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Billet de blog 20 février 2020

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Comment je suis retourné dans le ventre de ma mère

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Illustration 1
La plage de Pasir Putih le matin © Claude Hudelot

                                                     Plage de Pasir Putih le matin

C’est une des plages de Bali, nommée en indonésien

Pantai Pasir Putih, la plage des sables blancs.

Et pour les touristes, Virgin Beach.

Elle s’étend entre deux puissantes pointes de rochers volcaniques.

Elle est belle, très belle. Et le matin, quasi déserte.

Chaque matin, j’y vais avec le même plaisir.

Une longue descente depuis mon nid d’aigle, à plus de 500 m

de hauteur, sous l’un des neuf grands temples de l’île,

Pura Lempuyang. Avec la satisfaction, neuf fois sur dix,

d’être le premier à plonger dans l’onde.

Cinq ans déjà.

Comment expliquer  ce que je viens de vivre au fil de l'eau,

ce passage déroutant de l’autre côté du miroir ?

Dire par exemple que je suis un ancien nageur de compétition

n’explique rien, ou trop peu.

Si : ma capacité à me mouvoir ou celle de rester quasi immobile,

de faire la planche comme  comme mon grand-père maternel,

Claudius Lavrillat, me l’avait enseignée jadis au Lavandou.

Bref, je nage encore et encore. Et me dis que le jour où j'en serai

incapable signera mon arrêt de mort.

Rassurez-vous, cette heure n’est pas encore venue !

Je me lance en commençant par un crawl soutenu par un battement de pied

vigoureux - mais pas trop, au risque sinon de m'essouffler - en

comptant chaque mouvement en indonésien - si, si - jusqu'à cent,

cent vingt.

Je lève la tête  pour admirer les deux mamelles de l'orient balinais,

j'ai nommé le mont Seraya toisant l'océan indien du haut de ses 1065 m

et son petit frère, le Lempuyang, deux vieux volcans éteints. 

A Pasir Putih, j’ai récemment pris l’habitude, lorsque les rouleaux

provoqués par la houle et l’avancée orientale de roches noires

se calment, d’aller nager au plus près de ces dernières.

Les raisons ? La couleur turquoise d'une auréole divine d'autant plus attirante

qu'elle borde le sombre escarpement de la pointe ;

une transparence remarquable par temps calme.

 Nager en ces eaux en levant le regard sur cette masse de roches gigantesques

virant au noir profond sous les aspersions de l’océan indien. Roches striées

verticalement sur une bonne dizaine de mètres, voire plus. Comment ne pas

penser à certaines œuvres de Pierre Soulages ? Roches coiffées, tout en haut

de la pointe par une végétation luxuriante, où le vert des frangipaniers se

détache. Senteurs.

Roches et cavités et grottes. Quelques longues gaules  en bambou dont certains pêcheurs

s’emparent à marée montante. Un monde vivant, mouvant avec ses minuscules

poissons volants – les tri  -, qui font le bonheur des gourmets ;

ses crabes, ses lézards. Son couples d’aigles tout là-haut dans les branchages.

Et ces temps-ci, à la fin de la saison des pluies, ses magnifiques papillons.

Ah oui, une précision : celle d’un double phénomène inconnu en Méditerrannée

ou sur la côte atlantique : la puissance de la moindre vague. Il faut voir la sidération

des baigneurs saisis, souvent retournés comme des crêpes par celles-ci. Un rouleau

d’un mètre à peine peut ainsi vous clouer au fond. Les appels au secours ne sont pas

rares.

Autre étonnement : si la vague  semble mourir sur la plage,

il n’en est rien ! Un ressac presque aussi violent vous entraîne au loin.

L’autre matin, pas une ride. Une mer d’huile, malgré cet éternel roulis

qui court toujours sous la surface de l’eau, tel un dragon.

A peine ai-je plongé mains jointes que j’ai perçu

sur ma peau et bientôt dans tout mon corps une sensation inconnue.

Non pas seulement celle de cette apesanteur que je chéris depuis l’enfance. Non.

La mer s’est mise à me porter et à m’emporter vers le large puis

vers la terre, puis vers le large et encore la terre, à me bercer, à me balancer.

J’étais à deux, trois mètres des grandes roches qui tombent à pic dans l’océan.

Est-ce le secret de cette expérience hallucinatoire ? Je veux dire ces éléments

liquides venant se frotter encore et encore le long des roches comme aiguisées

 pourraient-ils produire cet effet d'hypnose? Je ne sais.

Il me suffisait de remuer à peine un bras, une jambe, d’effectuer un

battement de pied pour me sentir propulser avec vigueur au sein de

cette masse douce et puissante, tellement puissante. 

M'est venu à l'esprit "malléable". Mais malléable la mer sous l'effet

de mes bras, de mon ventre, de mes jambes, ciseaux, pirouettes, 

battements, délicieuses plongées, ou malléable le corps du nageur

pris entre les filets d'un massage à l'érotisme ô combien singulier ?

Troublé, éberlué, j’ai entamé un ballet minimaliste que n’aurait pas

renié ni Lucinda Childs ni Merce Cunningham. Quelques minutes encore

et me voici à la pointe de la pointe, avec cette vue superbe vers Seraya et Lempuyang.

Exquise solitude.

Instinctivement, j’ai choisi alors de me mouvoir quasiment accroupi,

puis en boule. Et de ne plus rien faire, rien de rien, en laissant à

l’onde l’initiative du bercement.

Et là, du fond de ma mémoire enfouie, a monté peu à peu le sentiment,

diffus d’abord, puis de plus en plus prégnant - "pregnant" ? -, d'être retourné dans le ventre de

ma mère. Et j’étais bien, tellement bien.

Doucement, j’ai effectué de timides mouvements comme pour ne pas déranger.

Et j’ai pensé à maman.

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