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Billet de blog 19 octobre 2015

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I. La « Grande Révolution culturelle »… et un tout petit album photo

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est un minuscule album photo. Vingt photos, certaines biffées rageusement d’une croix rouge. Aucun commentaire. La tragédie de la Révolution culturelle en une seule et même histoire, celle des dirigeants soi disant « noirs » de Pékin, son vice-maire, Wu Han, en tête.

Nous sommes en mai-juin 1966. Mao Zedong et son clan viennent de lancer, depuis quelques mois, le mouvement le plus inattendu, le plus fou que l’on puisse imaginer.

Que nous montrent ces vingt images ? Sur une immense estrade, des hommes et une femme portant d’immenses pancartes suspendues à leur cou avec leur nom barré, la tête baissée, sont présentés à la foule. Sous eux, une immense banderole se concluant par un gigantesque point d’exclamation : « Comité municipal NOIR de la Ville de Pékin ! » 

Les images suivantes montrent les victimes deux par deux, avant de les revoir marchant entre une haie de gens les conspuant vers un stade bondé, tenus avec fermeté par des sbires-gardes rouges.

L’Histoire nous apprend que la plupart d’entre eux disparaitront, tués, suicidés ou « suicidés », morts à la suite de mauvais traitements.

Cet album est précieux à plus d’un titre : parce qu’il nous montre, comme jamais, les trois temps d’une tragédie en mouvement, fait rarissime dans cette Chine sous contrôle médiatique, alors que de telles scènes se sont répétées ad nauseam dans la plupart des villes du pays pendant plusieurs années.

Ces photos sans aucune prétention esthétique nous montrent une réalité d’une violence rare, tout comme Li Zhensheng l’a fait en catimini dans la province du Heilongjiang (1). Des êtres humains humiliés, bafoués, « luttés » comme on dit en chinois.

Parmi eux, Wu Han, l’un personnage clé qui fut, contre son gré, l’un des éléments déclencheurs de la « Révolution culturelle », au point que Mao Zedong lui-même assurait que celle-ci avait commencé non en avril mai 1966 mais le 10 novembre 1965, soit il y a cinquante ans quasiment jour pour jour, avec l’attaque menée par un certain Yao Wenyuan contre le Vice-Maire de Pékin.

 Yao Wenyuan atteindra bientôt les sommets, avant de devenir plus tard l’un des membres de la Bande des Quatre. Et de chuter.

Edgar Snow, dans La longue révolution (Stock, 1973), pp 26-27 : « C’est donc en janvier 1965 (…) que fut prise la décision de lancer la Révolution culturelle ?

Le Président me répondit qu’a la suite des critiques et de la réprobation catégoriques auxquelles s’était heurtée la pièce de Wu Han en octobre 1965, les événements s’étaient précipités. Dès 1964, le Bureau politique avait constitué un « groupe de la Révolution culturelle » dirigé par Peng Zhen, maire de Pékin et secrétaire du puissant comité du Parti de Pékin et qui était, d’autre part, le protecteur de Wu Han. En février 1966, Peng avait essayé de prendre la défense de cet écrivain et d’autres, tous auteurs de satires voilées contre Mao et le maoïsme. Autrement dit, il avait cherché à orienter la critique de leurs œuvres sur un plan exclusivement littéraire et non sur le plan politique. Mais comme il n’avait consulté ni Mao ni d’autres membres du Comité, il fut limogé le 16 mai 1966. 

A cette date, raconte Mao, le Bureau politique tint une assemblée élargie pour mettre sur pied la tactique de la Grande Révolution culturelle prolétarienne ».

La messe est dite. La chute du Président de la République, Liu Shaoqi, avait quant à elle été programmée dès janvier 1965 selon Mao lui-même… 

Remontons encore plus tôt dans le temps pour bien comprendre une histoire terriblement chinoise, très codée, souvent sibylline et tellement révélatrice du fonctionnement du pouvoir de cet « orient compliqué » pour reprendre une expression de Général de Gaulle.

