Un "mano a mano" formidable se déroule sous nos yeux. En apparence feutré - nous sommes entre gentlemen de l'art, n'est-ce pas? - mais à vrai dire sans merci. L'enjeu est de taille: attirer ici ou là, à Hong Kong ou à Shanghaï, le meilleur de l'art, de l'art contemporain surtout car chacun connait l'immense succès mondial des artistes chinois, dont la côte est repartie vers des sommets, après une brève dégringolade.
Essayons d'y voir clair: Pékin est "out", et même knock out, pour deux raisons au moins: la capitale est beaucoup trop proche du Pouvoir et donc dans le viseur de la Nouvelle Cité Interdite à la moindre incartade. Seconde raison: Pékin se la joue pure et un peu puritaine. Mêler l'art et le business à deux pas de Tian An Men et de la momie du Grand Timonier? Jamais! Restent donc deux options, et deux seules: Shanghaï, avec son passé mercantile et sa nouvelle aura, après qu'elle ait reçu, in extremis, la bénédiction de Deng Xiaoping lors de son grand tour au sud (celui-ci aurait même dit que cette reconnaissance trop tardive était la plus grosse bévue de sa vie), après aussi qu'elle ait été, paradoxalement, le fief de la Bande des Quatre pendant la Révolution Culturelle, Jiang Qing, l'épouse de Mao en tête - et celui-ci dans les coulisses - bref, Shanghaï rayonne!
Et prouve, depuis plusieurs années, ses ambitions planétaires tous azimuts et particulièrement dans le domaine de l'art et du business. Avec sa foire d'art contemporain, lancée dès 2007, SH CONTEMPORARY, qui a connu des luttes internes fratricides (entre gentlemen, je vous le dis), et une chute spectaculaire lors de la crise, avant de repartir de plus belle l'année dernière grâce à son nouveau directeur, Massimo Torrigiani, qui a su jouer la carte des galeries asiatiques, chinoises en premier lieu et qui a donc su donner la place qu'ils méritent aux artistes qui animent tant le marché international, tout en faisant revenir les plus grandes galeries de la planète. Shanghaï a aussi, au magasin, la Biennale d'Art, de plus en plus riche, diverse, biennale qui se déroulera cette année dans les deux nouveaux musées actuellement en pleine réhabilitation auxquels j'ai déjà fait allusion.
La ville va donc compter, dès cette année, deux grandes institutions, le Musée des Beaux-Arts, gigantesque, 70.000 m2 au bas mot, enfin doté d'installations techniques dignes de ce nom, ce qui n'était pas le cas dans l'ancien charmant jockey club de la rue de Nankin; ce musée continuera d'être dirigé par Li Lei, il se situera donc dans l'ancien Pavillon de la Chine, côté Pudong; l'autre musée, d'art contemporain, se situera dans l'ancienne usine électrique, côté Puxi, extraordinaire édifice dominée par une cheminée géante - quel signal! - soit plusieurs dizaines de milliers de m2. Direction: Li Xiangyang et son équipe très pointue de jeunes loups de l'art.
Se souvenir du MOCA, Museum of Contemporary Art, privé, dirigé par Samuel Kung, du Rockbund Museum et du Minsheng Museum, dirigé artistiquement par le peintre Zhou Tiehai, qui devrait bientôt rejoindre ses petits camarades au bord du fleuve Huangpu. Et les galeries parfois géantes, et Moganshan lu...Sans oublier les ateliers d'artistes que l'on peut découvrir, si on est un tant soit peu amateur ou collectionneur, comme cet espace géant, à l'ouest de la ville, anciens entrepôts, anciennes usines recouvertes d'un rouge chinois qui vient unifier l'ensemble avec bonheur, une réhabilitation signée Margo Renisio, architecte dplg et scénographe oeuvrant en Chine. Le site se nomme Taopu. Il a été lancé et porté par Lorenz Helbling et Shanghart, toujours à l'avant-garde, toujours en phase avec les nouveaux développements de l'art. y
Et puis, plusieurs grands musées privés se profilent à l'horizon 2012/2013, qu'on en juge: il y a donc le pharaonique Himalayas Art Museum, conçu par l'architecte japonais Arate Isozaki. Himalayas, financé par Dai Zhikang, c'est à la fois un grand hôtel, un théâtre, un centre commercial et donc un musée consacré à l'art contemporain chinois et occidental, près du Parc du Siècle, à Pudong. Ouverture: fin 2012.
