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Billet de blog 19 octobre 2012

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BADA BUND BUND BUND!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Personne n'avait osé le faire: ils l'ont fait! 

Temps magnifique, hier après-midi, à Shanghaï. Sur le fleuve Huangpu, c'est un défilé ininterrompu de cargos ventrus arborant le pavillon rouge aux cinq étoiles. Les façades géantes des gratte-ciels de Pudong reflètent le soleil couchant. La rue de Nankin flamboie.  Une petite foule  composée surtout de provinciaux s'extasiant à la vue de tant de grandeur se promène de long en large sur le Bund. 

Les quatre ZAGO écarquillent les mirettes, se régalent de ce spectacle et de la magie de l'instant. Ni vus ni connus. 

Puis "Pijack", le patriarche, et David, l'aîné des fils, sortent de leurs besaces deux minuscules ocarinas de porcelaine achetés la veille au jardin Yü. Le temps de s'accorder, et les voilà partis dans une de ces impros dont le groupe poitevin a fait sa marque de fabrique.

Les badauds se pressent. Ah les badauds en Chine! Aucun peuple à ma connaissance n'aime autant assister à un spectacle impromptu, tout aussi bien qu'à une engueulade, une rixe, un mariage, qui sait quoi encore ?

Un petit cercle se forme. Tous tendent l'oreille, découvrent avec stupeur ces deux grands gaillards à l'oeil en joie, jouant à l'unisson...Nanniwan, "leur" Nanniwan, ce chant patriotique que leurs parents et grands parents continuent de leur seriner certains soirs...

Ils sont fous ces Poitevins! Comment résister à tant de bonne humeur, d'énergie communicative? Plusieurs spectateurs, des femmes surtout et quelques messieurs hilares, se mettent à reprendre eux aussi l"hymne chéri de l'utopie maoïste. La foule s'épaissit. Des photographes aux téléobjectifs longs comme un jour sans pain se bousculent, s'accroupissent, cherchent le meilleur angle; pas simple.

Derrière les Zago, le cortège de cargos et de barges continue son ballet. Le reflet du soleil vient rougir le fleuve. Le petit groupe s'est rapproché des rambardes qui dominent le Huangpu.

Là, deux poubelles métalliques rutilent. Qu'à cela ne tienne: Jérôme, le percussionniste, s'en empare et entame un solo d'enfer, pour le grand plaisir des laobaixing qui le soutiennent en claquant des mains, tandis que Tony, le guitariste, mime un rock tonitruant.  

Toute la Chine est là, autour de nos quatre lascars: des Shanghaiennes impec, des ruraux, des mingong - migrants venus apporter leur force de travail à la métropole - portant dans leur bras leur dernier-né éberlué par ce remue-ménage, des provinciaux ravis de l'aubaine. Heu-reux, ils sont heu-reux. 

Le répertoire des ocarinas étant épuisé, les Zago entament en canon "Frêres Jacques". David déploie ses grands bras...Et se met à diriger la chorale la plus zarbi, la plus éphémère et la plus drôle que l'on ait jamais vue sur le Bund! "Frêre Jacques, frêres Jacques dormez-vous? Lala la, lalala.."

Et quand tous quatre, resserrés comme un seul homme, entonnent Ye Shanghai ("Nuit de Shanghaï"), c'est le délire.  Les rires fusent...Aucune moquerie cependant. Plusieurs spectateurs entre deux âges viennent à la rescousse de nos faguo yinyue jia, nos "musiciens français" - qui s'emmêlent un peu les pédales en chantant à tue-tête ce tube des années 30 immortalisé par Zhou Xuan. 

Autre miracle: il est 16h, le carillon géant du Bund égrène les premières notes de "l'Orient est rouge", Dong fang hong, autre hymne maoïste par excellence, que chacun devait chanter tous les matins du temps de la "révolution culturelle". Qu'à cela ne tienne: les Zago, dans une nouvelle improvisation, se transforment illico en sonneurs de cloche! 

Il est temps de distribuer les "flyers" annonçant les prochains concerts, celui qu'ils donneront le soir même au Grand Mercure Shanghai Hongqiao - le public rassemblé autour de grandes tables dans le "ballroom" de ce cinq étoiles a lui aussi adoré -, demain et après-demain à la Semaine Française de Shanghaï et la grande fête qui se profile au restaurant Kathleen's 5 lundi prochain, le 22 - , le temps aussi de signer quelques autographes, d'échanger les adresses avec les photographes...

Avant de traverser la rue Zhongshan, d'admirer les vieux bâtiments restaurés, de pénétrer dans le Temple de l'Argent qu'est l'ancienne Hong Kong and Shanghai Bank devenue la Pudong Development Bank, avec son dôme de mosaïque, ses colonnes de marbre, de caresser en sortant les deux lions de bronze patinés par des millions de mains et de grimper enfin tout en haut du 3 on the Bund pour assister au coucher de soleil. 

17h. Le devoir appelle les Zago à l'autre bout de la ville. Tony s'inquiète: il lui faut encore repasser sa tenue des scène. Pijack et David répètent à mi-voix une mélodie qu'ils joueront toute à l'heure. Jérôme lève le bras pour héler un taxi. Le rêve qu'ils viennent de vivre flotte encore dans leurs regards...

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