Outre le livre d’Edgar Snow, seul journaliste occidental à avoir eu le privilège de rencontrer Mao à plusieurs reprises de 1936 à 1970, quatre ouvrages nous éclairent sur cet épisode capitale de l’histoire contemporaine de la Chine : The Origins of the Cultural Revolution, tome 3 : The coming of the Cataclysm, 1961-1966 de Roderick MacFarquar  (Columbia, University Press, 1997, la « bible » sur la question des origines de la R.C) ; La Chine de 1949 à nos jours, de Marie-Claire Bergère, Armand Collin, 2000 ; Le Singe et le Tigre, Mao, un destin chinois, d’Alain Roux, Larousse 2009, et différents écrits du grand Simon Leys : Essais sur la Chine, collection Bouquins, Robert Laffont, 1998. Essentiellement dans Les habits neufs du Président Mao et dans Ombres chinoises. 

Simon Leys, alors que la « Révolution culturelle » bat encore son plein – son livre sort dès 1971 aux éditions Champ Libre à l’initiative de René Viénet – décrit parfaitement les manœuvres complexes d’opposants à Mao, lequel vient de provoquer la plus grande famine que la Chine ait jamais connu à la suite du Grand Bond en avant. (Les chiffres oscillent entre 35 et 40 millions de morts de faim).

Le premier de ces opposants, proche du maréchal Peng Dehuaï que Mao vient de limoger car celui-ci a osé critiquer frontalement le Grand Bond, n’est autre que le très puissant Peng Zhen.

« C’est le 16 juin 1959, que « Wu Han, sous le pseudonyme de Liu Mianzhi, publie un article retentissant intitulé « Hai Rui semonce l’empereur », je cite Simon Leys, (p 29), « transparente parabole historique, où l’on pouvait reconnaître une image de Peng Dehuaï sous les traits de Hai Rui, le courageux et intègre haut fonctionnaire Ming qui osa plaider auprès de l’empereur Jiajing la cause des paysans opprimés.

Leys alias Pierre Ryckmans, en grand sinologue qu’il est, conscient de l’importance cruciale de ce texte le traduit intégralement à la fin de l’ouvrage ( annexe pp 202-206). Mais aussi je crois parce qu’il se délecte à bon droit de ces épiques batailles.

La suite très prochainement…

PS. Merci à Thierry Girard pour les scans !

Ajouté le 20 octobre: 

Grâce à facebook, voici des infos précieuses que nous devons à l’un des mes « amis », Robert Lin:

Pour ceux qui ne sont pas familiers de l’histoire de la Chine moderne et de son vocabulaire spécifique, le caractère « noir » veut dire « corrompu » et « infesté par les méchants ». Il fait référence à la couleur noir dans son sens symbolique. Vicieux n’est-ce pas ?

A propos de la troisième image, trois hommes tenus par cinq sbires :

La première victime, c’est Luo Ruiqing, qui était le Chef de l’Etat-Major de l’Armée Populaire de Libération, et Chef de la Sécurité de Mao. « Gou shi dui » veut dire llttéralement «  un tas de merde de chien », pour jeter l’opprobre sur ces victimes. Rermaquez qu’il y a un banc derrière lui car il avait en fait les jambes brisées suite à une tentative de suicide, et était assis dessus lors de sa mise en accusastion.

A côté de Luo, Su Zhenhua, l’ancien Chef de la Marine. Les hommes qui tiennent les victimes sont des soldats, de quoi on peut déduire que se meeting fut organisés par les forces militaires.

C.H : j’ajoute que l’humour noir veut que Luo Ruiqing s’était opposé à Peng Dehuaï, qui était alors son supérieur hiérarchique, lors de la Conférence de Lushan et à la critique que celui-ci avait fait du Grand Bond en avant.

A propos de la quatrième image, cette précision sur l’homme de gauche :

Lu Dingyi 陸定一 (1906 – 1996)

A propos de la cinquième image, publiée dans le catalogue de la vente, cette info capitale :

(Celui dont je décrivais l’aspect noble et le regard rebelle) : « c’est Zhou Yang, qui fut Chef de la Propagande du Parti » (un poste clé, Zhou Yang fut un intellectuel et assez redoutable) « C’est seulement dans les dernières années, qu’il réalisa qu’il avait beaucoup fauté et essaya de corriger certaines de ses erreurs. Il fut forcé par les gauchistes de faire à nouveau son autocritique, ce qui lui fut fatal. Il passa le restant de sa vie dans un lit, avec son cerveau détruit ».

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