Un couple de collectionneurs, Mme Wang Wei et M. Liu Yiqian est tout aussi ambitieux, sinon plus: leur musée, le Long Museum, construit à Pudong par l'architecte Zhong Song, présentera sur 11.000 m2 plusieurs collections. La première présentera des antiquités chinoises; la seconde proposera une relecture de "l'art rouge", cet art de propagande qui connut son apothéose lors de la "Révolution culturelle"; sans oublier une section d'art contemporain chinois. Ils jouent en outre sur deux tableaux, avec un second musée, le "Long Museum of Modern Art" qui se situera à Puxi, dans le district de Xuhui, sur 16.000 m2! Ouverture: 2013.
Or un autre très grand collectionneur, le sympathique Budi Tek, qui préside aux destinées de la Yuz Foundation, vient aussi de lancer son propre musée, le "De Museum", avec une collection d'art contemporain chinois et occidental que l'on dit fracassante. Ouverture en 2013. On pourra voir cette collection ce mois d'août à Pékin, au Today Art Museum.
Enfin, le Taiwanais Chen Yun-tai et sa femme, Bai Yu-yeh, ont chargé Tadao Ando de concevoir l'architecture intérieure du Aurora Museum, situé au bord du Huangpu, à Pudong. Ils y présenteront, sur cinq étages, des antiquités chinoises, notamment leurs collections de jade, de porcelaine bleue et blanche, de statuaire bouddhique, de céramiques ainsi que des oeuvres d'art contemporaines. Autrement dit, Shanghaï va posséder d'ici peu un tissu de musées couvrant toute la ville, conçus par certains des plus grands architectes asiatiques et riches d'oeuvres chinoises mais aussi étrangères accumulées depuis quelques dizaines d'années par des collectionneurs très avisés.
Face à cette Armada, que nous propose Hong Kong? Une HK Art Fair que j'ai qualifiée d'"extravagante" et qui se situe cette année au moins au niveau de la FIAC. Près de trois cent galeries présentes, - les plus importantes sont bien là -, les oeuvres sont de grande qualité, les collectionneurs ont répondu "présent", même si j'ai personnellement peu vu de points rouges auprès des oeuvres...De plus, je peux témoigner de la bonne organisation de la foire, de sa fluidité, de la pertinence de certaines installations qui viennent égrénner le parcours des visiteurs. Et puis, voici que chaque galerie propose à ses aficionados vins et champagne, lesquels coulent à flots: en Chine, je vous le dis, donnez, donnez de la face et vous en serez récompensé.
Lors de la Conférence de Presse, qui rassemblait des centaines de journalistes, des dizaines de télévision du monde entier, Magnus Renfrew, son directeur, a insisté sur la position unique de HK. Il a raison: le site est le plus beau d'Asie, le "Convention Centre", qui s'avance sur la baie, superbe "reclamation", a des allures de grand navire et chacun peut, en quittant les deux niveaux de la foire, se reposer en assistant au ballet des ferries; Magnus a aussi souligné que l'alliance avec Bâle, Basel, serait un plus. May be. Espérons simplement que le rouleau compresseur ne vienne pas détruire l'identité de cet événement et que soit préservée cette section Asia One, qui est de mon point de vue la partie la plus originale et la plus stimulante de la foire. Magnus Renfrew a fait référence à un critère crucial: PAS DE TAXES à HK, contrairement aux autres pays et à la Chine continentale, qui prend plus de 30% sur les oeuvres.
Cette réussite va de pair avec l'ouverture de ces galeries flamboyantes évoquées dans "la folie HK", je n'y reviens pas. Mais où sont les musées? Celui tant espéré, conçu par l'architecte britannique Forster ne devrait véritablement ouvrir ses portes qu'en 2017. Où sont les ateliers? Où sont les artistes?
De plus, ce que l'on semble ignorer ici, à HK, et que l'on n'ose pas trop évoquer, même à Shanghaï, c'est le fait que sa Municipalité, en connivence j'imagine avec le "Centre", met actuellement sur pied un projet encore plus ambitieux, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, d'inventer un nouveau concept "business + art", "culture + business" à la dimension de l'immense espace occupé par l'Exposition Universelle, en attribuant à tous les pavillons restés debout, des fonctions mêlant systématiquement les deux mamelles de notre société future...Projet mégalo? Projet fou? Projet impossible à monter, à développer et surtout à faire tourner? Voire.
Et donc, de mon humble point de vue, le gagnant est, vous l'avez compris, Shanghaï.