désastre », la mise en eau du Barrage des Trois Gorges, et paysages intérieurs, telles la bible de sa mère et les lunettes de celle-ci glissées entre les pages. Mu Ge, retenez son nom.

Autre excellente surprise , récompensée par le Premier Prix des Jeunes Photographes, l’ensemble réalisé par mademoiselle Li Xinzhao. Des portraits de très grand format de Tadjiks de la région de Pamir, mêlant lumière naturelle et artificielle, pris à la chambre in situ, ici en rase campagne, là dans leur intérieur, riche en couleurs. Ce travail a d’emblée séduit le commissaire de l’exposition, Jiang Jian, lui-même grand portraitiste, touché par la sincérité de Li Xinzhao, sa maîtrise. Il ose la comparer à Richard Avedon, Sally Mann…Pourquoi pas ?

Le pire.

Après un somptueux déjeuner face au lac, dans un décor hyper contemporain, les vaillants jurés furent invités à pénétrer au premier et au second étages d’un immeuble inachevé et pour tout dire destroy, long de plusieurs centaines de mètres.

Las. Ici, aucune cimaise. Chacun d’entre nous, mi épouvanté, mi interloqué, essaya tant bien que mal d’apercevoir plusieurs centaines d’images suspendues à des tubes de pvc tendus de toile claire. Un labyrinthe d'enfer éclairé sur une seule face...

Le jury, bon enfant, a choisi d’ignorer ce désastre en attribuant le prix du meilleur commissaire d’exposition à un tout jeune homme, Wang Qiang, qui a su rassembler dans ce lieu indigne, sur le thème du Sichuan, plusieurs travaux parmi lesquels je retiendrai ceux de Li Jun, obsédé par d’infimes détails, certaines empreintes laissées par la poussière dans son humble demeure. Un minimaliste dans l'esprit de Morandi.

Autre artiste choisi par Wang Qiang, Qi Hong photographie des acteurs de l’opéra traditionnel qu’il met en scène dans des décors naturels avant de rehausser discrètement les personnages avec quelques touches de couleur. Comme cette image d’un couple « royal » jouant à la proue d’une barque flottant sur des eaux tumultueuses, avec en arrière-plan l’arche d’un pont antique. 

Je me garderai bien d’oublier le premier prix du meilleur photographe attribué au britannique Chris Coekin, pour « Manufactory », « his latest body of work », solide, un rien conventionnel ; ni le prix de lameilleure publication, l’ouvrage consacré au photographe hongkongais Qing Wei, publié par Asia One, que dirige Peter Lau.

Pour l’heure, vous l’aurez compris, Dali accumule trop de faiblesses. Notamment son penchant pour un gigantisme que les sponsors et les officiels du cru semblent tant apprécier, à tort. Le fait aussi que des travaux parfois remarquables côtoient des horreurs sans nom. Et l’absence d’une bonne présentation respectant les œuvres.

Si Bao Lihui accepte de réduire le nombre d’exposants et de commissaires, si le festival est recentré sur la vieille ville et le cœur actuel, le mont Yinhai, quitte à reprendre une recette qui a fait ses preuves ailleurs  - un duo expositions / soirées de projection - pour quelques centaines de     « happy few » dans un premier temps, si une certaine rigueur s’impose dans les choix artistiques, Dali pourrait devenir le grand rendez-vous annuel du monde de l’image en Asie.

Rendez-vous donc pour sa cinquième édition l’année prochaine.

                                            *

 (1)  Dali International Photography Exhibition, le 4ème.

 (2)  Voir « La folie Dali », mon avant-dernier billet.

 (3)  Elle-même s’étonnant de voir sur un mur, en grand format, des clichés destinés à Elle, Lui ou Marie-Claire. Il faut voir Sacha, à propos de ces trois magazines, l’œil rieur et complice, mimer les codes, les gestuelles à adopter pour coller à chaque style !

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