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Billet de blog 19 mai 2013

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Paris accueille L'Exécution du Christ des Gao Brothers

Il sont sept. Sept Mao, grandeur nature. Sept, comme Les Sept Mercenaires. Imposants, épais, armés d’un long fusil que prolonge une baïonnette d’autant plus menaçante qu’elle est vraie.

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Il sont sept. Sept Mao, grandeur nature. Sept, comme Les Sept Mercenaires. Imposants, épais, armés d’un long fusil que prolonge une baïonnette d’autant plus menaçante qu’elle est vraie.

Six d’entre eux pointent leur arme dans la même direction: tels des sextuplés diaboliques ou des clônes, ils mettent en joue un Jésus famélique, médusé et affreusement désarmé, les mains ouvertes –et stigmatisées, forcément stigmatisées – signifiant, amplifiant son désarroi, sur le registre: “ Mais qu’ai-je fait?”

Le septième Mao, en tous points identique à ses congénères, semble s’interroger. Fusil et baïonnette pointés vers le ciel, il médite, hésite. Il est ailleurs, fait bande à part.

En entrant dans la Galerie Albert Benamou (1), ils vous assaillent.

A la seconde même où vous découvrez cette scène violente, une autre image, voire deux, vous revient en mémoire.

Celle d’abord de ce “Tres de Mayo 1808” peint par Francisco de Goya, tableau d’une violence inouïe dénonçant l’agression napoléonienne, tableau politique en diable. Une arme, et quelle arme!

Souvenez-vous: un insurgé les bras tendus, vêtu d’une chemise immaculée, est fusillé. Autour de lui, ses camarades se bouchent les oreilles, se voilent la face devant l’horreur de la scène, le sang coule. C’est une terrible nuit noire, le corps des soldats arcboutés trahit leur détermination farouche. Ici pas de quartier; peinture-bombe dénonçant l’agression de l’Envahisseur.

Souvenez-vous encore du tableau d’Edouard Manet, “Exéxution de l’empereur Maximilien à Querataro au Mexique” (1867), avec ses six fantassins fusillant à bout portant celui-ci sous les regards de quelques spectateurs atterrés, tandis qu’un septième fantassin se tient en retrait, fusil en l’air, la main sur la gachette, dans l’expectative.  Ou bien se prépare-t-il à donner le coup de grâce.

Chez Manet aussi, la charge est politique. Cependant, autant la fièvre incarne l’oeuvre de Goya, autant celle de Manet semble presque statique, froide.

Pour concevoir leur sculpture monumentale, laquelle s’inscrit dans le droit fil d’oeuvres telles que Les Bourgeois de Calais d’Auguste Rodin, les Gao Brothers ont choisi une configuration qui s’inspire de la toile de Manet: même disposition des acteurs du drame, avec six fantassins tirant à bout portant sur leur victime, à la seule différence que chez Manet celle-ci est soutenue par deux témoins en chemise blanche, tandis que le Christ est seul. Même froideur, même cruauté.

La ressemblance entre le tableau de Manet et la sculpture monumentale des Gao se voit encore accentuée par le dernier personnage, en retrait, qui adopte la même attitude.

En Chine, où cette sculpture ne peut être exposée – depuis une vingtaine d’années les Gao Brothers ne cessent de subir les foudres de la censure – l’image du Président Mao épaulant un fusil a connu son quart d’heure de gloire: il porte la même chemise, le même pantalon.

Sur la photo, il se tient à un stand de tir, il est hilare, comme un vieux gamin jouant un mauvais tour, tandis que Liu Shaoqi, le Président de la République, lui jette un regard noir. Et pour cause, la “Révolution Culturelle” est déjà dans la ligne de mire du Grand Timonier.

Ainsi, les Gao Brothers font-ils naturellement le pont entre deux oeuvres majeures de l’art occidental et la triste réalité chinoise, non sans un humour noir qui est l’une des marques de fabrique de la maison: qui n’a pas éclaté de rire en découvrant leurs fameuses “Miss Mao” rouge flamboyant à la poitrine rebondie ou cette autre sculpture monumentale où la même Miss Mao joue les équilibristes sur le crâne de Lénine? (“Miss Mao Trying to Poise Herself at the Top of Lenin’s Head”).

L’humour donc, un sens certain de la provocation, deux caractéristiques qui les rapprochent de leur mentor, Ai Weiwei, lequel les avait d’ailleurs exposé dans son Center for Contemporary Art de Pékin en 2008.

Pour mieux comprendre leur geste, mieux vaut connaître le drame que vécut la famille Gao.

Celle-ci vit à Jinan, la capitale de la province du Shandong, à l’est du pays, lorsque, pendant la “Révolution Culturelle”, Gao Wenchen, leur père, est arrêté, emmené pour interrogatoire. Il meurt le 25 octobre 1968.

Les autorités locales assurent qu’il s’est suicidé, alors que tout atteste du contraire. (Innombrables furent à l’époque les soi disant “suicidés”.)

Leur mère et les six enfants vont connaître une misère noire. Gao Zhen et Gao Jiang sont obligés de quitter l’école. Sans l’aide de leur tante et de leur oncle, les deux frangins ne se seraient pas construits ainsi.

Peut-être est-ce d’ailleurs pour pouvoir mieux lutter contre l’adversité qu’ils ont choisi, depuis toujours, de créer leurs oeuvres à deux.

Mao est donc, comme pour d’autres artistes chinois – par exemple Yan Pei-Ming ou Yu Youhan – l’un des moteurs de la création des Gao.

Toute la gamme de la dérision la plus farouche, de la satire la plus ironique, du blasphème est mise à contribution pour moquer le “vieux Bouddha”.

La raison en est simple: “Parce que” disent-ils dans une de leurs interviews, “le Président Mao a eu un impact négatif durable en Chine, et l’impact se fait encore sentir. Afin de déconstruire et d’éliminer la mythologie qui entoure son image, nous avons besoin de bien le critiquer”.

Cette critique leur a longtemps posé des problèmes. Non seulement ils n’ont pu, pendant des années exposer dans leur propre pays ces travaux jugés subversifs, mais il leur fut longtemps interdit d’accompagner ceux-ci à l’étranger.

Cette époque est aujourd’hui révolue. C’est ainsi que Zhen et Qiang se sont rendus l’année dernière à Kemper, où le Musée d’Art Contemporain avait organisé une rétrospective de leur oeuvre, heureusement surpris par l’accueil qui leur fut réservé et par l’incroyable batterie de questions auxquelles ils furent soumis lors de leurs rencontres avec le public américain.

Pour revenir à L’Exécution du Christ, que l’on peut donc voir actuellement à la Galerie Albert Benamou, c’est probablement, avec une autre sculpture du Grand Timonier dans la même veine, - il est agenouillé et semble demander le pardon (2) – l’oeuvre la plus forte conçue par les Gao Brothers.

C’est la raison pour laquelle elle figure en bonne place dans l’édition anglaise du MAO, dont nous sommes, Guy Gallice et moi-même les auteurs. (Horizons Editions, Londres). Une oeuvre qui devrait aussi apparaître dans l’édition chinoise à venir...laquelle devrait être imprimée à Hong-Kong, d’où j’écris ces lignes.

PS. En attaché, une repro de la sculpture.

(1) au 24 rue de Penthièvre, 75008. Paris, métro Mirosmesnil Jusqu’au 1er juin 2013. Tel: 01.45.63.12.21

 (2) Par mesure de précaution, la tête de Mao est amovible.

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